Comme on pouvait s'y attendre quelque peu, Hamadi Jebali a décliné hier la proposition de son propre parti, Ennahdha, d'être reconduit à la tête d'un nouveau gouvernement. Autant cette démission est motivée par deux visions diamétralement opposées (la sienne et celle de son parti), autant celle-ci place de nombreux partis dans une position inconfortable. S'agit-il pour eux de revoir à la baisse leurs conditions de participation au gouvernement ou de refuser par principe d'adhérer à un gouvernement qu'ils jugent celui des «faucons». Pour éclairer les lecteurs, La Presse a approché Samir Taïeb, porte-parole d'Al Massar, Khalil Zaouia, membre du bureau exécutif d'Ettakatol, et Mohamed El Hamdi, coordinateur général de l'Alliance démocratique. Témoignages. Samir Taïeb (porte-parole d'Al Massar) : «Nous n'allons pas soutenir un gouvernement de ‘‘faucons'' à l'ANC» C'est l'impasse pour le pays car la démission et le désistement de Jebali auxquels il a été poussé représente une sorte de fuite en avant de la part d'Ennahdha qui a opté pour un gouvernement favorisant l'aile dure et les faucons de ce parti. Le futur gouvernement ne va pas recueillir, à mon avis, une large adhésion. Je parle au nom du parti Al Massar et de l'Union pour la Tunisie réunissant Nida Tounès, El Joumhouri, le Parti socialiste et le Parti du travail patriote et démocratique, car nous venons de nous réunir et nous sommes attentifs aux derniers développements concernant le désistement de Hamadi Jebali. Nous avons lu le communiqué d'Ennahdha qui évoque le choix d'un autre candidat pour la primature. En ce qui nous concerne, et suite à l'échec de l'initiative de Jebali de former un gouvernement d'union nationale, il n'est pas question de descendre sous le seuil d'un gouvernement dans lequel les ministères de souveraineté, en plus des Affaires religieuses, ne reviennent pas à des personnalités indépendantes. Pour le moment, nous n'accorderons pas notre soutien à un gouvernement présidé par ce qu'on appelle un «faucon». Ennahdha a raté l'occasion de sortir le pays de la crise avec les moindres dégâts. Ce parti s'isole de plus en plus. Nous n'allons pas soutenir le futur gouvernement à l'Assemblée nationale constituante. Nous allons mobiliser nos partisans et nous activer dans les prochains jours avec le soutien du Front populaire, afin de réactiver l'initiative de l'Ugtt, étant donné le refus d'Ennahdha et du CPR. Il ne faudrait pas non plus qu'on nous fasse oublier la question de l'assassinat de Chokri Belaïd. Les prochains jours vont être chauds, nous suivons tous les développements et nous nous réunissons plusieurs fois par jour avec les autres partis de l'Union de la Tunisie. Khalil Zaouia (membre du bureau exécutif d'Ettakatol) «Notre participation au futur gouvernement est soumise à certaines conditions» Nous regrettons l'échec de l'initiative de Hamadi Jebali et nous pensons que vu le consensus autour de sa personne, il était le plus apte à former le nouveau gouvernement. Pour participer à ce gouvernement, nous maintenons nos conditions : la neutralité des ministères régaliens qui ne doivent pas échoir à des ministres partisans, mais accordés à des technocrates, la nécessité d'une mentalité de gestion gouvernementale qui garantit la collégialité des prises de décision, ainsi que la révision des nominations au sein de la Fonction publique. A défaut, notre participation sera hypothéquée. Il y a donc risque qu'il n'y ait pas de majorité à l'Assemblée constituante au moment du vote du futur gouvernement. Nous estimons qu'il faudrait que les acteurs politiques soient mûrs et responsables afin de construire sur l'initiative et sur ce qu'a déjà entrepris Hamadi Jebali qui a réuni tous les protagonistes, lesquels ont établi un diagnostic et fait montre d'un consensus autour de la proposition et de la personne de Jebali. Que le gouvernement soit formé de technocrates ou qu'il soit mixte, entre technocrates et personnalités politiques partisanes, les deux formules ont été acceptées par Jebali. Maintenant, le risque est que la crise devienne ouverte et qu'on passe d'une situation d'un gouvernement qui a démissionné à un gouvernement fragile et instable. Mohamed El Hamdi (coordinateur général de l'Alliance démocratique) : «Nous avons raté une occasion de sortie de crise» Le désistement de l'ancien chef de gouvernement pour former le nouveau gouvernement est dû à certaines pressions. Il y a été poussé vu les conditions imposées par son propre parti, Ennahdha. L'initiative de Jebali a donc avorté, traduisant, ainsi, une occasion ratée de sortir le pays de la crise. Le pays a perdu un homme autour duquel s'est cristallisé un consensus, en raison de toutes sortes de manœuvres qui ont rendu le processus encore plus difficile. Voilà qui n'est pas du tout sérieux d'autant que je doute fort qu'Ennahdha accepte les conditions de neutralité des ministères de souveraineté posées par l'opposition et même des autres partis de la Troïka. Concernant notre participation ou acceptation à l'ANC du futur gouvernement, je ne peux me prononcer sur un gouvernement dont je ne connais pas encore le profil, ni la formation.