Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
"C'est au gouvernement d'assainir le climat des affaires et le climat social" Quelle Politique monétaire aujourd'hui ? - Entretien avec le Dr Abdel Rahmen El Lahga, économiste conseiller auprès de l'Ugtt
Les répercussions de toute politique monétaire, expansionniste ou restrictive, sont directement ressenties par les ménages. En effet, les consommateurs ajustent leurs comportements sur le marché, notamment dans leurs courses quotidiennes et leurs programmes d'achat à long terme, au rythme de l'accroissement des fonds disponibles. Parallèlement, les producteurs ajustent leurs prix à l'intensité des nouvelles demandes solvables. Ce qui favorise de nouveaux équilibres sur le marché, principalement en matière de prix, qui pourraient s'avérer durs pour les budgets des ménages. Face à ces scénarios, le principal défenseur des intérêts des travailleurs dans leurs entreprises, mais aussi des conditions de vie de cette large frange sociale, la centrale ouvrière, est en mesure de veiller de près sur toutes les conséquences des différentes politiques. Pour discuter des effets de la politique monétaire menée jusque-là et prévoir la politique à adopter à court et à long terme, on a rencontré le Dr Abdel Rahman El Lahga, économiste conseiller auprès de l'Ugtt. Selon l'expert, la politique monétaire adoptée durant cette phase de transition a été dictée par la conjoncture économique des débuts de 2011. «Cette politique expansionniste avait pour objectif la stimulation de la demande intérieure et le maintien de la confiance dans le système bancaire», rappelle-t-il. Car, suite à la révolution, on a assisté à des retraits massifs d'argent, à une véritable course aux guichets des banques. Il martèle : «La politique expansionniste était la solution». Mieux encore, il estime que, plus généralement, la BCT a joué pleinement et efficacement son rôle. Toutefois, cette politique n'est pas sans effets indésirables, à l'instar de tout autre choix. Les tensions inflationnistes figurent, à cet effet, au premier rang des effets néfastes d'une politique expansionniste. Mais «la politique monétaire n'a été qu'en partie la cause de l'inflation enregistrée en 2011», précise l'économiste. Entre autres facteurs, la crise libyenne, les circuits de distribution, les comportements spéculatifs... sont aussi les déterminants de ces niveaux inhabituels d'inflation. Compte tenu de ces niveaux records, plusieurs experts et organisations jugeaient qu'on aurait pu mieux faire. A cet égard, le conseiller de l'Ugtt réagit : «Théoriquement, la conjoncture de l'exercice 2011 dictait une politique expansionniste. Pour ceux qui prétendent qu'on aurait pu mieux faire, il faudrait, plutôt, en préciser le comment». Sur un autre plan, les timides effets positifs de l'injection de la monnaie ont tardé. En d'autres termes, ni l'investissement, ni l'emploi, ni le bien-être des citoyens n'ont évolué au cours de cette période. D'où, il s'est avéré que la baisse des taux d'intérêt pour générer des investissements supplémentaires n'est pas aussi systématique que l'on croyait. Autre précision: «La réussite d'une politique ne dépend pas seulement de ces facteurs et elle n'est pas mécanique ou figée», relève l'expert. Et de préciser : «Les conséquences escomptées de l'injection de la monnaie dans le circuit économique est largement tributaire du climat des affaires et du climat social». Donc, les effets de cette politique expansionniste ont été limités par la conjoncture spéciale du pays. En somme, ni la réduction des taux de réserves obligatoires des banques, ni la révision à la baisse du taux directeur n'ont engendré une augmentation des investissements. Pour l'année 2012, M. El Lahga estime : «La BCT a épuisé toutes les marges de manœuvre de la politique monétaire en 2011, et ce, pour sauver l'économie nationale». Dans cette perspective, la BCT ne peut plus se permettre de baisser encore le taux directeur. «Il faut chercher d'autre solution», insiste-t-il. Et d'ajouter «C'est au gouvernement d'assainir le climat des affaires et le climat social». Donc, d'après la centrale ouvrière, la solution est par excellence politique. Parallèlement, on dispose de marges de manœuvre, «assez mal exploitée», en matière de politique budgétaire, «malmenée», selon l'expert. Et ce qui est préoccupant, ajoute-t-il «le déficit budgétaire a atteint 6% sans pouvoir réaliser aucun des objectifs. Pis, ces objectifs ne sont pas clairs». Et de renchérir «Si le gouvernement avait un programme clair, on pourrait accepter des déficits budgétaires plus importants». Quoi qu'il en soit, il faut avoir la clairvoyance nécessaire pour arrêter les plans appropriés en vue de ramener les indicateurs macroéconomiques des prochaines années à des niveaux acceptables. Par ailleurs, la politique monétaire ne peut en aucun cas assurer à elle seule une relance soutenue de l'économie. «Une économie se joue sur la sphère réelle», souligne-t-il. D'où, il convient de conjuguer les politiques pour sauver l'économie nationale. S'attardant sur la politique de change, l'économiste relève que «la dépréciation continue du dinar est un choix stratégique délibéré de la Tunisie». La compétitivité du site tunisien est basée sur des bas salaires et un faible dinar. A court terme, il juge que personne n'est en mesure d'arrêter cette dépréciation. Mais à long terme, il faut revoir tout le modèle de développement économique. S'agissant des réserves en devises, l'expert estime que la BCT a réussi à maintenir des stocks acceptables dépassant les 90 jours d'importation. «Il n'y a pas de quoi s'inquiéter», rassure-t-il. Réformer le système bancaire au plus vite Parmi les reproches qu'avance la centrale ouvrière est «l'énorme retard» accusé dans le traitement du dossier de la réforme du système bancaire. «La situation post-révolution imposait une évaluation du secteur et de sa participation dans le financement de l'économie, de son mode de gestion, de la taille des banques... », mentionne-t-il. Sous d'autres cieux, notamment en Espagne, illustre-t-il, en deux mois, une évaluation de la situation, des besoins des banques et des mesures à prendre ont permis de lancer un plan de sauvetage de 64 milliards d'euros injectés par l'Union européenne. «Il faut faire vite!», n'a cessé de répéter le conseiller de l'Ugtt. Surtout que ces retards envoient des signaux préoccupants à nos partenaires. Pour ce qui est de l'indépendance de la BCT, il considère qu'il s'agit d'un faux problème qui passe à l'arrière-plan des tensions politiques. A cet égard, il prévoit une dégradation inévitable de la note souveraine de la Tunisie suite au limogeage du gouverneur sans arguments convaincants. «Probablement, il est temps de réviser les statuts de la banque des banques», s'interroge-t-il. En guise de conclusion, le conseiller insiste : «La solution est une solution politique par excellence». Car on assiste à un essoufflement de la politique monétaire. Ainsi, «le gouvernement doit rattraper le retard accusé lors de la préparation et la réalisation du budget. De même, on doit annoncer un programme économique clair pour rassurer les ménages et les investisseurs». Toute politique doit veiller au maintien de la demande intérieure en renforçant le pouvoir d'achat des ménages tunisiens. Bien que limité, le marché national pourrait amortir les chocs économiques.