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Des blâmes et quelques satisfecits
Association tunisienne de droit constitutionnel — Première lecture de l'avant-projet de constitution
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 08 - 2012


De graves appréhensions concernant les libertés
Si l'ANC avait été un étudiant en droit, elle aurait été méchamment recalée. Hier à Tunis, les membres de Association tunisienne de droit constitutionnel, dont beaucoup sont connus et reconnus bien au-delà des frontières, consacraient une réunion publique à la première lecture de l'avant-projet de constitution. En présence de plusieurs élus et du président de l'ANC, ils n'ont pas été avares en critiques, dont certaines très virulentes, malgré les circonstances atténuantes qu'ils ont reconnues à ce brouillon de texte.
L'impression générale qui se dégage à la première lecture a été bien résumée par le Pr Amine Mahfoudh: « Le préambule doit être considéré comme la tête. Il faut que la tête soit conforme au reste du corps. On ne peut par exemple mettre une tête de chat sur le corps d'un lion, même au nom du consensus ».
L'orateur fait ici allusion au fait que le texte est un assemblage des suggestions des uns et des autres, une sorte de compromis qui a tenté de tout concilier. Ce que l'ANC n'a jamais nié d'ailleurs, expliquant depuis deux semaines au moins que cet avant-avant projet n'est qu'un brouillon qui doit être harmonisé par la commission de coordination.
Mais il n'y a pas que l'assemblage. Il y a le côté juridique, souvent absent au profit d'un style littéraire. Il y a les aberrations juridiques, qui seront certainement corrigées, les élus prenaient des notes et il est du devoir des experts d'attirer l'attention dessus. Il y a la confusion entre termes et concepts, par exemple obligations, droits, libertés...
Il y a enfin le côté régressif. A titre d'exemple, la constitution de 1959, loin d'être parfaite, apparaît comme plus avancée par rapport à son temps. Elle citait déjà les droits de l'Homme alors que celle-ci ne le fait pas.
Le souffle régressif qui traverse l'ensemble du texte, la peur de la régression font dire au Pr Yadh Ben Achour, en substance: cette constitution représente la contre-révolution et peut conduire à une dictature théocratique, qui est la pire des dictatures. Elle est contraire à la révolution qui avait appelé à un Etat civil.
Car lorsque l'on se souvient que la Tunisie a fait une révolution qui a forcé l'admiration, et que cette révolution à eu un retentissement planétaire, qu'il y a eu le peuple dans la rue, les morts et les blessés pour la liberté, Kasbah 1 et 2, des élections crédibles, près d'une année de travail, on se dit: «tout ça pour ça?». C'était un peu la réaction des experts hier, faite de déception, de dépit, de frustration, parfois de colère et d'indignation, tandis que les élus étaient sur la défensive. Le seul domaine dans lequel on a reconnu une avancée et une rupture avec la précédente constitution fut celui de la démocratie locale.
Cette rencontre a attiré un grand nombre d'experts, de membres de la société civile, d'étudiants en droit constitutionnel, des citoyens lambda. La salle d'un grand hôtel du centre-ville n'a pas suffi à accueillir l'assistance. Les gens étaient assis par terre et debout, adossés aux murs. Il est clair que l'élaboration de la constitution de la deuxième République représente un événement national. La grand-messe constitutionnelle a été suivie massivement par les médias locaux et étrangers.
Nous y reviendrons.
Yadh Ben Achour : Dictature théocratique
Le Pr Yadh Ben Achour a été le premier à ouvrir le débat en portant des appréciations générales qui traduisent sa déception devant les limites du texte, et son inquiétude concernant ce qu'il appelle le risque d'une dictature théocratique.
« Cette constitution représente la contre-révolution et peut conduire à une dictature théocratique, qui est la pire des dictatures, alors que la révolution avait appelé à la liberté et à un Etat civil », a-t-il affirmé.
Sur les méthodes de travail, le professeur s'étonne: « Il aurait dû y avoir des rencontres entre les constituants et un accord sur les principes généraux avant de commencer la rédaction. Des principes qui auraient été en phase avec la révolution», une révolution civile, aspirant à la liberté et plurielle.
« Or, il n'y a pas eu ces rencontres mais les commissions se sont lancées dans l'écriture partant de la feuille blanche; je vois personnellement que cette démarche a montré ses limites ».
