L'annonce du taux de chômage à Tataouine, en septembre 2012, a fait l'effet d'une onde de choc au sein de la population. 51,7% contre 17,6% pour la moyenne nationale. Manifestations, sit-in, les chômeurs n'ont de cesse d'exprimer leur colère face à une situation désespérante mais qui, à en croire les autorités locales, n'est pas désespérée. Au centre-ville de Tataouine, à la « maison du peuple », ancien siège du comité de coordination du RCD, désormais occupé par des associations, une jeune femme pleure à chaudes larmes. Elle vient d'apprendre qu'elle n'a pas été acceptée dans le programme d'encouragement à l'emploi. «Je n'ai plus confiance en moi, les déceptions se succèdent les unes après les autres, année après année», confie-t-elle. Aïcha, 33 ans, est titulaire d'un diplôme de technicien supérieur en réseau informatique. Sept années de chômage pour cette mère de deux enfants, qui accuse l'administration de manque de transparence dans ses critères de sélection. «J'ai l'impression que le système n'a pas changé, et que les gens continuent à être recrutés grâce aux pistons», dit-elle. N'acceptant pas les résultats, Aïcha s'est déplacée au bureau de l'emploi le lendemain même, afin de mieux comprendre les motifs du refus. Après vérification, une «faute de frappe» dans son dossier sur le système informatique a été décelée et sera corrigée. Désormais, elle a une chance d'être admise dans le programme. Aïcha fait partie des 9.627 inscrits au bureau de l'emploi de Tataouine (chiffres du 12/12/12), et plus précisément des 3.500 « cadres », diplômés de l'enseignement supérieur, à la recherche d'un travail. Certains d'entre eux perçoivent une aide d'encouragement à l'emploi de 200DT par mois, en échange d'un service au sein d'une association ou d'une entreprise. «Je travaille pour l'association Matous de théâtre depuis avril 2012, où je passe mes journées à consulter les pages facebook. Je préfère m'accrocher à cette occupation plutôt que de me retrouver sans rien», confie Halima, sans emploi depuis six ans, et titulaire d'une maîtrise en informatique. Causes du chômage Conscients des problèmes d'emploi qui touchent la région, des jeunes ont créé des associations pour défendre leur droit à accéder au marché du travail. La dernière mobilisation en date remonte au mois de septembre, pour protester contre les résultats du concours national dans l'enseignement primaire et secondaire, où seuls 11 sur les 3.000 candidats de Tataouine ont été acceptés. «Les critères de sélection privilégient les chômeurs de longue date, et non pas ceux issus des régions les plus défavorisées», explique Ali, membre actif à l'Association des diplômés chômeurs de Tataouine. Cette dernière compte 3.500 adhérents. La majorité d'entre eux sont titulaires d'une maîtrise en littérature ou en histoire / géographie, des spécialités qui ne sont pas d'une grande utilité quand les seules opportunités de travail se trouvent dans les secteurs industriel et pétrolier. «Il y a beaucoup de chômeurs mais très peu de compétences qui répondent aux besoins réels de la région. A titre d'exemple, nous avons 900 femmes spécialisées en confection, alors qu'il y a zéro usine de confection à Tataouine», précise Ali Dhokkar, le responsable du Bureau de l'emploi. Autre fait qui expliquerait le fort taux de chômage dans le gouvernorat, le manque d'initiatives entrepreneuriales. «La plupart des diplômés chômeurs veulent être fonctionnaires de l'Etat. Au bureau de l'emploi, nous leur offrons des formations pour les aider à lancer leur propre projet, mais au final, aucun d'eux n'ose franchir le pas», rajoute Dhokkar. Aïcha aurait bien aimé, elle, ouvrir un cyber-café, mais elle a peur de ne pas avoir assez de clients. «Tataouine est une petite ville, on n'est pas nombreux et c'est la crise pour tout le monde. De plus, il y a peu de gens qui viennent de l'extérieur », explique-t-elle. Samir, chômeur depuis trois ans, ambitionne quant à lui de créer une société d'aviculture, mais n'arrive toujours pas à obtenir un crédit. Le jeune de 33 ans en est à son deuxième refus auprès de la Banque Tunisienne de Solidarité. En attendant de retenter sa chance avec les nouvelles banques qui cherchent à s'installer à Tataouine, Samir continuera de pointer au bureau de l'emploi, au moins une fois par mois. Perspectives L'information a du mal à passer dans la ville, pourtant, des opportunités de travail sont en train de se créer à Tataouine. Un projet d'envergure, les salines de « Om el Khayelet », entrera en activité dans six mois, et permettra de recruter 160 personnes issues de la région. A el El Khabta, cité el Mahrajen, une zone industrielle de 14 ha est en cours d'aménagement (taux d'avancement à 65%) et accueillera 18 promoteurs. Ces derniers ont été sélectionnés parmi 52 demandes selon plusieurs critères, parmi lesquels le nombre d'emplois générés et le taux d'encadrement dans l'emploi. D'après le gouverneur, Mourad Achour, le gouvernorat de Tataouine regorge de ressources naturelles non encore exploitées faute d'infrastructures nécessaires. Gypse, marbre, argile sont autant de ressources qui offriront un nouveau départ à la région, une fois qu'on aura multiplié les zones industrielles et développé les circuits de transport routier et ferroviaire. Un autre secteur à fort potentiel de développement serait le tourisme alternatif. «Tataouine a toujours été une ville de passage, un relais pour d'autres villes touristiques. Pourtant elle possède un patrimoine environnemental et culturel riche, avec son désert, ses sites archéologiques et ses 200 ksour. Une stratégie de valorisation de ce patrimoine va être étudiée. Un premier projet de tourisme alternatif a été déjà initié à Douiret et a très bien réussi», informe le gouverneur. On l'aura compris, les perspectives de développement ne manquent pas à Tataouine, mais jusqu'à quel point pourront-elles profiter à une jeunesse qui n'en peut plus d'attendre ? Il n'y a pas de solutions immédiates, les mentalités ne changeront pas du jour au lendemain et, pour l'instant, il n'y a pas de programme de recyclage qui permette aux chômeurs de se retrouver sur le marché de l'emploi. D'ailleurs, il faudrait peut-être que les autorités et toutes les parties concernées par le développement à Tataouine se penchent davantage sur ce dernier point.