Par Amin Ben Khaled* En Tunisie, il y a deux codes du statut personnel. Le premier se retrouve dans l'inconscient collectif et représente dans la doxa populaire un ensemble d'articles de lois qui défendent les droits de la femme. C'est le code abstrait, mythique et intouchable qui cristallise dans l'esprit des Tunisiens l'essentiel des acquis de la femme. Le second code est, quant à lui, “concret et réel", c'est celui qu'on trouve dans les bibliothèques des spécialistes (juges, avocats, notaires et universitaires etc.) ; c'est le code qui était incontestablement avant-gardiste au moment de sa promulgation, devenu, aujourd'hui, dépassé par la réalité de la société tunisienne de par certaines dispositions rétrogrades. Des dispositions qui constitueraient un danger pour le statut de la femme tunisienne si l'on décide prochainement de les constitutionnaliser “aveuglement". C'est ce second code qu'il convient de porter au débat public d'une manière objective et dépassionnée, loin des dogmatismes ambiants. En réalité, à voir de près, et comme le titre l'indique, le Code du statut personnel constitue, par certains de ses dispositions, un danger pour la femme. Ainsi, l'article 23 du code considère l'époux comme étant le chef de famille. Cet article souvent pointé du doigt par les tenants de l'égalité parfaite entre hommes et femmes revêt, aujourd'hui, une dimension particulière. Car, s'il est vrai que la société tunisienne, essentiellement arabe et méditerranéenne, demeure assez patriarcale, il n'en demeure pas moins que la conjugaison de cette disposition avec celle de “la complémentarité" entre les époux (disposition prévue par la Commission des droits et des libertés au sein de l'Assemblée constitutante et qui pourrait figurer dans la prochaine constitution) réduira sensiblement les droits et la place de la femme mariée. Car si le mari est le chef de famille, c'est-à-dire, celui qui pourvoit aux besoins financiers de la famille, le rôle de l'épouse, de par sa complémentarité, serait confiné aux tâches ménagères et éducatives. On pourrait même voir des demandes de divorce émanant de maris reprochant à leur épouse d'être trop prise par son travail et peu présente à la maison ou dans l'éducation des enfants. L'article 23 du code n'exige-il pas des époux de remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume ? Mais ce qui est plus grave dans l'article 23 du C.S.P et qui est passé malheureusement sous silence, c'est la position du législateur vis-à-vis de la violence conjugale. En effet, l'alinéa premier du même article 23 dispose :"Chacun des deux époux doit traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter de lui porter préjudice". En effet ce qui est frappant ici c'est la formule utilisée dans l'article précité : “éviter de lui porter préjudice". Il ne s'agit donc pas d'une position ferme de la part du législateur qui aurait pu professer une interdiction claire de porter tout type de préjudice, physique ou moral, au conjoint. Or, les statistiques sont formelles, les victimes de la violence conjugale sont en majorité des femmes. Au final, il convient de centrer le débat sur le vrai Code du statut personnel en cette période sensible de l'histoire de la Tunisie. Il convient aussi de relire l'article 23 que lisent toujours les officiers publics durant les cérémonies de mariages et que les youyous de joie nous empêchent souvent d'écouter avec l'oreille critique qui s'impose. *(Avocat)