Déficit annuel de 1.100 MD compensé par l'Etat Montant des impayés : 420 MD Vol de 9,5% de la consommation électrique globale Décidément, la série des augmentations des prix continue au point qu'il ne passe pas un mois sans qu'une nouvelle hausse ne vienne ajouter de l'eau au moulin des Tunisiens excédés par la dégringolade de leur pouvoir d'achat et le rétrécissement de la marge de leur consommation. Après les carburants, les viandes, les légumes, les œufs, la téléphonie fixe et mobile, et maintenant la tomate et peut-être prochainement le lait, pour ne citer que ceux-là, c'est au tour de l'électricité et du gaz naturel de faire l'objet d'une nouvelle hausse, à partir de septembre 2012. Même si la proportion de cette augmentation est relativement faible —2% pour les familles et 8% pour les industriels— les citoyens désabusés par le cumul des hausses successives se demandent s'il n'y a pas d'autres solutions envisageables que celle de pénaliser le contribuable, surtout le salarié moyen. Posée aux responsables de la Société tunisienne d'électricité et du gaz, la question a entraîné d'autres interrogations et ouvert tout un débat. Institutions publiques et citoyens endettés auprès de la Steg La responsabilité de l'augmentation des tarifs ne revient pas à la Société tunisienne de l'électricité et du gaz mais à l'autorité de tutelle. C'est le ministère de l'industrie qui fixe les prix du kwh d'électricité et du mètre-cube de gaz ainsi que la hausse de la tarification quand cela s'impose, c'est-à-dire quand il faut ramener la compensation de l'Etat en matière énergétique à un niveau supportable et viable, apprend-on du côté de la Steg. L'Etat agit en fait à deux niveaux : le premier en subventionnant le pétrole et le gaz importés aux cours internationaux qui sont en augmentation constante et le second, «en versant chaque année à la Steg une subvention de 1.100 MD, l'équivalent ou presque du déficit de la société entre ses dépenses (3.883 MD en 2011) et ses gains (2.408 MD) venant de la facturation», précise M. Fayçal Karoui, chargé de la direction opérationnelle de la distribution régionale à la Steg. L'augmentation de la tarification est également dictée par un troisième critère : la croissance annuelle de la consommation en électricité et en gaz de l'ordre de 10%, soit 100 mille nouveaux abonnés chaque année. Pour répondre à la demande croissante en électricité et en gaz, l'Etat doit importer plus de pétrole et de gaz. «La Tunisie a besoin de construire une centrale électrique tous les cinq ans pour répondre à la demande croissante ; mais ce n'est pas le cas», précise encore M. Fayçal Karoui. A cela, il faut ajouter une ardoise de 420 MD (170 MD avant la révolution) que les abonnés doivent à la Steg dont des ministères, des établissements éducatifs, des institutions publiques, des municipalités. «Après la révolution, la situation a empiré, des villages entiers ne payent pas leurs factures». Exemption de 500 mille ménages Pour réduire le déficit de la Steg et alléger la compensation énergétique supportée par l'Etat, une augmentation de la tarification est donc entrée en vigueur depuis septembre 2012. Pour les ménages, il s'agit d'une hausse de 2% sur l'électricité pour une consommation de plus de 50 kwh par mois et de 3% sur le gaz naturel pour plus de 30 m3 de gaz consommés par mois et de 7% pour plus de 60 m3 de gaz par mois. «L'augmentation ne sera comptée que sur la quantité consommée à partir du 2 septembre, pas avant», certifie Mme Samia Chaïeb, chef de division études et développement, ajoutant que «cette augmentation a été étudiée de telle sorte qu'elle ne touche pas les petites bourses». A quoi correspond donc une consommation de 50 kwh par mois? «A un foyer utilisant trois ampoules, un téléviseur et un petit frigo», indique Mme Samia Chaïeb. Cette catégorie représente 500 mille abonnés, soit 15% de la population branchée au réseau de la Steg. L'augmentation du gaz touche quant à elle 