Cela étant, il y a des points positifs comme l'article 3, fluidité de l'écriture et lisibilité et c'est un concentré des principes fondamentaux, et droits de l'Homme, la neutralité de l'administration... il ne manquait que la référence à la Déclaration universelles des droits de l'Homme. Mais cela peut être rattrapé, rassure-t-il. Le professeur regrette l'oubli de la mention de l'Etat de droit.
« Dans le contexte actuel de notre pays, il aurait fallu consacrer la liberté et lui donner la primauté, consacrer les droits de l'Homme dans leur portée universelle. Il faut dire que les atteintes au sacré sont tellement présentes dans ce projet que je me demande si nous sommes en train de jeter les fondements d'un Etat théocratique ou d'un Etat civil. Toutes ces valeurs qui portent atteinte aux libertés risquent d'ouvrir la voie à une dictature théocratique, la plus terrible d'entre toutes». Le Pr Ben Achour considère que nous sommes entrés dans une nouvelle phase qui trahit les principes de la révolution.
Ghazi Gheraïri : Un texte dense mais qui manque de clarté
Ghazi Gheraïri, président de l'Académie internationale du droit constitutionnel, rappelle que le texte qui fait l'objet de cette table ronde est un texte qui peut, et qui va certainement évoluer avant d'être présenté à la séance plénière de l'Assemblée nationale constituante et évoluera encore lors des première et deuxième lectures.
Le conférencier définit tout d'abord le préambule comme étant un texte qui donne le ton de la constitution et permet de déchiffrer le contenu de la constitution et admet que le texte est plus large et plus détaillé que le préambule de la constitution de 1959.
Il estime, néanmoins, que le 3e paragraphe est gavé de termes et de principes plus ou moins vagues et mal définis, les vidant quelque peu de leur sens : « Tout a été dit, mais les termes n'ont pas eu la place qui leur revient, c'est un texte dense qui manque de clarté »
S'appuyant sur le fait que les constituants ont fait le choix d'un préambule faisant partie intégrante de la constitution (et donc ayant force de loi), l'intervenant appelle à une révision de son contenu et surtout de la qualité de rédaction, afin qu'il soit à la hauteur d'une constitution digne de ce nom.
Le constitutionnaliste estime, d'autre part, qu'il y a un volonté de certains députés, au sein de la « commission de préambule et des principes généraux », de conférer à l'article premier de la constitution une suprématie sur le reste des articles.
Dans ce cas, nous nous retrouverons avec un composé d'un seul article puisque l'ensemble des autres articles doivent impérativement se soumettre au 1er article, ce qui n'est pas souhaitable dans une constitution.
Repris tel qu'il a été écrit dans de la constitution de 1959, le 1er article, selon l'intervenant, peut être étoffé d'autres affirmations qui s'imposent, compte tenu de la situation historique.
Il appelle à affirmer que la Tunisie est un pays civil et démocratique dans cet article d'une importance capitale.
Le professeur Gheraïri exprime également son désaccord avec la narration historique qui, selon lui, fait un saut temporel entre le combat pour l'indépendance et la révolution du 14-Janvier.
Il insiste sur le fait que les efforts de construction de la Tunisie indépendante ne sont pas négligeables, bien que tout n'ait pas été tout blanc.
L'autre point d'interrogation pour l'orateur, c'est la notion de droits de l'Homme, qu'on ne trouve nulle part dans ce projet de brouillon de la constitution, espérant que cet «oubli» sera rectifié par la commission de rédaction et de coordination de la Constitution
Répétant que la Tunisie n'est pas née constitutionnellement en 2011, il rappelle le principe de « non-régression constitutionnelle», considérant que dans l'état actuel des choses, ce brouillon est une régression par rapport à la constitution de 1959.
Slim Laghmani : La liberté de conviction
Nous avons demandé à M.Laghmani, professeur à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, de nous résumer son intervention :
«J'ai traité dans mon intervention de la question de la religion et j'ai particulièrement développé quatre questions: d'abord l'article qui affirme la liberté religieuse est insuffisant parce qu'il ne traite que de la liberté de conviction (Mootakad). Or il y a des gens qui n'ont pas de convictions, et c'est pour cela que dans les instances internationales, on ne parle pas uniquement de liberté de religion, mais également de liberté de pensée, de conscience, de religion, donc l'expression est insuffisante.
