Par Amin Ben Khaled Vendredi 8 février 2011. Peu avant 20h. M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, s'est adressé aux Tunisiens. Le message était à la fois clair et ferme : maintenir l'idée d'un gouvernement restreint composé de technocrates. Inutile de dire qu'un tel discours politique suscite plusieurs interrogations d'ordre juridique. Le présent article se propose de les poser dans l'espoir de clarifier un peu les choses, au moment où la cacophonie médiatique occulte les questionnements simples et authentiques. 1/ Monsieur Hamadi Jebali a-t-il démissionné? Non. Il n'a pas démissionné. Il propose de former une nouvelle équipe gouvernementale. Ce qui est différent. Notons à cet effet que la «petite Constitution» n'a pas prévu expressément l'hypothèse de démission du chef du gouvernement. Telle hypothèse n'a été envisagée que pour le président de la République. 2/ Pourquoi la démission du chef du gouvernement n'a-t-elle pas été envisagée dans la petite Constitution ? Il y a deux hypothèses. Ou bien il s'agit d'une omission involontaire de la part des élus de la Constituante: dans l'inconscient du parti au pouvoir, le chef du gouvernement n'aura pas à démissionner. Ou bien il s'agit d'une omission «volontaire»: le parti majoritaire voulait mettre le chef du gouvernement dos au mur. Il ne peut être remplacé, dans l'esprit du parti majoritaire, qu'en cas de décès ou d'incapacité absolue. 3/ Le chef du gouvernement peut-il tout de même présenter sa démission ? Une lecture purement littérale de «la petite Constitution» laisse penser que cette hypothèse n'est pas possible. Mais devant le silence du texte, cette hypothèse est juridiquement plausible, le principe en droit étant que ce qui n'est pas interdit est permis. Le chef du gouvernement peut présenter par conséquent sa démission. 4/ Si le chef du gouvernement présente sa démission, que se passera t-il ? L'hypothèse n'a pas été envisagée dans la petite Constitution. Mais elle peut être interprétée, par certains élus, comme étant un cas d'incapacité absolue de la part du chef du gouvernement. Il est vrai que l'incapacité absolue est souvent entendue comme étant une incapacité «physique» d'assurer le poste du chef du gouvernement. Mais certains pourront aussi interpréter l'incapacité absolue comme étant «l'incapacité politique» du chef du gouvernement de renouveler son équipe, d'où sa démission. Dans ce cas, le président de la République charge le candidat du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de la Constituante de former un gouvernement. C'est-à-dire que le candidat sera un membre du parti majoritaire, le parti Ennahdha. 5/ Si quelques ministres décident de démissionner du gouvernement actuel avant la proposition du nouveau gouvernement, que fera le chef du gouvernement ? En réalité, selon la petite constitution, en cas de vacance d'un ou de plusieurs ministres, les nouveaux ministres doivent passer par la Constituante pour obtenir le vote de confiance. Mais dans l'état actuel des choses, on n'est pas dans un cas de vacance de ministres vu que le chef du gouvernement a décidé de les changer. On est, par conséquent, dans un cas de continuité gouvernementale. 6/ Le chef du gouvernement doit-il passer par la Constituante s'il veut proposer des ministres technocrates ? Non. Car il ne s'agit pas de former un nouveau gouvernement. Il s'agit de changer des ministres. Selon la petite Constitution, le chef du gouvernement a la possibilité de créer, de modifier ou de supprimer les ministères et les secrétaires d'Etat. Or, il y a un principe général en droit : qui peut le plus peut le moins. Vu que le chef du gouvernement peut créer, modifier ou supprimer des ministères, il peut de surcroît changer ses ministres sans avoir à passer par la Constituante. 7/ La Constituante peut-elle retirer sa confiance du chef du gouvernement si elle n'a pas approuvé son discours ? Oui. C'est possible. Le retrait de confiance peut être approuvé par la majorité absolue des élus. C'est-à-dire, numériquement, il faut l'accord de 109 élus. Si ce nombre n'a pas été atteint, le gouvernement de M. Jebali ne peut pas être inquiété pendant trois mois, car aucune autre motion de censure ne peut être adressée durant cette période. Mais si le retrait de confiance est approuvé, dans cette hypothèse c'est le président de la République (c'est-à-dire M. Moncef Marzouki) qui va proposer une personnalité qu'il jugera apte à gérer le gouvernement. Il la présentera à cet effet devant la Constituante pour qu'elle obtienne la confiance de la majorité absolue des élus. Notons à cet égard que le président peut choisir une personnalité tunisienne qui n'a aucune appartenance politique. 8/ Que fera M. Jebali dans les prochains jours ? Cela dépend de ses motivations politiques. Veut-il renvoyer la balle à son parti politique ? Ou veut-il se soustraire de ses obligations partisanes pour s'investir dans un gouvernement apolitique? Car s'il va démissionner, la balle sera dans le camp du parti Ennahdha qui va interpréter probablement cette démission comme étant un cas d'incapacité absolue du chef du gouvernement et, donc, le parti majoritaire va proposer un nouveau candidat. Si M. Jebali va passer par la Constituante, deux hypothèses s'offrent: ou bien la Constituante va approuver (ce qui semble peu probable selon les déclarations de certains élus influents au sein du bloc du parti Ennahdha). Ou bien la Constituante va retirer sa confiance du chef du gouvernement. Dans ce cas, la balle se trouvera paradoxalement dans le camp de la présidence de la République. Car, si la majorité des élus retire sa confiance de la nouvelle équipe gouvernementale, c'est au président de la République de proposer un candidat en concertation avec les partis, les coalitions et les groupes de députés. Il se peut aussi que M. Jebali décide d'outrepasser la Constituante en la mettant devant le fait accompli. Mais une question qui demeure sans réponse pour l'instant s'impose : peut-il gouverner ainsi ?