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Le courage de partir, la peur de rentrer
Reportage - Récit d'une traversée fatale à Lampedusa
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 09 - 2012


Par notre envoyé spécial Chokri BEN NESSIR
La Presse — Pour les géologues, c'est une certitude, ce confetti d'Italie égaré en pleine Méditerranée, est une petite île africaine. Il n'empêche, depuis quelques années, elle est devenue la porte de l'Europe aux yeux de milliers d'émigrants fuyant la pauvreté et la violence. Cette île située à l'extrême sud de l'Europe est devenue, depuis, un passage plein d'espoir pour ceux qui avaient bravé tous les dangers.
Ultime étape sur leur parcours d'exil, Lampedusa est une escale d'évidence vers un espoir de vie meilleure. C'est là, sous le regard impavide de la Madonne de Porto Salvo, protectrice de l'île et de ses 6000 habitants, que finissent par échouer les coques de noix sur lesquels arrivent des cohortes de clandestins.
Onze jours d'attente
Ajroudi, originaire de Jbedda, est l'un des rescapés du dernier naufrage au large de l'île de Lampionne. Ce jeune âgé de 24 ans, a été le premier à appeler le 112, numéro des secours maritimes italiens. «J'ai pris les coordonnées téléphoniques des secours italiens ainsi que d'autres informations géographiques concernant la route maritime vers Lampedusa, chez un ami pêcheur qui connaît bien les côtes italiennes», raconte le jeune miraculé qui a passé près de sept heures en mer avant de rejoindre à la nage l'île de Lampionne. «Après moi c'est Ines (morte noyée lors du naufrage) qui a appelé le même numéro. En tout ce sont quatre appels téléphoniques de quatre cellulaires tunisiens qui ont confirmé l'urgence et l'imminence du sinistre auprès des autorités italiennes».
Bien qu'un hélicoptère des gardes-côtes ait été dépêché sur les lieux du naufrage alors que seule la proue du chalutier émergeait encore de l'eau avec des dizaines de personnes agrippées à ses bords, les frégates de secours ont tardé à venir affirme, Aymen.
Comment sont-ils partis de Tunis ? «J'ai pris un louage avec quatre autres amis en direction de Sfax, puis un Taxi pour Al Mansoura. Là, notre contact nous a conduits vers une maison à bord de l'eau. Dans cette maison, nous avons trouvé douze autres personnes, toutes originaires d'El Fahs, qui étaient là depuis onze jours déjà. Nous devions partir le jour même soit le 5 septembre, mais le passeur a finalement décidé de reporter au lendemain la date du départ à cause du niveau assez élevé de sécurité qui ne permettait pas un départ sans pépins. Nous avons alors passé la nuit dans cette maison. La plupart des personnes étaient soules et droguées» affirme –t-il.
Un mauvais présage
«Le lendemain soir, dès que la marée haute a été constatée, le Raïs a ordonné l'embarquement à bord du chalutier», se remémore également Ahmed Zarrouk, 27 ans, originaire de Bab El Jedid, un autre rescapé du naufrage qui se considère né de nouveau le 7 septembre, jour du drame. Cependant, le chalutier a été tellement surchargé de harragas, que la coque s'est enlisée dans le sable, empêchant la barque d'appareiller. Le Raïs met les gaz à fond sans succès. Le moteur grondait à plein régime mais la barque ne parvenait pas à prendre le large. On demanda alors aux passagers de débarquer, de se faire discrets et de pousser la barque dans l'eau jusqu'à atteindre le tirant d'eau qui lui permettra de naviguer facilement. Voyant cet incident comme un mauvais présage, certains des passagers ont préféré renoncer au voyage » ajoute Aymen, qui récidive pour la troisième fois avec le même passeur. C'est alors que la passeur, dont le surnom selon les témoins serait Phillips, leur a asséné «Vous êtes libres de partir mais oubliez vos sous, il n'y aura aucun remboursement». A son tour, le Raïs a intervenu pour rassurer les passagers en leur disant «Ne vous inquiétez pas. Ce chalutier vient à peine de quitter le chantier naval. Il n'a que quatre mois d'âge, son moteur est flambant neuf et très puissant». Il a fallu plus d'une heure pour larguer les amarres et mettre le cap sur les côtes de Soliman. «Pendant plus d'une heure, le moteur du chalutier tournait à plein régime et consommait d'énormes quantités de gasoil», affirme