Deuxièmement, il y a un oubli et j'espère que c'en est seulement un. S'agissant de la pratique du culte, le projet ne parle pas de liberté, il dit simplement que l'Etat garantit l'exercice du culte. Il faut d'abord affirmer la liberté d'exercice de culte. C'est une lacune grave. Si c'est un oubli, il faut le rectifier, si c'est voulu, c'est grave.
Il faut alerter sur ce point-là, il faut reconnaître la liberté de pratiquer la religion, j'insiste.
Troisième point, la criminalisation de l'atteinte au sacré, qui m'a rappelé une loi votée au début du dix neuvième siècle en France, à savoir la loi contre les sacrilèges. Je tiens à dire qu'historiquement, nous avons dépassé cela. Ma critique porte sur deux points, d'abord la constitution n'est pas un code pénal, ce n'est pas le lieu de parler de cela et à supposer qu'on puisse en parler, si on criminalise les atteintes au sacré, pourquoi ne pas criminaliser aussi les atteintes à la liberté de religion. Nous avons vu ce qui s'est passé à Bizerte et ailleurs, il y a une véritable atteinte à la liberté religieuse et à la liberté de pensée. Par conséquent, si on criminalise les atteintes au sacré, on doit aussi criminaliser les atteintes à la liberté. Mais dans ce cas, ça ne prendra jamais fin. D'autres vont revendiquer la criminalisation des atteintes à la liberté d'association. C'est un article de trop qu'il faut à mon sens supprimer.
L'autre point concerne la religion du chef de l'Etat. Il est assez paradoxal que l'on exige que le chef de l'Etat soit musulman et que dans le projet présenté pour un régime dans lequel le chef de l'Etat est élu par le parlement, un régime un peu à l'anglaise, on n'a pas exigé que le chef du gouvernement soit de confession musulmane. De là découle ce paradoxe ; un chef d'Etat sans pouvoirs mais musulman, et un chef de gouvernement ayant l'essentiel des pouvoirs mais pouvant être non-musulman. En plus du fait qu'il y a la consécration d'une discrimination entre les citoyens tunisiens, et non la seule. Ce sont des discriminations qui portent atteinte aux principes pourtant affirmés dans la constitution, c'est-à-dire l'égalité de tous les citoyens devant la loi et l'égalité en droits.
Par rapport à la question de la religion, il y a également le fait que l'article final de la constitution considère qu'on ne peut pas réviser la constitution s'agissant de la religion de l'Etat. Il est clair qu'on voulait par là fermer la porte devant toute évolution laïque ou laïcisiste de la Tunisie. Mais là aussi, techniquement c'est faible, il suffira à la prochaine assemblée de voter la modification de cet article, qui interdit la modification, pour pouvoir modifier le reste des articles ensuite. Toutes ces techniques par lesquelles on veut verrouiller le pouvoir constituant, le droit comparé le montre clairement, sont vouées à l'échec. Personne ne remet en cause le principe que la Tunisie est un Etat musulman. Ça fait partie des rares consensus qui ont permis à cette assemblée de se réunir, de travailler ensemble justement se basant sur l'article premier de la constitution de 59».
Salwa Hamrouni : La non-discrimination
Après avoir rappelé les termes de l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, Salwa Hamrouni, universitaire, définit la non-discrimination comme étant une situation dans laquelle, il ne peut y avoir de différence d'ordre juridique entre les citoyens quelles que soient leurs différences.
Le brouillon de la future constitution hésite et se contredit, affirmant dans certains endroits l'attachement à l'égalité entre les citoyens et bafouant totalement ce principe dans d'autres articles.
Nous nous interrogeons, poursuit la conférencière, sur la nécessité d'insister sur les droits des femmes aux côtés de ceux de la famille (article 10). Selon elle, il aurait fallu insister sur les droits de l'Homme qui ont une signification beaucoup plus large.
L'intervenante critique dans le même sens l'article 22 et plus spécifiquement la notion «d'égalité devant la loi», estimant qu'il y a une différence entre une égalité devant la loi et une égalité dans la loi, car la première ne garantit pas des lois non discriminantes mais garantit uniquement l'application égale de la loi devant la justice.
