Les policiers ont été incarcérés et poursuivis pour viol «La victime est coupable dans une autre affaire pour outrage public à la pudeur», affirme le porte-parole du ministère de la Justice La société civile dénonce un dénigrement de la femme moderne La victime devient coupable? La jeune fille d'Aïn Zaghouan qui a accusé deux policiers de l'avoir violée est à son tour poursuivie pour «attentat à la pudeur», en vertu des déclarations de ces mêmes policiers. L'affaire suscite une très forte mobilisation au sein de la société civile et une partie du champ politique, car beaucoup estiment qu'à travers cette affaire, plus qu'une injustice, c'est la place de la femme dans l'espace public et dans la société qui est en jeu. La nuit du 3 au 4 septembre, une jeune fille a été violée, selon ses dires, dans la zone d'Aïn Zaghouan par deux agents de police sous le regard de son compagnon qui, lui, a été soumis au chantage et extorsion par le troisième policier. Portée dans le domaine public par l'avocate militante Radhia Nasraoui, l'affaire s'est répandue comme une traînée de poudre pour susciter une mobilisation sans précédent, sans parler de l'effet papillon dans la presse mondiale. C'est que de victime, la fille en question, que nous appellerons Warda, est à son tour poursuivie par le ministère public pour outrage public à la pudeur, et ce, en référence à l'article 226 du code pénal. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur avait, au préalable, annoncé la couleur en annonçant aux journalistes que la « fille » a été trouvée dans une «position indécente». Levée de boucliers de la société civile, d'une partie de l'opinion, de quelques partis politiques et de certains constituants, dont notamment Karima Souid, qui en a fait ces derniers jours, son cheval de bataille. L'affaire est désormais nationale. Un comité d'avocats s'est saisi de l'affaire, un comité de soutien avec des figures connues est en passe de se former et tient cet après-midi sa première réunion. Bochra Bel Haj Hmida : « Les femmes modernes sont ou des orphelines de Ben Ali ou de mœurs légères » Faisant partie du comité d'avocats, Bochra Bel Haj Hmida, jointe par La Presse, dénonce une campagne de dénigrement qui a atteint « la femme moderne » et qui a facilité et légitimé ce genre d'exactions dans l'impunité. Elle ajoute que le viol a été commis par des fonctionnaires de l'Etat et que de ce fait la responsabilité de l'Etat étant engagée, il aurait fallu que cet Etat assume sa responsabilité, celle «de s'excuser et non pas d'accuser». L'avocate considère que l'attitude officielle n'étant pas celle d'un Etat de droit en ajoutant que ce n'est pas la première fois que des femmes sont la cible de la police après le 14 janvier, «ce sont toujours des femmes qui sortent la nuit et conduisent leur voiture». Selon la militante, il y a un discours après le 14 janvier qui a préparé le terrain, discours accusatoire dirigé contre les femmes modernes, considérées désormais comme «des orphelines de Ben Ali et des femmes aux mœurs légères». Karima Souid : «Je demande le classement de cet odieux dossier monté contre la victime» La constituante Ettakatol a défrayé la chronique lors de l'audition du ministère de l'Intérieur, le 19 septembre, en demandant des explications au ministre de l'Intérieur lui-même et à son porte-parole sur les déclarations qui ont été faites à propos du viol. Sur la même lancée frondeuse, Karima Souid, accompagnée de l'avocate Bel Haj Hmida est allée hier à la rencontre du ministre des Droits de l'Homme, Samir Dilou, à sa demande, et avait demandé «le classement pur et simple de cet odieux dossier» monté contre la victime en critiquant au passage cette «absence totale de prise en charge des femmes victimes des violences qui aurait permis au gouvernement de saisir la gravité de l'acte». La constituante ajoute à La Presse avant de conclure « qu'il nous appartient maintenant de réfléchir à la révision de cette loi de 2004 mise en place par le dictateur déchu Ben Ali dans des circonstances politiques particulières dans un objectif d'instrumentalisation. Raja Ben Slama : « Nous sommes en train d'organiser une résistance contre ce nouvel ordre sécuritaire et moral » L'universitaire se dit choquée et a appelé à réunir un comité de soutien lequel comité se réunit aujourd'hui à l'espace El Teatro à 18H30. Raja Ben Slama critique au passage les déclarations du porte-parole du ministère de la Justice, Fawzi Ben Jaballah qui «a parlé avec formalisme sans aucune tonalité de solidarité ni de pitié envers la victime», pour déplorer que «l'objectif de toute cette affaire est d'imposer un nouvel ordre moral dans lequel la femme est accusée d'office». La femme dans cet ordre, accuse-t-elle, n'est jamais innocente, soit elle n'est pas voilée, soit elle n'est pas habillée d'une manière décente, soit elle sort la nuit, soit elle se trouve avec un homme qui n'est pas son mari. C'est la morale islamiste dans laquelle la femme est toujours coupable, argumente-t-elle. Même si elle sort avec le niqab, elle est coupable d'être sortie, c'est la philosophie, inhumainement misogyne des islamistes, conclut-elle et contre laquelle nous organisons une résistance. Fawzi Jaballah : « Les deux affaires sont séparées, sinon ce serait deux poids, deux mesures » Invité à s'exprimer, Fawzi Jaballah déclare à La Presse que le forfait du viol a été perpétré le 4 septembre, et que les policiers ont été interpellés le jour même, pour une garde à vue qui a duré trois jours, ensuite ils ont été directement incarcérés. Le chargé de mission ajoute que le dossier évolue avec la diligence requise, que toutes les procédures ont été respectées et que « personne n'est à même d'interférer dans la procédure judiciaire». Mais d'un autre côté, estime le porte-parole, la victime est coupable dans une autre affaire avec pour chef d'inculpation l'outrage public à la pudeur. Ce sont deux affaires qui évoluent parallèlement et ce n'est nullement comme ça été dit, la victime a été désignée comme coupable ou un «dossier a été remplacé par un autre». M.Jaballah ajoute que le ministère public a ouvert une enquête judiciaire et qu'il est de son devoir de l'instruire sinon ce serait «deux poids et deux mesures». Convoquée mercredi 26 septembre par un juge d'instruction du tribunal de Tunis, la victime avec son compagnon doit répondre de ses actes devant un juge d'instruction. Ses avocats ont demandé le report en vue de réunir les éléments nécessaires. Warda et son compagnon encourraient une peine de six mois à deux ans plus une amende. Leur procès devrait débuter le 2 octobre. Il faut savoir que cette loi d'atteinte aux bonnes mœurs a été promulguée en 2004, en même temps que la loi sur le harcèlement sexuel. En 2004 certains s'en souviennent certainement, il y a eu une grande campagne sous le signe de la protection des bonnes mœurs, des centaines de jeunes furent alors arrêtés. Ben Ali de bon conseil, avait jugé utile de lier les deux lois qui se suivent d'ailleurs dans le code pénal, une qui pénalise le harcèlement sexuel et l'autre qui pénalise l'atteinte aux bonnes mœurs. Dans une dictature cela se comprend, il faudra lier les deux, pour justifier l'une par l'autre, mais comme nous vivons dans une Tunisie d'après le 14 janvier, dans une démocratie naissante, il est donc utile de revoir la donne ?