Toukabri, le seul rescapé sauvé des eaux par héliportage. Il affirme que les quantités de fuel n'étaient pas suffisantes pour atteindre les côtes italiennes. D'ailleurs, c'est au large de Soliman que le moteur fait sa première panne. Très vite, le mécanicien ravitaille de nouveau le réservoir par des quantités de fuel qui se trouvaient à bord et redémarre le moteur. Quelques milles après, avant de gagner les eaux internationales, une patrouille des gardes-côtes tunisiens demanda aux immigrants de rebrousser chemin. Mais le Raïs refuse de se conformer aux ordres. «Ils n'étaient pas nombreux à bord et l'un deux nous filmait avec la caméra vidéo de son téléphone portable, tandis qu'un autre agent nous lançait : vous êtes sûrs de ne pas vouloir faire demi-tour ? », rapporte toujours Toukabri. Mais «face à la détermination du groupe, ils nous ont fait un signe d'adieu et nous ont laissés continuer notre chemin», souligne encore Toukabri. Mais au moment où les clandestins ont pensé gagner leur billet d'aller en Italie à cause de cette chance inouïe de tomber sur une patrouille qui n'a pas cherché à avoir maille à partir avec les clandestins qui peuvent faire montre d'agressivité, de nouveaux pépins avec le moteur ont commencé à apparaître. S'avançant dans les eaux internationales, ils ont la chance de tomber sur des pêcheurs tunisiens qui s'adonnaient à la pêche illégale. Le Raïs qui a reconnu l'un des membres de l'équipage, leur a demandé, de le dépanner avec du fuel. Ils lui ont donné un seul bidon de gasoil tout en lui recommandant de mettre le cap sur l'île de Lampionne qui n'était distante que de 30 km et de demander secours aux Italiens en cas de besoin.
Visages tendus
L'idée n'était pas mauvaise surtout que l'ambiance à bord commençait à se faire pesante. Après une demi-heure de navigation, le moteur a commencé à donner de nouveaux signes d'essoufflement. Les visages tendus, les passagers sentaient que la barque commençait à s'enfoncer dans la mer. Ayant constaté une voie d'eau accompagnée d'une panne électrique intermittente entraînant une avarie mécanique, le mécanicien a demandé l'aide de quelques passagers pour évacuer l'eau avec des seaux. Au grand dam des autres passagers, un mouvement de panique s'empara de ceux-ci dès qu'ils ont constaté le niveau important d'eau dans la cale.
A ce moment-là, le Raïs annonce la bonne nouvelle : «Voici la balise du phare de l'île de Lampionne». Cette annonce a eu l'effet contraire puisque les clandestins se sont tous mis debout pour voir l'île. Pourtant, avant le départ, la consigne était de ne pas bouger de sa place sous n'importe quel prétexte. Et que même pour faire leurs besoins, les clandestins devaient se contenter des bouteilles en plastique dont les bouts ont déjà été coupés avant le départ. C'est cette position debout qui bascula à l'arrière la barque, déjà enfoncée à moitié dans l'eau. « Sauve qui peut », s'écria le capitaine. Et d'ajouter : «Otez vos vêtements et partez à la nage, l'île n'est pas loin», lança-t-il avant de plonger à l'eau. «J'étais le quatrième ou le cinquième à suivre l'instruction du Raïs, les autres étaient figés à leurs places, certains d'entre eux pensaient peut-être qu'une fois la barque allégée de son fardeau, elle reprendra son équilibre», explique Aymen qui passera plus de sept heures dans l'eau avant de rejoindre à la nage l'île. «On voyait nos compagnons sombrer avec la barque sous les eaux. On entendaient ceux qui ne savaient pas nager, réciter la Chahada et psalmodier le Coran», se remémore Ahmed.
Panique et crises d'hystérie
Vingt minutes après, ils aperçoivent une vedette allemande. Au grand dam de ceux qui flottait encore sur l'eau, les appels au secours en italien lancés en direction de cette vedette,«Ayoutou, Ayoutou», furent sans suite. Tout au long des longues heures qui suivirent le drame, la fatigue commençait à faire son effet. Avant leur noyade, certains nageurs ont souffert de crises d'hystérie. «Il faisait noir et j'entendais l'un de mes compagnons de voyage appeler un taxi en pleine mer. Puis il s'est tu à jamais», ajoute Aymen qui est parvenu à rejoindre les côtes de l'île de Lampionne avec 44 autres clandestins. Les autres (douze en tout) ont été repêchés par les gardes-côtes.
