Par Khaled TEBOURBI Nos collègues d'Essahafa publiaient, vendredi dernier, un fort intéressant article du cinéaste marocain Abdelhâq Zerouali, portant sur les 24e Journées cinématographiques de Carthage. Intéressant, déjà, parce qu'on n'y trouve pas trace des critiques relatives à l'organisation. Le «thème» a été ressassé à l'envi. Il était sûrement bon de passer à autre chose. Intéressant, précisément, parce qu'il y avait beaucoup à dire sur le contenu filmique de cette première session de l'après-révolution et notamment sur ses aspects intellectuels et politiques qui furent, sans aucun doute, dominants. Zerouali l'a fait. Et avec une pertinence d'analyse qui mérite d'être soulignée. Exemple : ses observations à propos des films en concours. Quasiment tous focalisés sur «les réalités révolutionnaires». Sur l'émigration et le chômage, sur l'extrémisme religieux et la marginalité sociale, sur la rébellion contre les pouvoirs, sur le désenchantement et le désespoir de la jeunesse, sur «les désillusions passées et à venir». Un engagement plein, visiblement approuvé par le comité de sélection et le jury, et qui a conduit, selon Zerouali, à privilégier «le propos militant», au détriment des côtés strictement esthétiques et techniques. L'auteur de l'article semble le regretter un peu, normal pour un puriste du 7e art, mais au final, il le comprend parfaitement. Ici et maintenant, les cinéastes du printemps arabe ne pouvaient produire un cinéma autre qu'en rapport avec ce qu'ils vivent, suivent, subissent peut-être, au quotidien, de «transformations, de bouleversements», d'un «réel — écrit Zerouali — encore plus étrange que l'imaginaire de la fiction». Il finit même par «en louer les vertus». «Encore quelques jours — conclut-il — et le rideau tombera sur les JCC, tout reprendra sa place, avec les mêmes questions et les mêmes douleurs, les mêmes contraintes et les mêmes calculs, mais le cinéma continuera à exercer son rôle de témoin de ce qu'il voit et de ce qu'il entend... La création cinématographique restera la lumière qui met à nu les tares et les perversions de tous ceux qui cherchent à l'éteindre... Pas seulement par la parole, mais pour dissimuler leur incapacité à gérer les affaires publiques, leur spoliation des richesses, et le mépris qu'ils ont pour la volonté des peuples et leurs aspirations à ce qui est meilleur pour eux-mêmes et pour leurs patries». Tels des lapins En lisant ces lignes enflammées, résolument militantes, on a songé à Siliana, à ses événements dramatiques, à ses centaines de blessés et à ses dizaines de jeunes menacés de cécité. Le lien peut ne pas paraître évident. Il existe bien pourtant. Ne serait-ce que pour répondre à tous ceux, dans le gouvernement et parmi les élus de la majorité, qui ont «excusé» la bavure policière en pointant le doigt sur «les manipulateurs» et «les comploteurs». Non, absolument non, le soulèvement de Siliana n'avait pour causes que celles qu'évoquent, crûment, directement, Les films des JCC : la pauvreté, le chômage, la marginalité sociale, le désenchantement et le désespoir de la jeunesse, son ras-le-bol devant les promesses non tenues et sa rébellion face à l'indifférence du pouvoir. Pourquoi donc ce déni des réalités? Et pourquoi pousser à l'entêtement jusqu'à tirer ses propres compatriotes, à la chevrotine, comme de vulgaires lapins? Pourquoi, surtout, crier au complot, accuser l'opposition et le syndicat, alors qu'à l'évidence, au simple constat, Siliana et tant d'autres régions du pays demeurent des laissés-pour-compte, et que l'on ne fait toujours rien pour les sortir de leurs malheurs? Est-ce, comme dit Adelhâq Zerouali, pour dissimuler son incapacité à gérer les affaires publiques? Est-ce de l'orgueil politique? Sont-ce de simples et sordides calculs électoraux. On ne comprend vraiment. Pour l'heure, semble-t-il encore, on devra faire comme pour le 9 avril 2012, comme pour Jbeniana, Radès, Gafsa et Tataouine : observer le gâchis et compter les victimes. Au mieux, nous irons au cinéma.