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La polygamie, ou la promesse d'une société brisée
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 10 - 09 - 2012


Par Hédi CAMMOUN *
La polygamie désigne à la fois la polygynie dans laquelle l'homme dispose de plusieurs épouses, et la polyandrie, qui permet à la femme d'avoir plusieurs conjoints, comme ce fut le cas dans nombre de contrées dès l'Antiquité, et comme c'est encore le cas de nos jours dans certains pays. Cette précision sémantique souligne le caractère universel et non discriminatoire de cette institution.
Héritée par l'Islam des coutumes de l'Arabie tribale polythéiste, la polygamie — nous garderons l'appellation commune pour désigner la polygynie — a été mise hors la loi par Bourguiba sur la base de certaines dispositions du Coran, mais n'a jamais véritablement quitté le tréfonds de l'esprit du Tunisien. A la faveur de la résurgence de l'islamisme ces dernières décennies et de son succès électoral récent, le thème refait surface et les langues se délient pour redorer le blason de cet anachronisme. Contournant les conditions coraniques draconiennes auxquelles elle fut soumise, ses partisans n'hésitent pas à y voir la solution vertueuse pour les femmes célibataires et le moyen d'assainir ainsi une société « minée », dit-on, par le libertinage, la prostitution et l'augmentation du nombre des mères célibataires. Edictée par le Coran pour limiter le nombre d'épouses à une époque où elles ne se comptaient pas, la voilà donc chargée aujourd'hui d'une œuvre de salut public. Si « la société n'est rien si elle n'est accompagnée de vertu », faut-il pour autant croire que le remède à la «décadence des mœurs» passe par un pouvoir accru de l'homme, travesti en engagement masculin désintéressé ? En réalité, la problématique que pose la polygamie s'articule autour de deux axes principaux étroitement liés et étrangers aux préoccupations humanitaires de ses partisans. Il s'agit, d'une part, de la satisfaction des besoins sexuels de l'homme et, d'autre part, du droit à la répudiation, qui l'optimise.
Sexisme primaire et mythe de la virilité
La performance sexuelle fait partie des «qualités» masculines que l'on attribue à la virilité, une appellation qui vise en fait à anoblir, chez l'homme, la pulsion sexuelle physiologique présente dans le règne animal et propre aux deux genres. Discriminatoire, le concept de virilité hiérarchise ainsi le besoin sexuel, glorifié chez l'homme et décrié chez la femme. Confisquée, l'activité coïtale établirait de la sorte la suprématie de l'homme. Sacralisée par ses partisans, la polygamie se met donc au service du profane. C'est son versant libidineux. Ses défenseurs avancent toutes sortes de raisons « objectives », surdimensionnant les capacités et les besoins sexuels dont l'homme serait «naturellement» doté, et réduisant ceux de la femme — censée être sexuellement passive — au rôle qui lui échoit tout aussi «naturellement», celui d'en être le simple réceptacle. Ainsi singularisé, le statut sexuel de l'homme lui confère des droits que plusieurs épouses, avec ou sans émotion, sont tenues de satisfaire.
Cette vision sexiste primaire du rapport homme-femme, du trop-plein sexuel du mâle de tous les droits, et de la vacuité de la femme de toutes les concessions, veut ignorer l'évolution des mentalités, les profondes transformations sociales et les progrès de la connaissance scientifique. La prostitution et le libertinage ne sont pas le fait de la «nature physique» de la femme, comme on aime à l'en accabler. A preuve, la prostitution masculine. En ce domaine le rôle de l'homme, on veut l'oublier, est de premier plan. Si les mœurs sont dissolues, elles le sont par et pour cet homme, dont on légitime et glorifie les besoins «naturels» et dont la conduite sexuelle, qui est toujours portée à son actif et jamais ne le discrédite, rencontrera la bienveillante complaisance qui sied à son statut. Et comme sa silhouette ne portera jamais les signes de l'adultère, il bénéficiera d'une présomption d'innocence et demeurera l'anonyme père génétique de l'adultérin sans père. Et c'est elle, la mère, bouc émissaire, qui sera stigmatisée et couverte d'opprobre. Une impunité de fait que l'homme cumule avec le droit charaïque de s'ébattre au gré de ses pulsions et des combinaisons partenariales dans le cadre vertueux de la polygamie.
