Dimanche dernier, tout à fait par hasard, on est tombés sur un évènement retransmis par la télévision suisse sur ARTE, la chaîne franco, allemande. Il s'agissait de la «Traviata» de Verdi, interprété par l'Opéra suisse à la gare de Zurich. Sous la direction de Paolo Carignani, les chanteurs acteurs en costume d'époque évoluent dans tous les coins et recoins de la gare, s'attardant au café où se joue l'action principale. C'est là-bas que le père d'Alfredo rencontre Violetta la courtisane, pour la convaincre de s'éloigner de son fils… Ce dernier, plus que jamais heureux d'amour, un bouquet de fleurs à la main, dévale les escaliers roulants de la gare pour joindre sa bien-aimée…Celle-ci voile son amour jouant à l'indifférente… Alfredo, choqué, s'en va, le cœur brisé…Un acte, puis deux, puis trois… Les comédiens font la pause, mangent et boivent comme de simples passagers. Le chœur revient, il est témoin du drame. Violetta tombe malade et son chagrin la mène jusqu'à la mort… Entre temps, une ambulance traverse la gare. C'est le clou du spectacle. Le mélange des époques est si crédible ! Tout a l'air réel. Les spectateurs, qui ne font que passer, s'arrêtent et deviennent des badauds, des figurants… Ils sont à 50 cm des comédiens. On joue à proximité, c'est super excitant pour cette troupe d'opéra habituée aux théâtres et à un rapport distant avec le public… Les murs ne sont plus. Une «Traviata» comme on n'en a jamais vu. Une mise en scène d'opéra sensationnelle et une réalisation télévisuelle comme au cinéma et à la seconde près… D'après les témoignages recueillis par la reporter de la télévision suisse, la troupe a fait plusieurs répétitions pour que l'action suive la musique de l'orchestre présent sur les lieux et jouant live. A la fin, les artistes ont été littéralement acclamés par le public de la gare, et par nous aussi, téléspectateurs assis aux premières loges. Le générique défile sur les annonces aux passagers de la gare… Emouvant! On ne peut pas mieux dire, émouvant !!! Le théâtre hors des théâtres Quelle aventure artistique ! Cela confirme l'émergence de plus en plus de nouvelles pratiques de l'art et l'invention de nouvelles formes de représentation. Retour aux fondamentaux des arts de la rue ? Démarche citoyenne ? Une chose est sûre : «de plus en plus de compagnies* quittent les sentiers battus de la diffusion à la recherche de nouveaux terrains d'aventures. Leur motivation ? S'immerger au cœur des territoires pour y trouver la matière même de leurs créations. S'adresser non pas à un public, mais directement aux habitants, et créer avec et pour eux. Renouveler le rapport au temps de la création et de la diffusion pour inventer de nouvelles formes, ancrées dans le réel.» On ne peut rester insensibles à ce genre d'expériences. Cela nous rappelle quelques-unes réalisées en Tunisie. Les années 80, le théâtre organique, une troupe qui réunissait des ressortissants du CAD (Centre d'arts dramatiques) et d'écoles françaises de théâtre, a fait une expérience de Théâtre à domicile initiée à Paris et reprise à Tunis avec «conte-moi, raconte-moi», un texte de Lassad Houassine, mise en scène collective. On jouait en privé chez des privés, et on exploitait le décor des maisons. Le public, invité par les hôtes du spectacle, se transforme en «voyeur», il suit les acteurs dans les couloirs et les chambres, les yeux et les oreilles grands ouverts, comme une caméra portée…Cette expérience s'est par la suite développée pour atteindre d'autres endroits comme «Wikalet El ghouri» au Caire, pendant le festival du théâtre expérimental, avec une autre pièce qui s'intitulait «Eddalia», mise en scène par Ezzeddine Ganoun. Des sons et des paysages viennent ressourcer l'œuvre. Le territoire peut être le décor où s'inscrit le projet artistique. Rêver la ville Un autre projet a vu récemment le jour, chez nous, en Tunisie, et plus précisément à la médina de Tunis. Il s'agit de «Dream city», un festival d'art contemporain créé par Selma et Sofiane Ouissi, danseurs, chorégraphes et qui s'avèrent de bons concepteurs d'évènements. Des artistes de tous genres et de tous bords prennent possession de lieux (maisons, boutiques, hammam, etc.) et réalisent des performances qui passent en boucle devant un public guidé par une carte de route. Mais le mot d'ordre est donné à l'avance : chaque performance doit être à l'écoute de la ville et de ses métamorphoses. Rêver sa ville: redonner la parole aux murs qui témoignent d'une certaine existence, celle de l'autre et de l'empreinte de l'autre. Le cadre de vie, espace urbain, ou paysage naturel, devient un matériau pour les artistes. Tout requiert une nouvelle dimension esthétique pour résonner fortement dans la cité. Dream city 2007, et celle encore mieux de 2010, actuellement en préparation, explorent d'une manière puissamment originale l'irréalité troublante du monde visible. Ces trois expériences que nous venons d'évoquer, aussi différentes qu'elles soient, fusionnent création et diffusion, et articulent action culturelle et création artistique. * Extrait de «La stradda», le magazine de la création hors les murs, édition juillet 2008.