L'étau terroriste se resserre-t-il autour de la Tunisie ? Tout porte à le croire. Ce ne sont plus des nébuleuses jihadistes qui font régulièrement acte de présence « violente » sur le territoire national, mais c'est carrément l'institution militaire qui semble être noyautée. Le caporal-chef Badri Tlili, originaire du Kef, la quarantaine, père de deux filles, a été intercepté par les renseignements pour collusion avec les groupuscules terroristes. Convoqué pour enquête préliminaire à la caserne de l'Aouina le 26 décembre, il est décédé samedi 29 décembre. Deux autopsies ont été pratiquées, les deux concordent la thèse d'asphyxie par pendaison. Le corps a été inhumé, lundi après-midi, au cimetière du Kef. Pendant ce temps des vidéos au-delà du supportable circulent sur Facebook montrant l'épouse du défunt exhibant la dépouille de son mari. Des traces de violence sur le visage et le reste du corps sont visibles. Revendiquant une deuxième autopsie, hors hôpital militaire, la famille a obtenu gain de cause rapidement. Le rapport final sera soumis d'ici une dizaine de jours, sauf que les conclusions préliminaires du second examen des légistes annihilent la thèse de «l'interrogatoire musclé ayant entraîné la mort». Toutefois, Radhia Nasraoui déclare à La Presse que les traces de violence sont pour le moins intrigantes. Et pourquoi se serait-il donné la mort ?, interroge l'avocate, lorsqu'il a été appelé à la capitale, il était heureux, pensant à une mission. C'est un père de famille menant une vie équilibrée. De plus, tant qu'ils (l'institution militaire, Ndlr) ne disent rien, et que tout baigne dans le mystère, nous sommes en droit d'émettre toutes les hypothèses, lance à qui de droit l'avocate-militante. L'institution militaire est heurtée par ces allégations Nous n'avons rien à cacher, rétorque le colonel-major Mokhtar Ben Nassr ; le défunt caporal-chef Badri Tlili a fait l'objet d'une information donnée par le ministère de l'Intérieur au ministère de la Défense, faisant valoir une connivence du sous-officier avec des éléments jihadistes de Jendouba et Kasserine. Nous avons procédé à une enquête préliminaire avant l'ouverture d'une instruction judiciaire, précise encore à La Presse le colonel major. Lors de l'interrogatoire conduit par des experts militaires et assistés par des psychologues, il a commencé par tout nier, mais les enquêteurs étaient en possession de preuves contre lui, il a fini par reconnaître avoir une relation avec un élément du groupe terroriste. Samedi avec un pull en laine militaire, Badri Tlili a fait une tentative de suicide par pendaison; transporté à l'hôpital, il est mort. Le juge d'instruction a ouvert une enquête, et deux autopsies ont été successivement pratiquées, confirmant la thèse de l'asphyxie par pendaison. M. Ben Nassr ajoutera que l'institution militaire est heurtée par les allégations menées à son encontre. Nous avons des standards stricts d'interrogatoire, se défend-il, et n'avons pas de prisons dans les casernes mais des départements disciplinaires. Nous regrettons, ajoute-t-il, amèrement l'instrumentalisation de cette tragédie qui ne fait que doubler la souffrance de la famille et jeter l'opprobre sur l'institution militaire qui restera, nous tenons à le répéter, au dessus de tout tiraillement politique, conclut le porte parole du ministère de la Défense. Le colonel-major et magistrat Marouène Bouguerra nous déclare, de son côté, qu'après la première autopsie pratiquée par deux médecins légistes, Dr Fourati, militaire, et Dr Allouch, civil, et à la demande de la famille, une deuxième autopsie a été pratiquée par le chef du service médico-légal de l'hôpital Charles-Nicolle, Dr Moncef Hamdoun, que «j'ai appelé moi-même, précise le magistrat militaire, et insisté à ce qu'il supervise lui-même la deuxième autopsie pour lever tout équivoque». Le deuxième rapport confirme le premier, conclut le magistrat militaire. Le mal est fait Seulement voilà, d'autres détails importants manquent à l'argumentaire. Quel degré de connivence le sous-officier avait-il avec les groupes terroristes? Le noyautage de l'institution militaire est-il certain ? Des munitions manquent-elles dans les dépôts ? Les réponses obtenues des deux sources autorisées que La Presse a contactées, se veulent invariablement rassurantes : l'institution militaire n'est pas noyautée; la preuve, la première dérive a été repérée, nous dit-on. Aucun manque n'a été enregistré dans le dépôt d'armes à la caserne militaire du Kef où travaillait le caporal-chef Tlili. Mais encore ? On finit par nous dire entre deux silences que l'enquête est à ses débuts et que tous les éléments qui seraient révélés seront diffusés ultérieurement. De son côté, la thèse du complot fait son bonhomme de chemin, Badri Tliti aurait été éliminé parce qu'il était «en possession d'informations compromettantes sur des hauts responsables du pays». Ainsi la psychose s'installe dans la cité tunisienne, mais la menace terroriste est aussi réelle. Les derniers événements sanglants de la cité tristement célèbre de Douar Hicher le prouvent. Les autorités, elles, sont dans la confrontation, multipliant les coups de filet. L'interpellation selon les sources jihadistes, de certains salafistes connus comme Yassine Bdiri (le fameux profanateur du drapeau de la Manouba) avant-hier vers 16h00 devant la mosquée Al fath, l'interpellation d'Islam Ben Trad, l'un des activistes les plus en vue de la ligue de protection de la révolution du Kram, elle-même considérée comme très radicale, en sont des exemples édifiants. Toujours selon les pages jihadistes, 20 personnes seraient interpellées ces derniers jours. Les Tunisiens ne faisant pas partie de ces mouvances seront jetés, selon ces forums incendiaires, en enfer terrestre d'abord, les campagnes d'attentats vont se déclencher, n'ont-ils cessé de menacer. C'est ce qui fait dire, hélas, aux uns et autres que le terrorisme a désormais accosté en Tunisie.