Les progrès scientifiques confirment le caractère mythique de la virilité et, partant, celui du statut sexuel que s'attribue l'homme. La contraception en est la meilleure illustration. En libérant la femme de la crainte d'une grossesse non désirée, elle introduit de facto un rapport à l'acte sexuel différent chez les deux époux. A l'abri de ce risque, la femme peut rehausser ses désirs sexuels au niveau de ses besoins. L'homme fait face alors à une demande qui, non satisfaite, révèlera ses insuffisances. Ce qui était pour elle un risque modérant ses envies, pouvait donc être pour lui un alibi masquant ses limites. Pour les époux monogames, l'entente solidaire vise à préserver leur couple. Dans la famille polygame, la relation sexuelle se fait et se défait au gré de l'appétit masculin tiré vers le haut par l'interchangeabilité des partenaires. La polygamie n'est donc pas une réponse à la vigueur sexuelle de l'homme mais une institution permettant, sans cesse, de relancer sa libido. La «pilule» pour homme, qui supplée l'insuffisance, «l'impotence», disent les spécialistes, joue le même rôle que l'interchangeabilité, montrant par là même que la virilité, à tous âges , est à la fois culture de la domination et son tendon d'Achille.
Polygamie et répudiation : un couple indissociable
Pour minimiser l'anachronisme de la polygamie, ses partisans les plus modérés dédramatisent le débat, soutenant que l'impact en sera de toute façon réduit et que le souci de la rétablir répond essentiellement au principe de mettre formellement la société en conformité avec sa religion. On admettra volontiers que sa mise en œuvre se heurtera à bien des obstacles, à commencer par la résistance des femmes dont la condition a, en effet, profondément changé depuis l'indépendance. La femme s'est affranchie de nombre de tabous grâce à son émancipation culturelle et à ses compétences professionnelles, et l'estime de soi retrouvée la rend légitimement plus exigeante et peu encline à se soumettre à l'égoïsme masculin travesti en précepte religieux.
Il y a cependant péril en la demeure. La polygamie, quelle qu'en soit l'assiette sociale, introduit de jure le droit à la répudiation. Les deux sont indissolublement liés. Celui-ci, tapi à l'ombre de la première, est le véritable et insidieux enjeu. La polygamie, parée d'une légitimité religieuse et de vertus sociales est plus facile à revendiquer haut et fort que son alter ego, passé sous silence pour mieux passer dans les moeurs. Comme jadis, pour des raisons évidentes, avoir plusieurs femmes ne sera le fait que d'une minorité. Mais ce qui est recherché, ce n'est pas le nombre, mais la facilité donnée à l'homme de se débarrasser de l'épouse en exerçant un pouvoir discrétionnaire : le droit à la répudiation. Sans lui, la polygamie est d'un coût prohibitif. Sans cette épée de Damoclès, point de soumission. Il est l'instrument du pouvoir masculin, fait pour dissuader toute résistance et permettre à l'homme de gérer en maître absolu ses rapports sexuels ou autres, avec son ou ses épouses.
A tout moment l'époux pourra se libérer pour, de nouveau, convoler en justes noces dans le cadre de la polygamie ou de ses deux autres variantes : le mariage temporaire (al mut'a) et le mariage coutumier (orfi) ), «une forme de soumission de la femme qui offre son corps à l'homme, en contre partie d'un engagement factice et temporaire»(Dalenda Larguèche, France 24). Autant parler de légalisation du sexe hors religion, voire de prostitution. Servi à la carte, l'homme trouvera ainsi en chaque femme, consentante avec ou sans plaisir, la généreuse abdication de son humanité qui le sauvera de l'adultère. Tout est fait, on le voit, pour le maintenir dans le confort de l'orthodoxie vertueuse.
Mais alors, face à cet appétit sexuel masculin légitimé, glorifié et «profondément enraciné» au point d'en être tyrannique, qu'en est-il de cette image fantasmatique de la femme, cet objet satanique du désir, ce maléfique pôle de séduction, coupable par essence, exposant à la transgression l'homme—si vulnérable dans sa vertueuse virilité — et menaçant l'ordre social et moral ? De quel pacte avec le sexe, cette sorcière est-elle donc accusée pour qu'elle ne soit tolérée qu'en étant l'ombre d'elle-même, une ombre chinoise derrière le voile de la réclusion ? La polygamie ? Quelle infamie ! Un remède pour sauver la femme et moraliser la société ? Quelle infâme hypocrisie!
