Par Zouhair El Kadhi ( economiste) Alors qu'à travers le monde, les Etats bataillent pour maintenir et trouver de nouveaux relais pour plus de croissance dans les prochaines années, la politique industrielle va probablement retenir plus que jamais l'attention car l'économie de services a montré ses limites. Dans cette perspective, la Tunisie doit avoir une stratégie industrielle adaptée, réactive et efficace. De sorte que celle-ci devienne, en plus des services et de l'agriculture, le pivot de la croissance économique. On en reparle beaucoup en ces temps de réorganisation de l'économie mondiale. Certes, la politique industrielle n'est jamais tombée dans l'oubli, même dans les pays qui adhèrent formellement aux principes de l'économie de marché. Mais nous allons devoir en parler davantage car l'intervention de l'Etat dans l'économie a gagné en légitimité dans notre monde post-révolution. De ce fait, l'heure est, pour les autorités tunisiennes, à l'analyse stratégique et au volontarisme. Elles doivent donner la priorité à des secteurs industriels spécifiques pour encourager la croissance et les aider avec des mesures budgétaires, financières et réglementaires. Ce défi est particulièrement difficile, car une vraie politique industrielle doit favoriser la conception de programmes sous la responsabilité de l'Etat dans lesquels secteurs publics et privés collaborent au développement de nouvelles industries. Ce n'est guère étonnant dans la mesure où le terme de politique industrielle fait référence à toute décision gouvernementale qui encourage la poursuite d'une activité industrielle ou l'investissement dans ce domaine. Développement économique et croissance durable sont donc le résultat d'une évolution industrielle et technologique constante — un processus qui nécessite la collaboration entre secteur public et privé. Toutefois, cette collaboration ne devrait pas laisser les bureaucrates se substituer au marché pour définir les secteurs d'avenir. Il faut surtout éviter un retour de l'Etat par la fenêtre alors que les privatisations l'ont fait sortir par la porte. L'histoire nous a montré que l'interventionnisme administratif est souvent voué à l'échec et conduit par ricochet, au gaspillage de l'argent des contribuables. Ma conviction est qu'il s'agit de définir les contours d'un volontarisme industriel totalement orienté vers la préparation de l'avenir et parfaitement compatible avec l'économie de marché. L'Etat doit jouer son rôle d'incitateur et de facilitateur. Il doit encourager davantage l'innovation et aider nos entreprises à devenir compétitives, voire leader au niveau régional et global. L'histoire montre que si dans presque tous les pays en développement l'Etat a essayé de jouer un rôle de facilitateur à moment donné, cela s'est souvent soldé par un échec. L'histoire économique de l'Amérique latine, de l'Afrique et de l'Asie est marquée par des investissements publics inefficaces et des interventions étatiques inopportunes. Ces échecs fréquents sont dus essentiellement à l'incapacité des Etats à prendre des mesures adaptées aux ressources et au niveau de développement du pays. Leur choix s'est souvent révélé désastreux en raison de leur propension à soutenir des secteurs industriels qui ne sont pas en adéquation avec les ressources et le savoir-faire disponibles. Les enseignements des expériences du développement sont clairs : le soutien de l'Etat à la modernisation et à la diversification industrielle doit reposer sur les ressources disponibles. Dans ces conditions, une fois levés les obstacles qui pèsent sur les nouvelles industries, les entreprises privées actives dans les secteurs correspondants deviennent rapidement concurrentielles, tant sur le plan intérieur qu'au niveau international. La question devient alors d'identifier ces industries et d'adopter la politique voulue pour favoriser leur développement. Savoir identifier les bons secteurs à encourager Dans ce contexte, les responsables politiques doivent identifier les industries qui ont donné de bons résultats dans des pays qui disposent des ressources et d'un savoir-faire comparable au leur. Une politique industrielle judicieuse doit exploiter davantage les atouts dont dispose le pays concerné et se construire à partir des possibilités d'intégration de certaines de ses industries ou de ses entreprises dans les chaînes de valeurs internationales (par exemple en approfondissant les liens avec les réseaux de production internationaux et les marchés extérieurs), tout en évitant de surinvestir dans des secteurs à la traîne sur le plan mondial. Le bon sens économique fait que nous devons distinguer les secteurs qui offrent le plus de perspective de développement et de rentabilité : des industries qui réussissent à l'exportation ne sont pas toujours celles qui ont le plus d'impact sur l'emploi et sur la valeur ajoutée. Il ne faut pas oublier les secteurs domestiques, y compris celui des services, qui représentent souvent plus de la moitié de la valeur ajoutée. Savoir abandonner les secteurs qui ne marchent pas Même les secteurs qui paraissent de toute évidence mériter un soutien — des secteurs gagnants à coup sûr — peuvent se révéler perdants dans le climat d'incertitude économique qui domine aujourd'hui. Un Etat doit savoir reconnaître ses erreurs et retirer s'il le faut son soutien avant qu'il ne soit trop difficile ou trop coûteux de faire machine arrière. La stratégie d'investissement doit cibler tout aussi bien le développement purement intérieur que les investissements directs étrangers. Cela signifie qu'il faut nourrir la compétitivité sur le plan international en cherchant à accroître la productivité industrielle au niveau global, et pas seulement en aidant les acteurs nationaux. De la même manière, la politique technologique doit favoriser simultanément le développement des entreprises domestiques et les transferts de technologie. La stratégie de développement des entreprises doit aussi tendre à renforcer les liens avec les entreprises multinationales. Au final, l'incohérence dans la conduite des politiques industrielle, commerciale et politique de la concurrence conduit incontestablement à une grande inefficacité systémique. Une politique industrielle active et efficace nécessiterait le soutien d'une politique commerciale agressive défendant les intérêts des entreprises tunisiennes. Les régions auraient également besoin de rechercher les moyens de générer une croissance endogène fondée sur une dynamique entrepreneuriale et une capacité d'innovation.