« Le bilan du naufrage est très lourd, près de 80 personnes sont portées disparues, dont 17 originaires du Djbel Lahmar, dix d'El Fahs», affirme Ahmed que les secouristes ont trouvé en état de choc comme le reste des rescapés.
Conditions inhumaines
Aujourd'hui, ils logent tous au centre d'accueil de Lampedusa. Tête de pont entre l'Europe et l'Afrique, l'île a vu passer plus des milliers de clandestins. Pis encore, l'Organisation mondiale de la migration, estime à plus d'un million le nombre d'Africains décidés à prendre d'assaut la forteresse Europe par le biais de cette l'île. Ce qui a suscité les craintes des autorités et de la population de Lampedusa. Pour sa part, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Unhrc) a tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises en signalant que les migrants détenus à Lampedusa ne quittaient plus ces camps de rétention dont la capacité d'accueil est très limité. Le même comité a maintes fois dénoncé les conditions unhumaines et les traitements dégradants réservés aux clandestins.
Et voilà qu'une décision du ministre de l'Intérieur Italien Roberto Maroni (en 2008) de transformer le centre d'accueil sur l'île en un centre d'identification et d'expulsion autorisé à détenir les migrants jusqu'à 18 mois avant leur expulsion, a fait monter la grogne des enfermés et mettre en émoi les habitants de l'île qui se sont mobilisés, en vain, contre un tel projet qui finalement est entré en vigueur l'année dernière.
Car, désormais, les clandestins restent à Lampedusa d'où ils seront expulsés après leur identification. Du coup, le rêve de ces immigrés s'achève souvent sur l'île, en particulier pour les ressortissants tunisiens, dont le gouvernement de Béji Caïd Essebsi a signé avec l'Italie un accord de rapatriement, foulant ainsi au pied les droits de ces immigrés. Et c'est cette décision d'expulser manu militari tous les immigrés tunisiens arrivés sur le territoire italien après le 5 avril 2011, qui a mis le feu aux poudres, l'année dernière, déclenchant révoltes et manifestations de désespoir.
Principes bafoués
Certes, l'exemple de Lampedusa est l'exemple le plus éloquent d'une Europe qui laisse bafouer les principes élémentaires des droits de l'Homme sur son sol sans intervenir, alors que les Etats membres de l'Union européenne se sont engagés par les normes internationales en matière de protection des droits humains, comme la convention européenne de 1950 qui prohibe le traitement inhumain et dégradant et les expulsions collectives.
Pourtant, nos responsables et hommes politiques assistent sans broncher aux illégalités manifestes, notoires et récurrentes qui sont commises dans ces camps de rétention.
Mais, notre propos n'est pas là, car plutôt que d'anticiper les causes de départ, qui jettent en Méditerranée des milliers de victimes d'un mal de vivre que nos sociologues ne parviennent pas à diagnostiquer, on se demande aujourd'hui pourquoi ces Tunisiens ont tellement peur de rentrer chez eux ?
Comment expliquer que le même pays peut être à la fois agréable à vivre aux uns et désagréable aux autres, après une Révolution ? Comment peut-on expliquer le fait que les émigrants tunisiens, qui ne fuient pas forcément la misère ou la violence et qui sont parfois des cadres de société, des employés de banque ou des fonctionnaires de l'Etat, et qui sont à 30% détenteurs d'un diplôme universitaire, larguent les amarres et s'embarquent dans des boats people vers une Europe qui les renie ?
Ne serait-il pas judicieux de revoir le raidissement des lois sur le passage clandestin des frontières, au nom de la «cogestion» des flux migratoires, qui ne sert que les intérêts d'une Europe aux remparts déjà fortifiés ? En attendant de trouver les réponses appropriées à toutes ces questions, reconnaissons au moins qu'on a échoué dans nos efforts de dissuader nos jeunes de partir. Mais rassurons-les, au moins, en les encourageant à rentrer chez eux tranquilles pour conserver le cordon ombilical avec la mère patrie. Car, en plus de leur mal-vivre, c'est une peur bleue d'une possible vindicte des familles et des passeurs qui les terrorise.


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