Deux ans après, la région est toujours au point mort. Une commission vérité dignité sera mise en place pour étudier les dossiers de tous les martyrs et pas seulement les martyrs de la Révolution. Le 5 janvier 2008 restera dans les annales. Aujourd'hui, les spécialistes voient dans le soulèvement populaire sans précédent qui s'est propagé, ce jour- là, dans les villes minières du gouvernorat de Gafsa, la genèse des vagues de protestation qui se succéderont par la suite sur tout le territoire. L'effet boule de neige est indubitable. Tel un raz-de marée, la colère se répand comme une traînée de poudre dans les localités de Feriana et de Kasserine et atteint son point d'orgue à Sidi Bouzid où, dans un geste de désespoir qui cristallise le raz-le-bol de milliers de personnes, le jeune Bouazizi s'immole ; devenant le symbole d'un peuple opprimé qui finit par prendre son destin en main. De 2008 à aujourd'hui, en passant par l'année qui a vu la Révolution, marches protestataires, grèves et sit-in sont légion dans les régions et ont pour toile de fond, flambée des prix des produits de base, chômage et inégalité des chances face à l'embauche dans des entreprises publiques et privées qui restent gangrénées par la corruption et les pratiques frauduleuses. Les revendications sociales, elles, n'ont pas changé, ni dans le temps ni dans l'espace, s'adossant à des aspirations communes qui sont celles de la justice, de la liberté et de la dignité. Parmi les soulèvements populaires les plus violents, l'histoire retiendra bien celui du bassin minier de Gafsa qui a failli se transformer en un bain de sang, étouffé par une répression féroce. Loin d'être démontés par la présence renforcée de l'appareil sécuritaire, le népotisme et la mainmise du parti au pouvoir sur les administrations et les structures de la région, les habitants du bassin minier ont pris leur courage à deux mains et sont descendus en décembre dernier dans la rue pour manifester leur indignation et dénoncer des conditions de vie qui n'ont pas changé et qui sont devenues insupportables. Effet de contagion Un retour en arrière s'impose. Le 5 janvier 2008, l'étincelle qui va mettre le feu aux poudres est la publication des résultats du concours d'embauche de la Compagnie de Phosphates de Gafsa (CPG). Ils ne répondent pas aux attentes des diplômés de l'enseignement supérieur au chômage et brisent, ainsi, leur rêve unique de trouver un emploi qui leur garantirait une vie digne. Afin de manifester leur colère, les jeunes manifestants assiègent le bureau régional de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) soutenus par les habitants de la région. Face à ce déchaînement d'hostilités, le rouleau compresseur sécuritaire se met en marche, étouffant la rébellion générale. Les régions du bassin minier subissent la terrible répression de la police et des milices du RCD qui usent de tous les moyens pour terroriser les réfractaires. Accusés d'atteinte à la sûreté de l'Etat et de troubles de l'ordre public, les principaux leaders syndicaux du mouvement du bassin minier en font les frais : ces derniers sont jugés par un tribunal fantoche et écopent de dix ans de prison ferme sans autre forme de procès, alors que les autres manifestants et opposants au pouvoir en place subissent interviews musclés et tabassage en règle. Pendant des mois, bien que toutes les villes soient sous blocus sécuritaire et alors que la répression se poursuit, le silence est imposé aux médias nationaux afin de ménager le pouvoir en place. Les habitants du bassin minier payeront le prix fort de leur soulèvement et l'oppression se poursuivra dans les moindres coins et recoins de cette zone du sud située à quatre cents kilomètres de la capitale mais plus rien n'arrivera à arrêter l'effet de contagion qui gagnera par la suite Sidi Bouzid. Au point mort Deux ans après, la région est toujours au point mort. Selon Adnen Hajji, l'un des leaders syndicalistes, la situation des diplômés de l'enseignement supérieur sans emploi ne s'est pas améliorée et le chômage a augmenté dans la région, au lendemain de la Révolution, avec la fermeture des trois grands pourvoyeurs d'emploi, dont l'usine de textile et de tricotage, les centres d'appels et de l'entreprise de fabrication de faisceaux de câbles Yazaki. «L'emploi reste le principal problème dans la région, note M. Hajji. Le tissu économique est en berne dans toute la zone du bassin minier. Il faut réfléchir à mettre en place une stratégie pour sortir la région de son inertie. L'infrastructure de base doit être rénovée pour attirer les investissements dans la région. Or, beaucoup de routes se trouvent dans un piteux état. Il en est de même des établissements scolaires ainsi que des dispensaires. Il faut avant tout dynamiser le tissu économique en créant des postes d'emploi. Qu'on le veuille ou pas la Compagnie de Phosphates de Gafsa reste le plus grand pourvoyeur d'emplois dans la région. Il faut penser à la mise à niveau de la Compagnie afin que son rendement soit amélioré, ce qui permettra de se répercuter positivement sur les recrutements. Quant aux représentants des structures locales, ils ne doivent pas être désignés par le gouvernement mais élus par les habitants de la région». L'année s'est achevée dans la morosité dans les villes minières de Gafsa. Un sit-in s'est tenu le 21 décembre dernier devant le siège de la délégation de Sidi Ich pour revendiquer les droits des martyrs du bassin minier et protester contre leur non-inclusion dans le décret-loi 97 de l'année 2011, relatif aux compensations des victimes de la révolution du 14 janvier 2011. «Le dossier des indemnisations des martyrs du bassin minier relève de la justice transitionnelle, a affirmé, de son côté, un responsable au niveau du ministère des Droits de l'homme. Une commission vérité dignité sera mise en place pour étudier les dossiers de tous les martyrs et pas seulement les martyrs de la Révolution. Nous avons soumis cette proposition à l'Assemblée nationale constituante qui l'a intégré dans son calendrier. Nous attendons qu'elle adopte le projet de loi relatif à la création de cette commission». Le ton est par contre optimiste du côté du ministère du Développement régional, qui compte sur l'apport de gros investissements privés pour redonner un nouveau souffle au tissu économique dans la région. On parle déjà de dix projets importants qui sont en cours de réalisation et qui permettront de créer plus de mille postes d'emploi dans les villes minières du gouvernorat de Gafsa. Attendons voir.