L'Institut national des télécommunications prépare une réglementation pour gérer et optimiser l'exploitation des fibres optiques alternatives dans un cadre de grande concurrence entre les différents opérateurs télécoms Comment assurer la bonne gouvernance et l'équité dans l'accès à Internet à haut débit. Comment chercher un modèle économique adéquat et adapté aux spécificités tunisiennes, notamment la compétitivité des différents opérateurs de télécommunications (Tunisie Télécom, Tunisiana et Orange), outre la satisfaction des besoins des internautes tunisiens aux différents niveaux? Tels sont les objectifs d'un travail de réflexion de plusieurs acteurs du secteur des télécommunications, notamment le ministère des Technologies de la communication, l'Institut national des télécommunications (INT), les différents opérateurs et fournisseurs d'accès Internet en Tunisie ainsi que des sociétés de services publiques concernées : la Société tunisienne de l'électricité et du gaz (Steg), Tunisie Autoroutes (TA) et la Société nationale des chemins de fer tunisiens (Sncft). Tout un travail de réflexion lancé à l'initiative de l'économiste principal dans la région Afrique du Nord-Moyen-Orient à la Banque mondiale, Antonio Nucifora, et ce, à travers un atelier de réflexion tenu hier au bureau de l'institution mondiale à Tunis. Présidé par les experts principaux des TIC auprès de la Banque mondiale, Carlo Rossotto et Michel Rogy, cet atelier a vu la participation de Fadhel Kraïem, directeur général adjoint de Tunisie Télécom, Jawhar Ferjaoui, directeur général au ministère des TIC, des représentants des trois opérateurs télécoms (Tunisiana, Orange et Tunisie Télécom), outre des consultants et économistes experts dans ce secteur. Développer la large bande, alors que le marché du mobile a atteint pratiquement la saturation avec 133% de densité, capitaliser sur le partenariat entre le privé et le public avec une implication des collectivités locales et des communes, mieux exploiter le réseau de cuivre déjà en place, optimiser les réseaux disponibles via les partages qui amoindriraient les coûts tout en élargissant les réseaux, relancer l'accès fixe au titre de l'aménagement numérique du territoire, revaloriser le marché des applications, créer des points d'accès mutualisés dans les zones à faible débit, et d'autres solutions ou recommandations ont été formulées par les intervenants à cet atelier pour développer et améliorer l'accès à l'internet à haut débit. Dans la perspective d'élaborer une stratégie qui soit adaptée au contexte tunisien, le débat a été constructif en dépit de l'interférence des intérêts, notamment des trois opérateurs télécoms. Au centre de cet atelier, il y a eu un débat sur la façon avec laquelle on doit exploiter et partager équitablement les infrastructures alternatives de fibres optiques dont dispose la Steg, grâce à ses réseaux de haute et faible tension, son réseau souterrain, ainsi qu'aux réseaux de Tunisie Autoroutes et de la Sncft. Des réseaux qu'on est en train de développer pour atteindre tous les recoins du pays. Tunisiana et Orange ont trouvé une solution pour développer leur réseau internet de téléphonie fixe et mobile à travers des conventions d'exploitation des réseaux de fibres optiques de la Sncft, de TA et de la Steg, après quoi le ministère des TIC a évoqué au mois de mai dernier une stratégie nationale de gestion de ce genre de réseaux afin de les optimiser et les développer davantage. Réglementation et charte d'exploitation à définir «En Europe, en permettant l'utilisation des fibres optiques alternatives par les acteurs du secteur des télécoms, on a pu diminuer de façon substantielle le coût de l'internet et de la téléphonie tout en ayant un meilleur contrôle de leur réseau par les nouveaux entrants sur le marché (utilisation de fibre noire et de longue distance)», a expliqué l'expert principal des TIC auprès de la Banque mondiale, Carlo Maria Rossotto. Selon lui, la Tunisie, à travers le réseau de fibres optiques de Tunisie Télécom ainsi que les fibres optiques alternatives de la Steg, de TA et de la Sncft, dispose d'une bonne assise pour développer le secteur de l'internet à haut débit, mais il a aussi évoqué le devoir d'améliorer la connexion dans les régions rurales. Pour