La désignation d'Ali Laârayedh pour former le prochain gouvernement aura-t-elle pour effet de faire sortir le pays de la zone de turbulences et de tractations interminables dans laquelle il s'est enlisé depuis quelques semaines ? Est-ce le début d'une solution ou l'annonce d'une nouvelle crise d'un autre type ? Quelles sont les attentes des partis et leurs exigences pour que le nouveau chef de gouvernement puisse réussir dans son entreprise ? Voilà autant d'interrogations qui retiennent l'attention de l'opinion publique. La Presse a sondé les réactions de quelques acteurs politiques pour éclairer les lecteurs sur leurs positions et les attentes de leurs partis. Témoignages Abdelaziz Kotti (membre du bureau exécutif de Nida Tounès) : La crise va perdurer encore plus A travers la nomination d'Ali Laârayedh en vue de la constitution du prochain gouvernement, nous pensons qu'Ennahdha va poursuivre la même démarche. Elle n'a pas compris les messages envoyés par le peuple tunisien lors des crises qui viennent de secouer le pays, particulièrement à la suite de l'assassinat de Chokri Belaïd. Elle conduit la Tunisie vers le retour à la case départ sans se rendre compte qu'après le 6 février 2013, la situation politique n'est plus la même. L'échec de l'initiative de Hamadi Jebali a aussi changé la donne sans qu'Ennahdha en tire les conclusions qu'il faut. Au parti Nida Tounès, nous considérons que la crise va durer encore. La mainmise d'Ennahdha va s'accentuer davantage. Nous refusons de participer au prochain gouvernement au cas où Ali Laârayedh solliciterait notre concours. Pour nous, l'essentiel est que les quatre ministères de souveraineté (Intérieur, Justice, Affaires étrangères et Défense nationale) soient confiés à des personnalités indépendantes ainsi que le ministère des Affaires religieuses, surtout que nos mosquées se sont transformées en caches d'armes et d'intégristes menaçant la sécurité du pays. Deux urgences sont à l'ordre du jour du chef de gouvernement désigné. Il s'agit de la dissolution immédiate des ligues de protection de la révolution et la révélation des résultats de l'enquête sur l'assassinat de Chokri Belaïd. Mohamed Bennour (porte-parole d'Ettakatol) : Des ministres qui parleront au nom du gouvernement et non de leurs partis Effectivement, la Tunisie est actuellement dans une zone de turbulences menaçant sérieusement sa sécurité et sa stabilité. Pour que notre pays s'en sorte, il faut que toutes les forces politiques s'unissent, fassent front commun contre tous les dangers et placent l'intérêt supérieur de la nation au-dessus des intérêts de leurs partis. Ali Laârayedh peut réussir dans sa mission à condition qu'il respecte les exigences suivantes : la neutralité des ministères de souveraineté, une participation la plus élargie possible des compétences nationales qui ont fait leurs preuves dans leurs spécialités. Pour barrer la route à la désunion, les futurs ministres doivent s'engager à ne pas se présenter aux prochaines élections, y compris le chef du gouvernement lui-même. Ils ne doivent pas parler aux médias au nom de leurs partis mais strictement au nom du gouvernement auquel ils appartiennent. Pour réussir, le prochain gouvernement doit satisfaire les priorités suivantes: la réinstauration de la sécurité, la lutte contre la hausse des prix, la lutte contre toutes les formes de contrebande des produits de première nécessité et la résolution du dossier des hommes d'affaires. Il est appelé à mettre en place, également, une cellule de vigilance dans chaque gouvernorat pour pallier les urgences. Mounir Kachoukh (membre de la coordination nationale du Front populaire) : La domination d'Ennahdha se poursuivra de plus belle La désignation d'Ali Laârayedh pour former le prochain gouvernement ne résoudra, en aucune manière, la crise. Former un gouvernement sans un programme répondant aux problèmes de l'heure et sans concertation avec les composantes politiques et sociales du pays reviendra à répéter l'expérience de Hamadi Jebali. La situation actuelle n'est pas près de se stabiliser au vu de la violence répétitive qui augmente de plus en plus avec les soi-disant ligues de protection de la révolution, les milices parallèles qui terrorisent la population et la non-visibilité de l'enquête sur l'assassinat de Chokri Belaïd. Le Front populaire exige la tenue d'un congrès de salut national afin d'élaborer ensemble un programme pour la deuxième étape transitoire. Les axes principaux de ce programme doivent aboutir à la dissolution des ligues de protection de la révolution, à la définition d'une date précise pour la finalisation de la Constitution, à la fixation d'une date définitive pour les élections générales, à la création des instances des médias, des élections et de la magistrature et à la promulgation de la nouvelle loi électorale. Qu'attendre maintenant du prochain gouvernement Laârayedh ? Nous nous attendons à la répétition des scénarios que nous avons déjà vécus et au lieu d'une coalition à trois têtes, nous aurons une coalition de 4 ou 5 partis, toujours sous la domination écrasante d'Ennahdha. Mahmoud Baroudi (membre du bureau constitutif de l'Alliance démocratique) : Nous participerons au prochain gouvernement si... C'est un mauvais choix dans la mesure où Ali Laârayedh a failli à sa mission à la tête du ministère de l'Intérieur. Sur le plan sécuritaire, notre pays a traversé des moments très difficiles et très pénibles. Le département de l'Intérieur, sous la direction du futur chef de gouvernement, n'a pas réussi à mettre en place une politique préservant la sécurité des Tunisiens. Faut-il rappeler les actes de violence ayant ciblé, à intervalles réguliers, les hommes politiques, les journalistes, les intellectuels pour finir — espérons-le — avec l'assassinat de Chokri Belaïd. Au sein de l'Alliance démocratique, nous pensons que le choix d'Ali Laârayedh va rendre le consensus encore plus difficile. A notre avis, c'est le début d'une nouvelle crise. Le délai de 15 jours en vue de la constitution du gouvernement ne sera sûrement pas respecté. Notre participation à ce gouvernement dépendra du programme que va annoncer Ali Laârayedh. Nos conditions sont toujours d'actualité, à savoir la neutralité des ministères de souveraineté, la tenue d'un dialogue national sur les priorités de la deuxième phase transitoire et la finalisation du texte de la Constitution. Riadh Ben Fadhl (coordinateur général d'Al Qotb) : Ali Laârayedh sera-t-il le chef de gouvernement de tous les Tunisiens ? Comme nous l'avons déjà indiqué, pour Al Qotb, il s'agit de définir un programme d'urgence national et de salut public car le débat dépasse telle ou telle personne, vu la situation dramatique par laquelle passe notre pays. Il y a un devoir de bilan et de redevabilité auquel aucun responsable politique ne peut échapper, particulièrement la défunte Troïka. Nous espérons que la désignation de Laârayedh contribuera à assainir la situation et que le cycle de violence cessera, d'autant plus que les mouvances jihadistes sont en train de monter au créneau. Nous nous attendons à ce que le chef de gouvernement désigné assume pleinement ses responsabilités et saisisse qu'il est le Premier ministre de tous les Tunisiens. Il est appelé à s'affranchir de tout calcul partisan. Il reste à savoir si Ali Laârayedh aura les coudées franches et saura refuser d'être la courroie de transmission de l'aile dure de son parti.