Pour tenter de discréditer un président sortant, un candidat aux élections présidentielles américaines, lorsqu'il se trouve en manque d'idées pragmatiques et réalistes, n'a d'autre alternative que tout faire pour dénigrer la politique étrangère de la Maison-Blanche. La recette est bien classique et le candidat républicain Mitt Romney le sait très bien. Or l'idée d'un «Printemps arabe» porteur d'un vent de liberté, de démocratie et de paix constitue l'un des arguments forts de la campagne électorale actuelle d'Obama. Sauf qu'il est difficile à un président américain, aussi doué pour la rhétorique soit-il, de défendre sa politique étrangère quand ses émissaires se font attaquer et tuer un peu partout dans les pays arabo-musulmans. D'autant qu'il s'agit de pays post-révolutionnaires tels que la Tunisie, l'Egypte ou la Libye censés être reconnaissants à l'égard de l'Administration américaine, administration qui était la première à saluer et à soutenir leurs soulèvements populaires dans l'atermoiement européen et l'indifférence russo-chinoise. Dans cette optique, l'attaque de l'ambassade et de l'école américaines à Tunis par des groupes salafistes, le vendredi 14 septembre, ne peut qu'être nuisible à un Obama qui a misé sur la transition démocratique tunisienne et ne peut, par ricochet, qu'être profitable à un Romney qui taxe déjà son adversaire de naïveté et d'irresponsabilité. Mais la question qui se pose n'est pas celle de savoir pourquoi s'attaque-t-on, en Tunisie, aux représentations américaines mais plutôt comment cela a-t-il pu arriver? Il est impensable que le gouvernement ait ignoré que les salafistes planifiaient déjà leur attaque. Pour la majorité des Tunisiens pour peu qu'ils soient réalistes, cette attaque était plus que prévisible. Tous les ingrédients sont là : un film (ou un montage vidéo) qui parodie le Prophète circule sur le web et fait enflammer tout le monde musulman, des groupuscules virtuels tunisiens appelant sur les réseaux sociaux à aller manifester devant l'ambassade de «Satan», des attaques perpétrées contre les ambassades des Etats-Unis un peu partout dans le monde arabo-musulman, etc. Bref, «l'espace-temps », c'est-à-dire «l'ambassade américaine-prière du vendredi», en tant que représentation, était devenu identifiable. Il est tout aussi impensable que le gouvernement n'ait pu contenir le mouvement de foule. Et ce, pour deux raisons essentielles. Tout d'abord, et par le passé, les forces de sécurité tunisiennes ont démontré qu'elles étaient capables de gérer des débordements de foules de plus grande ampleur (même le 14 janvier 2011, les dizaines de milliers de Tunisiens n'ont pas pu accéder au ministère de l'Intérieur pourtant se trouvant sur une artère principale de la capitale). Ensuite et surtout, l'ambassade américaine, de par son emplacement était, sur le plan urbain, hautement sécurisée. Il suffisait de verrouiller deux ou trois ronds-points pour que le bâtiment devienne une forteresse inexpugnable. Or, malgré tout cela, des groupes salafistes ont pu accéder à l'ambassade, brûler des installations, et, sans l'intervention in extremis des militaires, l'ambassadeur américain aurait pu connaître le sort tragique de son confrère à Benghazi. Par conséquent, une question brûlante s'impose : à qui profite tout cela ? Le gouvernement actuel, jusque-là soutenu diplomatiquement par les Américains, joue-t-il avec le feu? L'accord moral avec l'Administration Obama préconisant notamment une feuille de route claire et chronologiquement rationnelle pour une transition démocratique en Tunisie a-t-il été définitivement résilié avec l'attaque de l'ambassade américaine ? Le candidat conservateur Mitt Romney a-t-il promis, s'il battait Obama, un accord qui favoriserait le pouvoir en place au détriment d'autres forces politiques qui ont le soutien de l'actuelle administration américaine, assez progressiste ? Machiavel disait : «Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner», or l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis ne contente pas le peuple tunisien et ne ménage pas les grands du bureau Ovale ; à moins que les grands, quand ils s'approchent des échéances électorales, deviennent très fragiles et il faudra par conséquent miser sur ceux qui pourraient leur succéder.