sa part, l'autre expert principal des TIC auprès de la BM Michel Rogy a relevé la question de l'implication des collectivités locales dans l'élaboration des chartes d'exploitation des fibres optiques via les infrastructures alternatives. «L'économie de la Tunisie, a-t-il poursuivi, est tournée vers l'exportation. Cette dimension doit être au centre de certaines réflexions. Il faut être sélectif dans une stratégie de développement du haut débit, et ce, en associant l'environnement dans lequel cette technologie sera exploitée pour définir les priorités selon lesquelles on va opter pour un modèle de mise en place des structures de fibres optiques», a-t-il enchaîné. Le directeur général adjoint de Tunisie Télécom, Fadhel Kraïem, a souligné, pour sa part, l'évolution notable du réseau de la société nationale qui a réalisé 2.005 km de fibres optiques en moins de deux ans. «On a un partenariat avec Tunisie Autoroutes pour rallier Tunis à Sfax. Notre infrastructure a été mise à la disposition des autres opérateurs à titre de location. Depuis 2011, on a lancé d'autres modes de location pour une longue durée (15 ans). Les investissements sont lourds. Quelles sont les solutions pour amoindrir les coûts alors que nous sommes obligés d'aller chercher les clients dans tous les recoins du pays, ce qui engage, entre autres, des travaux de génie civil importants ? De même, pour la Steg et la Sncft qui vont jouer un rôle d'opérateurs des opérateurs, comment vont-elles assurer les services pour tous les opérateurs et avec quels organisation et savoir-faire ?», a-t-il ajouté. Il a indiqué, aussi, que le réseau en cuivre en Tunisie est assez important mais il reste sous-exploité. Selon lui, l'accès à internet à haut débit ne décolle pas en Tunisie. «Ce sont les services et le contenu, a-t-il encore expliqué, qui sont les plus visés. Ils doivent donner un autre souffle au haut débit. L'accès à la télévision via les dream box et autres méthodes non réglementées entrave cette évolution du haut débit. Les autorités doivent imposer une réglementation claire à cet effet», a-t-il conclu. Côté réglementation, les représentants de l'Institut national des télécommunications ont affirmé qu'une série de règlements est en cours d'élaboration et sera prochainement présentée à l'Assemblée nationale constituante pour approbation et concernera notamment la gestion des infrastructures alternatives de fibres optiques. Un autre volet a été évoqué lors de cet atelier, la connexion transfrontalière avec les pays voisins, la Libye et l'Algérie. Le directeur des TIC à la Sncft, Abdellatif Cherni, a affirmé que le réseau de fibres optiques des cheminots passe par une extension dans le pays et arrivera jusqu'à Métlaoui et à Ghardimaou. Il a également précisé qu'en l'absence de compromis entre les opérateurs, la Sncft est en train de négocier une interconnexion avec l'Algérie, sans donner d'amples détails. Dans ce même ordre d'idées, le chargé des TIC à la Banque africaine de développement, Ali Yahiaoui, nous a précisé que la BAD a effectué une étude sur l'Afrique du Nord qui a révélé l'importance de l'interconnexion entre les pays, notamment l'Algérie et la Tunisie, «une interconnexion dans un cadre plus élargi depuis la Mauritanie jusqu'en Libye est à l'étude à la BAD», précise-t-il. Côté réglementation, les deux experts principaux des TIC auprès de la BM, Rossotto et Rogy, ont estimé qu'une réforme du cadre légal et réglementaire est nécessaire pour définir les modalités d'accès aux fibres optiques alternatives par les opérateurs de télécommunications en Tunisie, leur permettant ainsi de contribuer au développement accéléré de l'infrastructure de fibres optiques dont le pays a besoin pour instaurer la société de l'information sur l'ensemble du territoire national. Hatem Messaoudi, directeur de la réglementation et des marchés de gros à Orange Tunisie, a estimé que ce cadre réglementaire doit permettre aux opérateurs d'avoir «des deals» avec Tunisie Télécom afin d'avoir des prix orientés vers les coûts. «En matière d'optimisation des infrastructures, les 20.000km de fibres optiques peuvent être placés sous la gestion d'un seul organisme qui aurait à le gérer pour assurer un accès équitable entre les différents opérateurs...», a-t-il proposé.