De l'imbroglio social à « la solution finale »
Le rétablissement de la polygamie créerait une situation inextricable. Au moins deux scénarii sont possibles. Celui où elle s'appliquerait avec effet rétroactif mettra de jure la femme mariée dans la situation d'être répudiable. Son statut de citoyenne à part entière en sera ainsi ravalé à ce qu'il fut du temps de la colonisation et son foyer connaîtra la menace d'éclatement du fait des droits ouverts à l'époux. La société connaîtra la discrimination qui prévalait avant le Code du statut personnel, donnant aux homme le «droit» charaïque de changer d'épouse ou d'en avoir plusieurs, et imposant aux femmes le «devoir», tout aussi «sacré», d'être consentantes. Dans le second scénario, la loi ne s'appliquerait qu'aux mariages à venir. Elle scinderait alors la société en deux. D'un côté les familles monogames, bourguibiennes, respectant l'esprit du Coran. De l'autre, les familles polygames respectant l'esprit nahdhaoui. Il y aurait ainsi des époux inégaux en droit conjugal, et deux catégories d'épouses d'inégale citoyenneté. Celles bénéficiant du droit positif et celles soumises à celui de l'homme. Le tout pouvant être couronné par le drame qui naîtrait d'un mélange des genres : des époux monogames contraints par l'amour qui étreint leur fille, à s'allier à une famille polygame. Un vrai «choc des cultures»
En cette phase de post-révolution inachevée — et déjà confisquée — où il convient de parler d'hiver islamiste et non plus de printemps arabe, un révisionnisme moyenâgeux se saisit du pays au pas de charge. C'est un esprit revanchard contre Bourguiba et sa vision moderniste, et contre la femme qui en a bénéficié, qui anime les forces passéistes que la perverse démocratie du nombre a portées au pouvoir. La révolution a éclaté parce que la société avait besoin de valeurs libératrices, la voilà prise dans la nasse des valeurs intégristes. Les verrous langagiers et institutionnels de Ennahdha et de son chef suprême, la poussent sur le chemin d'un réarmement moral «vertueux» d'un autre âge. Le but est sa refondation sur la base d'une conception inégalitaire archaïque des rapports économiques, sociaux et individuels entre l'homme — père, frère, époux, voisin ou simple passant — et la femme, aussi bien au foyer que sur le lieu du travail ou dans la rue. Pour les islamistes, ce statut d'infériorité («la femme complémentaire de l'homme») est central dans la Chariaâ. Dans leur esprit, «la religion l'institue comme fondement de l'organisation juridique et sociale du pouvoir politique» (Hajer Karray, La Presse du 05/9/12). Il n'est donc pas négociable à leurs yeux. Ils sont prêts en revanche à abandonner l'amputation et la lapidation, transigeant ainsi avec la sacralité de cette même Chariaâ aux fins de l'humaniser.
Le Code du statut personnel a restitué son humanité à la société nouvellement libérée du colonialisme et des archaïsmes. La révision de la servitude entreprise par les islamistes dès sa libération de la dictature de Ben Ali, vise à la lui retirer. L'avenir qu'on nous propose est la reproduction du passé, qui n'est envisageable qu'en ravalant le statut de la femme, fruit de plus de cinquante ans d'Histoire. C'est dans l'essence du dogmatisme religieux de prétendre que la « nature » de la femme — faible, instable, périodiquement impure et handicapée — relève du tutorat, et que «les droits de la femme dérivent des droits de la femelle» (Iadh Ben Achour :La deuxième Fatiha ). Ouvrière, paysanne, enseignante, médecin, cadre ou ingénieure, elle est pour le dogme, d'abord et avant tout, une forme charnelle vouée au confort de l'homme et à la maternité. Tout le reste n'est qu'habillage et représentation. En tant qu'épouse d'un polygame, elle est «engagée» sous conditions, dans le cadre d'un «contrat à durée déterminé» où elle trouve, certes, sa pitance et son badge de femme mariée, mais dans une relation avilissante de totale soumission souvent porteuse de violence. Une violence poussée à l'extrême par les prêches d'obscurs individus venus d'ailleurs qui s'en prennent à son intégrité physique.
En effet, si dans la polygamie, la domination de la femme s'exerce sur son corps voire sur son esprit, elle ne détruit pas son objet, qui peut même s'élever au dessus de son rang. L'esclave épouse bien son maître. L'irrémédiable n'est donc pas consommé dans l'assujettissement. Il en est autrement quand, allant au-delà, des prédicateurs exprimant leurs fantasmes morbides étrangers à l'Islam, trouvent la complaisance de ceux qui nous gouvernent et l'oreille subjuguée des dévots de tous bords, pour prêcher, en l'auréolant d'un halo religieux, la mutilation de l'objet du désir, odieusement présentée comme une opération hygiénique. Possédé par l'obsession de sa jouissance exclusive et celle, haineuse, de la «souillure» sexuelle de la virginité, l'intégriste prépare l'avenir sexuel de l'homme en s'attaquant à l'organe génital de la fillette. Il y laissera les stigmates de l'irrémédiable mutilation physique, psychique et physiologique qui fera à jamais de la femme qu'elle est censée devenir, une simple procréatrice avilie dépossédée de son humanité. Ce n'est pas par hasard que le castrateur de la sexualité féminine s'en prend à ce qui fait de la femme, par nature, son égale physiologique. De la polygamie à l'excision, l'intégriste franchit le pas vers la barbarie. «L'être disposé à jouir, seul, troque son identité contre celle de la sous-animalité», écrit Khali Zamiti ( Réalité N°1365). Et le curseur de la dégradation de la femme, statut social et corps confondus, n'est pas en fin de course. Après le foulard, la burqa, la polygamie et la mutilation sexuelle, à quand le prêche pour le crime d'honneur, la «solution finale» ?
* (Intellectuel tunisien)


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