Par Khaled TEBOURBI La chaîne satellitaire cairote «El Hayet» propose depuis plus de deux mois (tous les mercredis soir) un grand concours ouvert aux nouvelles jeunes voix. Epreuve au long souffle, avec des présélections, des éliminatoires, des phases finales, un jury de renom (Helmi Bakr, Hani Chaker et Samira Ben Saïd), et bientôt l'épilogue qui consacrera l'ultime lauréat ou lauréate bien nommé(e) : «Sawt El Hayet». Emission à gros moyens et à gros faste surtout, diffusée d'un des meilleurs studios de Beyrouth (circonstances obligent), où se déploient des chorégraphies de luxe, se relaient des invités d'honneur, se croisent sons et lumières. Suivie, qui plus est, partout dans le monde arabe, à renforts de duplex, de connexions et de votes web. On s'interroge, bien sûr, sur l'opportunité d'un tel «divertissement» à l'heure où l'Egypte vit les affrontements douloureux que l'on sait. Il y a déjà une réponse «économique» à cela. La télévision égyptienne ne s'adresse pas qu'à un marché local, elle est liée par des contrats de production hors frontières, impliquant des publics de téléspectateurs, des sponsors, des diffuseurs et des éditeurs à l'échelle de tout un continent, sans doute même au-delà. Ce commerce tentaculaire impose des contraintes, «au-dessus» des événements, parfois à leur insu. Observons, par exemple, ce qu'il en est des feuilletons égyptiens. Les troubles du printemps arabe ne les ont nullement affectés. Voire, ils ont augmenté en nombre, en demandes et en recettes publicitaires. L'émission «Sawt El Hayet» s'inscrit dans cette logique. «Tempérons» toutefois. L'Egypte révolutionnaire a changé. Elle a débouché sur un gouvernement islamiste élu et sur une société majoritairement islamisée. Que les télévisions égyptiennes en fassent pratiquement abstraction, en s'en tenant aux mêmes fictions «permissives» et aux mêmes variétés «exubérantes», signifie aussi que l'audiovisuel égyptien a opté pour un choix politique et idéologique «contraire». Qu'il entend résister à «la vague régressive». Qu'il se range du côté des libertés et de la modernité. Son engagement ne s'arrête pas, du reste, aux feuilletons et aux variétés, il est explicite et effectif dans le bras de fer qui oppose la minorité laïque et démocrate au président Mohamed Morsi. La presque totalité des chaînes ont ouvertement dénoncé le décret «des pleins pouvoirs» et le référendum sur la Constitution, observé grève et soutenu les manifestations de contestation. Exactement dans le sillage de la presse écrite, des avocats, des magistrats. Campée sur sa position naturelle, historique, la télévision égyptienne. Le moment n'offre pas d'autre alternative pour elle. C'est ou la démocratie, ou la théocratie. Ou la liberté d'expression et l'indépendance des médias, ou les interdits de la «Chariâa» et la censure. Pas de neutralité qui vaille. On joue son destin, là. On lutte pour ramener une révolution «détournée», «dénaturée» à ses vrais buts, à sa vocation et à ses aspirations premières. Timorées ! En Tunisie, la Révolution a suivi le même cheminement. Un parti religieux est arrivé au pouvoir. Et le pays «s'islamise» à vue. Nos télévisions, pourtant, les médias qui ont le plus d'impact, qui devraient être à la pointe du combat pour les libertés et la démocratie, se montrent, en revanche, de plus en plus «tièdes», de plus en plus timorées. Ne parlons pas des deux chaînes publiques, d'ores et déjà dans l'allégeance. Les «privées», à leur tour, «baissent pavillon», font «profil bas», si elles ne glissent pas déjà dans l'adhésion. On en voit maintenant qui renvoient «dos à dos» victimes et coupables, qui tendent leurs micros et ouvrent leurs plateaux, à «parts égales», indifféremment, aux discours utiles et aux esprits rétrogrades. Les pires adversaires de la République, de la transition démocratique sont venus, et viennent encore, claironner leurs dénis et leurs ressentiments sur les «talk-shows» de «Nessma», d'«Ettounssia» et de «Hannibal». Les tristement célèbres «Ligues de protection de la révolution» pérorent, elles, en toute sérénité, exposent et martèlent leurs «points de vue», à longueur de débats télévisés. La veille, pourtant, des caméras les filmaient portant matraques et arborant des slogans venimeux, à l'encontre des partis d'opposition, de la presse écrite, des télévisions mêmes qui s'empresseront de les inviter aussitôt. Et tout cela au nom de quoi? Au nom, vous dira-t-on, en «toute bonne conscience», de la libre opinion, de l'objectivité et de la responsabilité du journalisme, de la neutralité politique de la presse. Le bel «argumentaire». Mais où conduira-t-il le journalisme, la presse, la démocratie, le pays? Vers les libertés? Vers le succès de la transition démocratique? Vers «les rivages du salut»? Nous verrons bien. Entre-temps, en prenant le parti de la résistance, les médias égyptiens, la télévision égyptienne auront contribué, eux, à l'annulation du décret de «pleins pouvoirs» de Mohamed Morsi. Retenons la leçon.