30% des abonnés. S'agissant des industriels, la hausse de 8% est considérée exagérée et inopportune en raison de la situation économique et sociale difficile que traversent les entreprises économiques tunisiennes. En définitive, en dépit des augmentations successives et insupportables pour les consommateurs, il faut retenir que tous les clients de la Steg sont subventionnés par l'Etat, si bien que pour maîtriser la facture de la Steg il ne reste plus que la rationalisation de la consommation, comme le suggère Mme Samia Chaïeb, et le recours à l'économie d'énergie. Du rôle du citoyen Cela fait des décennies que l'on incite à l'économie d'énergie, que des programmes sont élaborés pour concrétiser ce principe de bonne gouvernance et de bonne gestion, sans que l'on arrive à atteindre les objectifs escomptés. L'action de l'Etat est-elle suffisante pour inciter à l'économie d'énergie? Le citoyen est-il suffisamment rationnel et conscient de son rôle et de sa responsabilité, à titre individuel, dans la préservation des intérêts de la communauté nationale? «La rationalisation de la consommation a pour effet de réduire la compensation de l'Etat et d'empêcher ainsi les augmentations des tarifs de la Steg», explique Mme Chaïeb. La relation de cause à effet semble si évidente que le rôle de l'Etat dans l'ancrage d'un nouveau mode de consommation basé sur l'économie d'énergie devient crucial. Bien sûr, l'Agence nationale de maîtrise de l'énergie s'en occupe déjà. Outre la mission de promouvoir les énergies renouvelables, notamment la diffusion à large échelle du solaire photovoltaïque, des guides sont conçus par l'Agence et mis à la disposition du public pour l'informer et l'orienter vers une consommation raisonnable de l'énergie basée sur le choix des équipements électriques économiques et les gestes quotidiens qui permettent d'économiser de l'énergie et de l'argent. Mais une stratégie d'incitation à la rationalisation de la consommation basée sur le principe de proximité avec le citoyen et de suivi permanent des programmes est tout aussi nécessaire et souhaitable. La conscience et la responsabilité du citoyen deviennent plus grandes et plus décisives quand les responsables de la Steg évoquent le problème épineux du vol de l'électricité par certains abonnés. Pas moins de 9,5% de la consommation électrique globale sont consommés et non enregistrés par les compteurs de la Steg, c'est la quantité d'électricité détournée par des abonnés non scrupuleux qui font payer leurs factures énergétiques par les autres citoyens dont certains sont peut-être nécessiteux. M. Fayçal Karoui explique que des actions de sabotage des compteurs et d'autres de déviation des câbles électriques ont été découvertes et signalées par des agents de la Steg. «Nous tentons toujours en premier de résoudre le problème à l'amiable sinon l'affaire passe entre les mains de la justice», précise le responsable. Selon le responsable, les tentatives de règlement des problèmes à l'amiable débouchent souvent sur des actes de violence perpétrés contre les agents de la Steg. Responsabilité partagée Les Tunisiens sont conscients que la conjoncture est difficile et qu'il est essentiel que chacun fasse preuve de patience et de sacrifice dans l'intérêt national. Selon de nombreux témoignages, c'est un sentiment d'injustice, d'abandon et de traitement inégal des régions et des franges sociales qui explique, en partie, la colère populaire et certains comportements illégaux. Si bien que toute augmentation, aussi minime soit-elle, sur le prix d'un produit de consommation n'est pas appréhendée de la même manière par tous et peut avoir, chez certains, l'effet d'une provocation, d'une étincelle. Quant au devoir de sacrifice pour aider le pays à sortir de l'impasse, beaucoup estiment que l'exemple doit venir des plus nantis et de ceux qui bénéficient des privilèges (en nature et en primes) surtout ceux accordés par l'Etat qui fait face aujourd'hui à une grave crise.