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Les milices dites de «protection de la Révolution» ou la haine de la démocratie
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 11 - 2012


Par Jamil SAYAH(*)
«La sauvagerie avec laquelle le représentant de «Nida Tounès» Lotfi Nagdh a été tué nous impose l'obligation de réfléchir sur les causes qui peuvent transformer un homme ordinaire en meurtrier. Comment dans une Tunisie post-révolutionnaire, on tolère l'existence de groupes paramilitaires agissant en toute impunité pour semer la terreur jusqu'à ce que mort s'ensuive. Cette violence et tout le vocabulaire qu'elle charrie n'allant pas sans conséquences pour notre pays : le triomphe de la barbarie».
Un nouveau spectre hante la Tunisie, qui n'est plus le retour de Ben Ali et sa dictature mais la violence politique dont beaucoup craignent qu'elle ne serve de fondation à l'installation définitive d'un fascisme religieux dans notre pays. Violence politique : l'expression dit bien par la conjugaison de ses deux termes la nature du problème. Elle indique d'abord ceci qu'il n'y va pas de simple augmentation d'actes troublant l'ordre public, mais aussi par une montée d'agressions physiques qu'il paraît difficile de qualifier pénalement et que l'on a appris à ranger sous une rubrique créée pour la circonstance, celle de la haine, de la pluralité politique. De cette violence croissante, l'expression en question désigne également la cible. Car «la politique» n'est pas tant le cadre de la violence que son objet, pour autant qu'on désigne par ce nom, une volonté particulière de ne pas se contenter de combattre son adversaire politique, mais de l'éliminer physiquement. Elle commence par la dérisoire provocation et atteint un seuil paroxystique, le meurtre, comme celui de Lotfi Nagdh à Tataouine.
En effet, le meurtre politique est un acte d'accusation que l'inconscient dresse au conscient. Ce que ces crimes disent de leurs auteurs importe moins que ce qu'ils disent de l'idéologie et les partis qui les légitiment. En fait, ces crimes veulent dire quelque chose de plus grave qu'un simple acte de déviance. Risquons donc d'approcher ce sens. On ne peut comprendre ces actes sans réfléchir aux liens entre droit et barbarie. Par rapport aux crimes de droit commun, une différence de taille : les victimes sont toujours des adversaires politiques. Ce ne sont pas uniquement des assassinats de politique, mais ce sont des assassinats politiques. Ce sont des actes qui veulent servir une cause (la terreur, le fascisme...). Bref, ce sont des actes de guerre. Leurs auteurs veulent avant tout semer la peur dans la société et terroriser l'adversaire. Ils cherchent à anéantir par la violence, par le meurtre ou l'humiliation ceux qui ne pensent pas comme eux. Ils reflètent en miroitant le terrorisme.
La violence meurtrière
Cette pratique est nouvelle dans notre pays. Elle associe la violence à l'idée d'abus et de contrainte imposée plus qu'à celle d'infraction ou de faute. En effet, la violence qu'exercent ces comités dits de «protection de la Révolution» a grandement rompu avec une conception pénale qui considérait la violence comme une contrainte légitime de l'Etat. Ces milices sont en train d'affaiblir l'Etat et de réduire sa cohésion sociale. Ce sont des groupes dont les déterminants principaux tiennent à la haine de l'Autre (politique). Leurs attaques sont les faits de personnalités révélant de graves failles narcissiques et souffrant d'une marginalité politique profonde (des petites mains). En psychologie, la schizophrénie se caractérise par des «attaques contre les liens», et c'est précisément au lien politique ou au pacte républicain perçu comme insuffisant que s'attaquent ces milices. La démocratie leur apparaît non seulement intolérable, mais surtout insupportable. Ils veulent effacer par la violence la dimension propre du politique. Cette obsession est l'une des caractéristiques du totalitarisme.
Ainsi, ces criminels politiques visent l'adversaire (politique) comme figure du mal. Cette démarche va de pair avec une culture politique très particulière : la distinction entre Soi et l'Autre, entre son parti et le parti adverse. L'adversaire (l'Autre) devient le malfaisant. Son identité repose sur une image infractionnelle (le contre-révolutionnaire) qui ne pourrait mériter que le rejet. Une telle «mise en quarantaine» fondée sur la distinction, voire sur l'opposition guerrière entre le bien et le mal, incite, autorise l'agresseur à situer l'adversaire hors champ de l'humanité. S'affirme ainsi sur lui un droit absolu d'anéantissement. Il est alors permis de le violenter et même de le tuer. Dénués de raison, sans morale et dépourvus de sensibilité, ces agresseurs deviennent des «bêtes sauvages». Certains considèrent même qu'il ne faut point les nommer. Car ils sont inhumains.
Mais c'est la forme spécifique que prennent ces agressions qui nous interpelle. Ces personnes s'octroient un droit d'agresser, jusqu'au meurtre, pour défendre la Révolution comme si cette dernière devenant mandant les a mandatés à la défendre. Il «s'auto-bricolent» un contrat moral qui semble venir d'un autre temps. Cette posture de «défenseur de la révolution» doit également retenir notre attention. C'est un code d'honneur par lequel ces délinquants essayent de s'ériger un minimum de légitimité. Cette recherche de l'estime (politique) accentue un retour vers des valeurs «viriles» aujourd'hui dépourvues de fondement dans une société civilisée régulée par le droit. A travers cette posture, ils tentent d'acquérir une respectabilité politique afin de sortir du champ de la délinquance ordinaire et de la criminalité de droit commun. Ce mécanisme nourrit une crise de l'affiliation, au double sens de la relation avec la culture démocratique et avec l'Etat de droit.