La non-discrimination est restée sous la forme d'un slogan creux, selon l'intervenante, car il n'y a pas dans les textes de mention sur les éléments de non-discrimination, laissant la voie ouverte à des interprétations.
La notion de « complémentarité » de la femme à l'homme, ayant fait l'objet d'une large polémique, a également été critiquée par l'intervenante qui considère que le brouillon de la constitution ne reconnaît pas à la femme d'être indépendante.
L'égalité n'est pas uniquement une question homme-femme. La religion du président de la République qui doit être musulman est également à revoir.
Salsabil Klibi : Identité culturelle, identité citoyenne
Dans son intervention, Mme Klibi, enseignante à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, évoque la question des droits et libertés en ces termes :
«C'est une question fondamentale dans le projet de constitution et dans toute constitution, puisque l'objet même d'une constitution est une norme juridique qui garantit les droits et libertés de tous face aux pouvoirs politiques. La question qui se pose aujourd'hui pour la Constituante mais aussi l'attente des citoyennes et citoyens est l'approche par laquelle va être abordée la question des droits et libertés.
Cette approche est très soucieuse des restrictions légitimes aux droits et libertés, nous avons évidemment dans la constitution du premier juin 59 qui énonce un certain nombre de droits et libertés mais nous avons beaucoup souffert d'un renvoi à la loi dans les mêmes textes pour qu'elle organise l'exercice de ces droits et libertés. Mais ce que nous avons vu aussi c'est que le législateur a disposé d'un pouvoir discrétionnaire absolu qui lui a permis, au lieu d'organiser l'exercice des droits et libertés de les bafouer, de les nier. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui nous devons être très attentifs à cela et appeler l'assemblée à élaborer des critères précis pour le législateur dans une organisation de droits et libertés et encadrer le pouvoir du législateur.
Cinquante ans après on ne peut pas garder la même approche, si on la garde c'est que nous avons régressé. Mais encore, la plus grande régression par rapport à 59, c'est l'identité culturelle qui a éclipsé la construction de la constitution du projet à la place de l'identité citoyenne, alors que c'est cette identité qui est en mesure de garantir. Il ne faut pas penser identité citoyenne contre identité culturelle, il faut essayer de voir laquelle d'entre les deux peut garantir l'autre. Or ce que nous pouvons constater c'est que l'identité culturelle peut très vite dégénérer en une hiérarchisation des appartenances et des tendances culturelles qui elles-mêmes peuvent conduire très rapidement à des discriminations et à des exclusions. Or l'identité citoyenne doit être le seul critère d'appartenance à un seul Etat qui va garantir à tous quels que soient leurs penchants, appartenances culturelles linguistiques, religieuses ou autres, c'est elle qui va garantir l'égalité de tous. Il ne faut pas jouer avec ça, parce que ça peut aboutir à une décomposition de la société. Il ne faut pas opposer l'identité citoyenne contre l'identité culturelle, il faut essayer de voir laquelle est plus garante d'une cohésion et d'une pacification de la société.
Par ailleurs, la révolution a eu lieu pour garantir les libertés, le souffle libertaire est très faible par rapport aux attentes. Et l'absence de référence au droit international, la déclaration universelle des droits de l'Homme et les deux pactes de 66, alors que la Tunisie les a ratifiés sans aucune réserve, pourquoi ne pas les citer, où est le problème ? Le pacte des droits civils et politiques, le pacte des droits économiques, sociaux et culturels».
Amin Mahfoudh : Inventer un modèle de régime
Enseignant à la faculté de Droit de Sousse, M.Mahfoudh a déclaré qu'il y a une attente pressante pour choisir et définir le régime politique, or il considère que c'est un faux problème. En ajoutant que ce n'est pas à la Constituante de définir le futur régime politique.
Le régime politique se définit, selon lui, à travers un certain nombre d'éléments, et la constitution en est un mais non le seul, il y a le code électoral, la loi sur les partis politiques, les médias, le règlement intérieur des assemblées parlementaires plus le comportement des gouvernants. Tout cela participe au choix du régime, argumente-t-il.
Selon lui, il y a actuellement en France un débat sur la nature du régime politique français : certains disent que c'est un régime parlementaire et d'autres avancent que c'est un régime semi-présidentiel.
