Par Néjib OUERGHI Deux ans après la révolution du 14 janvier 2011, un sentiment mitigé d'inquiétude, de doute et de désillusion domine. On a l'impression que le processus initié par une jeunesse qui s'est révoltée contre l'oppression, la dictature et la corruption, connaît subitement des vents contraires qui l'empêchent d'avancer. Aujourd'hui, la transition de la Tunisie vers la démocratie se trouve toujours bloquée, les libertés publiques menacées, la justice encore sous l'emprise du pouvoir politique, les médias constamment sous pression, l'économie en berne et la situation sociale explosive. A l'évidence, le pays fait face à des risques d'une gravité extrême menaçant son modèle de société, sa sécurité, sa stabilité et même son unité. En témoignent, la violence politique et la menace terroriste qui se perçoivent, de plus en plus, à travers la montée de l'intolérance, la prolifération de la circulation des armes dans le pays et la grande mobilité de groupes armés dont certains se réclament d'Al Qaïda au Maghreb islamique. Face à la montée des périls, la classe politique semble impuissante, voire incapable d'orienter le débat public vers les questions essentielles. Cela est vrai pour la Troïka au pouvoir, depuis les élections du 23 octobre 2011, que pour les autres formations politiques, représentées ou non à l'Assemblée nationale constituante, plutôt soucieuses du jeu électoraliste et des surenchères partisanes peu productives que de l'édification de l'Etat civil, garant des droits et des libertés. Deux ans après, le pays demeure dans un flou total, un attentisme et un questionnement lancinants. Un immobilisme déconcertant qui a entamé la confiance des Tunisiens, qui ne savent plus de quoi demain sera fait. A l'absence d'indicateurs probants, s'ajoutent une action et des perspectives imprécises. Aucune feuille de route consensuelle n'a été jusqu'ici fixée, la perspective d'organisation des prochaines échéances électorales ne fait que s'éloigner, celle de l'élaboration de la nouvelle constitution demeure incertaine et du choix d'un système politique encore improbable... Sur le plan économique, le système productif national fait face à des turbulences qui ont mis à rude épreuve ses fondamentaux, la relance de l'activité tarde à se dessiner et la notoriété du site tunisien a été écornée. Au plan social, toutes les attentes que la révolution avait fait naître risquent d'être déçues. Le pouvoir d'achat du Tunisien ne cesse de se détériorer sous l'effet d'une inflation galopante, le chômage progresse, notamment parmi les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, et les régions intérieures du pays, faute de moyens et d'une vision stratégique de leur développement, continuent à être des zones d'exclusion et de marginalisation. En dépit de ce constat par trop pessimiste, les motifs qui poussent à l'optimisme existent toujours. Une grande volonté anime actuellement les acteurs politiques pour sortir le pays du cercle vicieux. Cela se perçoit à travers les douloureuses contractions qui marquent les tractations engagées à l'effet de parvenir rapidement à un consensus sur toutes les questions qui divisent. Une quête qui s'apparente à une opération de sauvetage, complexe et délicate, d'un navire qui commence à chavirer. Les pourparlers menés, dans l'urgence, pour initier un débat national qui rassemble tous les protagonistes de la vie politique ont l'ambition de mener le pays à bon port. Ils visent, surtout, à restaurer la confiance perdue et à orienter tous les efforts vers un objectif qui donnerait corps aux principes de liberté et de dignité que la révolution a semés. Atteindre cet objectif requiert, à n'en point douter, l'émergence d'un front solide qui empêcherait la résurgence d'une nouvelle dictature, une bipolarisation de la vie politique, l'empiètement des libertés publiques et l'empêtrement du pays dans la violence et le terrorisme. Un grand activisme marque, aujourd'hui, le rôle de la société civile qui se positionne en tant que régulateur de la vie politique, économique et sociale. Un véritable contre-pouvoir en émergence qui est capable de s'interposer, le moment venu, pour barrer la route à toute dérive qui mettrait en péril les intérêts et l'unité du pays, les acquis des Tunisiens et leurs ambitions les plus légitimes. Une presse, libérée de l'emprise du pouvoir, qui entend jouer le rôle qu'on lui avait été interdit d'assumer des décennies durant. Une presse indépendante et professionnelle qui a pour mission de rechercher la vérité, d'informer, de servir et d'éclairer l'opinion publique en toute responsabilité sur tout ce qui se passe dans le pays. Une justice indépendante qui ne pourra plus être instrumentalisée ou soumise, qui protégera les droits et les libertés et qui participera activement à la construction de la démocratie. Deux ans après, l'espoir reste possible. Sa concrétisation requiert une action réformiste soutenue et profonde englobant tous les domaines et secteurs et, surtout, un sursaut salvateur des acteurs politiques, toutes appartenances confondues. Ces derniers doivent se plier, de bonne grâce, pour servir la Tunisie , non des intérêts partisans étriqués et, encore moins, un combat idéologique dont les visées sont occultes. C'est par ce moyen que l'on pourra s'assurer que la révolution ne sera pas confisquée, que la démocratie et les libertés seront consacrées, que l'unité du pays et ses intérêts seront préservés, et la Tunisie sera en mesure de présenter une perspective réelle et un projet clair. Que de chemin nous reste à parcourir !