La falsification
Tous ces groupes qui agressent et violentent se réclament de la Révolution. Cette ostentatoire revendication cache une fêlure certaine. En effet, ce rapport filial avec la révolution (sans avoir été mandaté par le peuple) se charge en réalité d'une fonction essentiellement symbolique. Si ces agents de la violence se tournent vers la révolution, dispositif privilégié pour amortir l'usurpation, c'est en premier lieu pour y attirer la sympathie de la communauté nationale. Or en agissant de la sorte, ils se livrent au déni d'une vérité particulièrement culpabilisante : leur propre caractère non révolutionnaire. Pis encore, leur attitude contre-révolutionnaire. Car à l'œil nu, on se rend compte que ces personnes étaient loin, très loin de la Révolution (la vraie) et de ceux qui l'ont menée. Au moment où la Révolution se déroulait, ces derniers s'adonnaient certainement à d'autres activités.
Mais pour réconforter le Moi «désemparé» ou le Nous «usurpateur» quant à la solidité de ce repère, l'approbation des pairs est une nécessité. La bénédiction du frère Ghannouchi permet alors de satisfaire une telle exigence. Elle leur offre les conditions institutionnelles et mystiques les plus favorables au déploiement de la haine et de la violence. Cette opération se confond avec ce que Lévi-Strauss qualifie de «bricolage». Ainsi, cette ostentation révolutionnaire que portent ces contre-révolutionnaires devient à la fois jeu social et discours idéologique.
Jeu social, puisque les éléments modernistes, normalement révolutionnaires (donc profanatoires du sacré) sont désignés comme ennemis de la vraie révolution pour mieux consolider le groupe dans son narcissisme et dans son ignorance. Un discours idéologique, en même temps, car dès l'instant où ces éléments sont convertis en moyens d'apparat au service du parti, ils sont de facto purifiés de leur souillure originelle (Rcdeistes, voyous...) : Ils pourront désormais être consommés comme produit révolutionnaire. C'est une manière de dire, certes, nous n'avons pas fait la révolution, mais nous récupérons sa légitimité. Cette attitude conduit ces milices à communiquer avec les autres partis politiques comme un objet imaginaire, écarté du réel dont l'existence doit être niée.
Dès lors, une dichotomie entre leur groupe d'appartenance et les groupes auxquels ils ne sont pas affiliés s'opère. En opposant ce qui est interne à ce qui est externe, ce qui procède du «nous» et ce qui mérite d'être expulsé vers l'extérieur : vers «eux», ces groupes alimentent un peu plus les mécanismes de la haine de «l'autre». Le fossé qu'ils érigent pour séparer leur appartenance politique des autres est si profond que tous les raisonnements rationnels semblent être balayés à la seule évocation du nom des autres partis politiques, en l'occurrence ici Nida Tounès. Avec ce rejet violent de l'opinion contraire, sont immédiatement soulevés les symptômes pathologiques de la haine lourdement investis par ces milices. Ces symptômes renvoient à des solidarités groupales particulières : celles qui produisent les meurtres et les guerres civiles.
Cette démarche conduisant à la déshumanisation de l'adversaire, se déroule en plusieurs étapes. D'abord, il faut le diaboliser : «un Rcdeiste». Ensuite, il faut le dévaloriser : «un contre-révolutionnaire». Enfin, il faut s'en débarrasser : le tuer. Il reste alors l'hypothèse à assurer les postulats qu'avance l'idéologie du parti : en prouvant que la configuration de «l'ennemi intérieur» a effectivement de réelles incidences sur la structuration de l'espace politique dans son ensemble et sur l'avenir électoral du parti en particulier. Il y a donc danger. Une telle substantification confère à ces barbares un pouvoir «naturant» à la sanction et à la punition. Pour eux, dès lors que le rapport politique apaisé ne serait pas en mesure d'être efficace, rendant le remodelage possible, les actes punitifs (individuels et collectifs) peuvent toujours fournir les moyens pour infléchir et transformer les récalcitrants.
Ainsi, cette manière de vouloir anéantir l'adversaire politique constitue un phénomène inhérent au totalitarisme et au fascisme. Cette violence va de pair avec la répulsion qu'ils développent à l'encontre de tous ceux qui ne pensent pas comme eux. De sorte que s'édifient et se consolident des frontières entre «nous» et «eux». On sait combien ce déterminisme a été historiquement à l'origine des guerres civiles ou des génocides en Afrique ou ailleurs. L'encouragement de ces milices par le mouvement Ennahda et son soutien à cette idéologie de la haine et du meurtre constituent un sérieux problème pour la paix sociale dans notre pays. Ce mouvement est en train de nous mener, sans crier gare, vers l'abîme. La prise de conscience par chacun, sans cesse renouvelée, du danger qu'alimente cette idéologie de la haine est essentielle pour mettre hors d'état de nuire cette bande de barbares.
*(Professeur de droit public, président de l'Observatoire tunisien de la sécurité globale)


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