Pour le professeur, la Constituante devra se pencher sur l'étude et les mécanismes qui pourraient garantir la liberté et empêcher les pouvoirs de s'hypertrophier. Il faut chercher un équilibre entre les pouvoirs, c'est cela, il y a plusieurs outils et plusieurs façons de le faire.
Dans son argumentaire, M.Mahfoudh précise qu'il est impossible d'identifier un régime politique sur la base d'un projet de constitution pour ne pas dire sur la base d'une constitution déjà en vigueur, et celui qui prétend le contraire est un véritable cascadeur, parce qu'il pourrait se casser la gueule, lance-t-il. Il ne faut pas raisonner à partir de catégories existantes, il faut inventer des critères et inventer un modèle de régime.
Avant de conclure, l'enseignant précise qu'il y a le travail politique et le travail juridique. Les hommes politiques dans le cadre de la Constituante ont tranché un certain nombre de questions, mais pour les traduire en des normes juridiques, ils auront besoin des experts.
Farhat Horchani : On n'est pas partis d'une feuille blanche
L'enseignant universitaire Farhat Horchani estime que la rédaction du présent brouillon de constitution n'est pas partie d'une feuille blanche puisque plusieurs articles sont largement puisés dans la constitution de 1959 et parfois même copiés.
L'absence d'allusion aux traités internationaux interpelle le professeur Horchani qui y voit une fuite face aux engagements internationaux de la Tunisie.
La suprématie de la constitution face aux traités internationaux semble également déplaire au conférencier.
Selon l'intervenant, le flou règne également en ce qui concerne les conventions internationales sujettes à référendum car il n'existe pas de spécifications claires.
Le professeur fait remarquer que la place des conventions internationales dépendra de la nature du régime politique, c'est-à-dire que celles-ci seront sous la coupe du président de la République ou bien sous la coupe d'une autre institution républicaine.
Le brouillon de la constitution stipule également qu'un contrôle doit être fait sur les traités internationaux par l'Assemblée du peuple avant qu'ils ne soient signés par le gouvernement. Le professeur Horchani explique que le droit comparé révèle que le contrôle doit se faire avant la ratification et non avant la signature d'une convention internationale.
Chéfik Sarsar : Ne pas transformer les instances en coquilles vides
L'enseignant à la faculté de Droit et de Sciences politiques de Tunis a traité dans son intervention des instances constitutionnelles. Ces structures qui ont pour objectif de limiter de façon substantielle le pouvoir exécutif, dans la mesure où elles sont indépendantes par rapport au pouvoir exécutif.
Il y a cinq instances, nous apprend-il, il y a à dire sur le choix qui a été fait pour ces instances ainsi que les garanties qui les régissent. «Choisir une instance sans lui assurer les principes qui garantissent son bon fonctionnement s'apparente à créer une coquille vide », compare-t-il.
Ainsi, trois instances relèvent d'un choix judicieux, en répondant à un besoin réel, à savoir l'instance relative aux élections, celle chargée de la régulation de l'audiovisuel et celle relative à la bonne gouvernance.
A propos de l'instance des élections, le Pr Sarsar précise que « nous avons fait un choix, celui d'organiser les élections à travers une instance indépendante, il n'est plus question de revenir au ministère de l'Intérieur, il faudra donc constitutionnaliser cette instance. Dans cette instance, cinq normes internationales sont consacrées : l'indépendance, la neutralité, la qualification, le professionnalisme et la continuité. Le travail qui a été fait par la commission constitutionnelle, en consacrant les principes et les garanties, mais le problème se pose au niveau des commissions législatives, nous ne sommes pas dotés d'un texte qui organise cette instance».
Concernant l'audiovisuel, il est indispensable également de réguler ce secteur en dehors des ministères.
Pour ce qui est de l'instance de la bonne gouvernance, ce sera une instance chargée essentiellement de combattre la corruption.
Une autre haute commission est chargée des droits de l'Homme, dont la composition telle qu'elle est proposée suscite un doute quant à son indépendance.
Une autre commission contestable est celle pour le droit des générations futures. Il y a une interférence entre les deux, argumente l'intervenant, une redondance parce que les droits des générations futures relèvent des droits de l'Homme.


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