Par Hamma HANACHI Matinée du lundi. Ciel d'automne, gris sans nuances. Direction la Foire internationale du Livre au Parc des expositions du Kram. Peu de visiteurs, pas de jeu d'épaules, ni d'enfants à l'entrée, portières tournantes rouillées, absence d'hôtes ou d'hôtesses d'accueil. Une tente dégage des odeurs de graisse et de pain chaud, des femmes y préparent et vendent la tabouna, à la droite de la porte du hall d'entrée, un présentoir, un vendeur en kamis, baskets et barbe, des fioles de parfum, des sachets portant la marque «Parfums des Deux Saintes Mosquées», petit attroupement, huiles essentielles et rêve d'Arabie heureuse. Des encens sur une table, musc, gomme arabique, khol et liquides colorés, garantis 100% artificiels, entrée de souk, alentour d'une mosquée tendance ? Ça promet ! Hall central. Le stand d'Egypte fait face, le pays du Nil, invité d'honneur de la 29e édition n'a pas fourni d'efforts côté qualité des livres, encore moins côté aménagement, des petites niches classées en sections, philosophie, sociologie, sciences, littérature, ça n'attire pas le regard, ni l'attention, aucune nouveauté, l'incontournable Naguib Mahfoud en édition populaire, des ouvrages politiques, des livres d'exégèse, des traités scientifiques, le tout baigne dans une ambiance sans reliefs, aucun effet d'attirance, on passe son chemin. Tout près, stand algérien fourni, des livres remarquables, sociologie et littérature. Sur le bord du couloir, des ouvrages par terre, on emballe, on déballe des caisses en silence. Des formes et dimensions variées du Coran avec dorures et calligraphies différentes. Odeurs de fumée de cigarettes, l'air est poussiéreux, pas de musique, les stands sont collés l'un à l'autre, même modèle, pas de fantaisie, monotonie, rien d'original, beaucoup de vendeurs en qamis blanc ou gris, des clientes en hijab noir ou gris, abondance d'ouvrages sur la vie du Prophète Mohammed et ses Compagnons, des versions du Coran dans la majorité des rayons. Plus loin, des pans de murs tapissés d'illustrés de cuisine, de traités d'automédication et de formules de guérison rabâchées, des manuels de psychologie de comptoir signés par des prédicateurs illuminés, formules secrètes d'interprétation des rêves, des auteurs sulfureux sortis de l'ombre, des titres ronflants, panislamisme, guerres saintes des superlatifs à la pelle et des sous-titres tapageurs. Salle spacieuse de l'Arabie Saoudite, lumières kitch, clignotants sur les photos de la mosquée de Médine, écrans sur les murs, des psalmodies dominent le tumulte des visiteurs apparemment intéressés. Des petites maisons d'édition sans âme, collées les unes aux autres, espaces étroits, ouvrages entassés sans soin. Couleurs dominantes : la dorure de la calligraphie et le fond noir des couvertures. Du chic de pacotille, du toc sans charme. Les grosses écuries françaises exposent le nécessaire, juste le nécessaire, les dernières parutions en tête de gondole, sinon pas de gros efforts de mise en valeur de l'espace, pas d'animation, on a vu mieux. La dernière édition, celle de 2010, un vaste stand réunissait les pays européens a fait merveille. Consolation. Des maisons d'édition tunisiennes brillent par la qualité des nouveautés, elles donnent de la couleur au moral et de l'éclat à la grisaille environnante; noyées dans la forêt de livres à coloration religieuse ou pseudo scientifique. Des bouffées d'air dans le climat étouffant, raisons pour aller les saluer. Deux mots résumeraient notre visite d'une heure et demie : malaise et abattement ! L'auteur Yasmina Khadra devait en ce jour rencontrer son public à la Foire, il a annulé sa visite au motif que le film Ce que le jour doit à la nuit adapté de son livre et réalisé par Alexandre Arcady a été déprogrammé, il crie à la censure. Polémique en vue. -*-*-*-*- Retour sur l'exposition d'art contemporain à Berlin. A la clé de cette brillante manifestation, un ouvrage illustrant les travaux des artistes. Couverture rose, l'étoile et le croissant du drapeau tunisien couleur argent au milieu. Titre : Un avenir en rose, sous-titre Art actuel en Tunisie. 240 pages, dont quelques-unes en rose comprenant des citations d'artistes du genre : L'heure de la culture citoyenne a sonné ou La création artistique est devenue en Tunisie l'expression d'une liberté qu'aucune force ne pourra annihiler. Un avant-propos de Barbara Barsh, responsable de la galerie Ifa, Berlin, grâce à laquelle les Allemands ont pu prendre connaissance des enjeux de l'art actuel tunisien. Une présentation documentée de Christine Bruckbauer et Patricia Triki, respectivement historienne de l'art et artiste. Des contributions de plumes tunisiennes spécialisées, analyses intelligentes de Rachida Triki (Une scène artistique résistante), Aurélie Machghoul (Enfin libre ! L'espace public en Tunisie est-il aujourd'hui vraiment public ?), Houcine Tlili (Entre Orient et Occident : l'évolution de l'art plastique en Tunisie), Hamdi Ounaina (De la censure artistique en Tunisie: lecture sociohistorique), Selima Karoui (Art et politique en Tunisie de 1957 à 2012) et Mohamed Ben Soltane (Elan et espoir : perspectives de développement des arts visuels en Tunisie après la «révolution»). Présentation des 13 exposants à Berlin, des reproductions de leurs travaux, commentés par eux-mêmes, des réflexions théoriques, des citations. Bref, un document passionnant pour comprendre la génération de ceux qu'on appelle déjà artistes post-révolution.