Par Nabil BEN AZOUZ * Monsieur, vous qui êtes à la présidence de la République, vous auriez pu être le dernier rempart avant l'irréparable. Vous avez signé une véritable bombe à retardement. On s'en rendra tous compte le moment venu. Dans le brouhaha ambiant (les douloureux événements de Siliana, l'attaque contre l'Ugtt, les groupes terroristes à nos frontières, les milices impunies...) notre classe politique pétrifiée et la société civile préoccupée, ne se sont pas rendu compte que l'ANC a adopté presque secrètement, une loi imparfaite et bancale sur l'Isie. Ceux qui gouvernent, ont voulu détourner l'attention des Tunisiens de l'enjeu réel de cette loi : dangereuse pour l'avenir de notre démocratie en devenir. Dans la précipitation, peut-être les calculs politiciens, sans doute et l'amateurisme législatif, sûrement, les constituants ont adopté ce projet de loi qui risque plus tard de paraître dans ses faiblesses les plus criardes. Les plus démocrates d'entre eux, n'auront plus que leurs yeux pour pleurer. C'est pour eux et pour le pays une bataille perdue d'avance. Le pire, Monsieur le président de la République et Monsieur le président de l'ANC, c'est que les députés ont adopté cette loi sans avoir ni vu, ni lu sa mouture finale. Unique au monde. Nous devenons la risée de toutes les démocraties. Cette loi qui leur a paru acceptable ne garantit ni l'indépendance de l'Isie ni son autonomie. Les futures élections ne seront pas démocratiques. Elles sont désormais verrouillées par Ennahdha. D'avance, Monsieur le président de la République et Monsieur le président de l'ANC, nous pouvons vous confirmer que lorsque les prochaines échéances électorales (si jamais elle ont lieu !) approcheront, notre pays, et à cause de cette loi imparfaite, risque sûrement de vivre de graves crises. C'est aussi à ce moment là que les députés démocrates et avec eux tous les Tunisiens, se rendront finalement compte de l'iniquité de cette loi. Ce sera grave. On sera confortés dans l'idée qu'on nous a volé notre démocratie. L'instabilité est en point de mire. Monsieur le président de la République et Monsieur le président de l'ANC, nous allons vous éviter la litanie de l'analyse article par article de cette loi, qui d'ailleurs aurait dû être faite par les partis politiques concernés. On risque d'ennuyer nos lecteurs et surtout de fâcher le rédacteur en chef de La Presse, qui sait que toute longueur ennuie. Pourtant cela aurait été nécessaire afin de mieux saisir la dangerosité réelle de cette loi. Sur les trente huit articles que comprend cette loi, pas moins d'une vingtaine vont à l'encontre d'une Isie réellement indépendante et d'élections futures absolument transparentes et démocratiques Prenons par exemple l'article 6 qui concerne la commission spéciale de sélection des membres de la future instance. Houni marbet lefrass. Elle sera de facto partisane puisque constituée au prorata des sièges à l'ANC et donc, forcément dominée par Ennahdha. C'est ce parti, qu'on le veuille ou non, qui finalement aura le dernier mot dans le choix des futurs membres de l'Isie. Ce qui n'est guère une garantie d'indépendance de ces mêmes candidats sélectionnés. Même s'ils sont sincères, on se méfiera obligatoirement de leur intégrité. Les pauvres. D'avance la commission a livré l'honneur de ces futurs candidats aux doutes légitimes des Tunisiens. Prenons aussi, et promis c'est le dernier, l'article 19 de cette même loi. Le pouvoir réglementaire de l'Isie, c'est-à-dire les recours et les prérogatives qu'elle peut avoir pour rappeler à l'ordre et punir les éventuelles tricheurs, ne sont pas clairement et explicitement définis. Vous voulez en fait, une instance aux ordres, incolore et inodore, une coquille vide sans pouvoir réel et aux recours juridiques non définis, laissant ainsi libre cour à toutes dérives. M. Kamel Jendoubi, le président sortant de l'Isie n'a cessé de le dire et de le crier dans tous les médias, mais personne n'est à l'écoute. Chacun selon ses calculs. Et là, on comprend mieux la cabale diffamatoire menée dernièrement contre lui pour semer le doute sur sa personne. Il est clair maintenant que certains politiciens ont peur de lui. Ils savent pertinemment que c'est un «juste», un vrai démocrate, un homme intègre et d'une grande droiture. Donc, vu l'expérience et la légimité qu'il a acquises à la tête de cette instance, ils savent tous qu'il sera un véritable rempart contre toute atteinte annoncée à notre démocratie. Après tout, s'il n'est pas reconduit à la tête de l'Isie, nous gagnerons un grand homme politique, libre de sa parole et là ce sera une autre paire de manches. Monsieur le président de la République, Monsieur le président de l'ANC, même si beaucoup d'entre nous ne partagent pas vos choix politiques et sont encore déçus par vos incompréhensibles alliances, nous croyons toujours que vous faites partie de la famille des démocrates. Ne dit-on pas que la rivière finira toujours par retourner dans son lit ! Cette loi doit être revue dans son intégralité. Avant qu'il ne soit trop tard. L'histoire jugera. Mais à défaut, et comme le dit Raymon Queneau «L'histoire sera la science du malheur des hommes» !