En principe destiné à enseigner l'arabe dans les lycées secondaires, fonction qu'il n'exerça guère sinon très peu au privé, il se découvre en 1985 un don pour la poésie et signe, d'entrée de jeu, l'un des plus grands succès de Amina Fakhet, Tyr el hamem majrouh. Vingt ans plus tard, en 2004, il se voit décerner à Tripoli (Libye) un prix jamais attribué par le passé : celui du meilleur parolier pour Hissar (siège) interprétée par Insaf Belghalia, lors du Festival de la chanson arabe organisé par l'Union des radios et télévisions arabes (ASBU). La même année, il lui est dévolu un prix national pour l'ensemble de sa production. Rencontre avec un grand artiste très peu bavard, dont la timidité a, régulièrement, tenu loin des feux de la rampe, mais qui compte, quand même, plus de 420 textes, composés et interprétés, dans leur majorité, par les meilleurs de la scène. Qui, du chanteur, du compositeur ou du parolier, va vers l'autre? Comment se crée la relation autour d'un projet? En ce qui me concerne, c'était un concours de circonstances assez particulier, car, avant de devenir parolier, j'avais fait très fortuitement la connaissance de Mohamed Mejri. C'est donc grâce à lui que j'ai pu approcher, petit à petit, les vedettes tunisiennes. Mais à ce jour, je n'ai jamais été frapper à la porte de quelque chanteur que ce soit. Je suis tout le temps bloqué par ma timidité, je n'ose pas proposer mon travail à quelqu'un. Si vous nous livriez quelques noms ayant chanté vos paroles... Lotfi Bouchneq, Amina Fakhet, Saber Rebaï, Najet Attia, Iheb Taoufik, Hassen Dahmani, Sonia Mbarek et j'en oublie... On dit que vous écrivez plutôt pour le mezoued Pas seulement, mais aussi pour le mezoued, car j'y crois. De toute façon, je n'ai jamais été élitiste, j'appartiens à la classe populaire. Oui, j'aime le mezoued, quand il est bien fait et j'ai écrit une bonne soixantaine de chansons pour les artistes de ce genre : Hédi Habbouba, Hédi Donia, Lotfi Jormana... C'est une manière de dire «je peux réussir tous les genres»? Non, mais à une certaine époque, le mezoued était carrément interdit ; on voulait sa disparition pure et simple de la scène. Or, j'entendais, au contraire, qu'il avait droit d'exister, ses fans étaient et sont toujours très nombreux. Du temps où j'étais producteur-présentateur d'une émission sur Canal 21, je n'avais de cesse d'appeler sur le plateau des professionnels du mezoued. Quels sont, à vos yeux, vos plus grands succès? Je suis sincère dans tout ce que j'écris ; par conséquent, je considère que tout ce qui a été chanté et proposé au public est un succès pour moi. Mes plus grands succès?... Je n'en sais rien... Disons que, sans prétention aucune —ni fausse modestie—, j'ai pleinement réussi environ 10% de l'ensemble de mes chansons. Le Qassid ne vous a jamais tenté ? Oh, si!... J'ai écrit la bagatelle de quelque 70 Qassid qui, pour des raisons que je ne m'explique pas moi-même, n'ont jamais été chantés, à l'exception de Hissar, composition de Slim Dammak, et interprétée par Insaf Belghalia. Mais je ne crois pas que le Qassid soit un genre facile à mettre en musique. Dès qu'on remet en question le niveau de la chanson tunisienne, les compositeurs attribuent la faiblesse à l'absence de bons paroliers tunisiens... Non, ce sont plutôt certains chanteurs qui le prétendent, et ce, pour justifier leur faible pour la chanson orientale dont ils font leur gagne-pain, tout comme ils continuent de vivre aux crochets des grands noms disparus. On chante le répertoire de Hédi Jouini, par exemple, au prétexte qu'il n'y a pas de bons paroliers et de bons compositeurs pour se faire un répertoire propre. Ceci dit, ce qui fait défaut à la chanson tunisienne se situe à deux niveaux. D'abord, l'absence d'une assise commerciale : il n'y a pas de véritables sociétés de production, à même de parrainer telle ou telle vedette. Ensuite, l'absence d'un matraquage médiatique. En Orient, une Nancy Ajram, à titre d'exemple, est diffusée plusieurs fois par jour sur plusieurs chaînes radio ou télévision. Notre problème ne se situe pas au niveau créatif, mais il est d'ordre commercial. C'est, d'ailleurs, la même chose un peu partout au Maghreb. Le Raï n'aurait jamais connu le succès qui est le sien, aujourd'hui, partout dans le monde, s'il n'avait pas émigré en France où il s'est doté d'une imposante assise commerciale. Or, chez nous, même les chaînes radio diffusent à outrance la chanson orientale au détriment de la chanson tunisienne qui n'intervient qu'à concurrence de 10%, sinon moins. Pourquoi est-ce que les paroles d'une chanson tournent toujours autour d'un seul thème : l'amour? Ne peut-on pas varier un peu? D'abord, c'est une question de convictions personnelles. Puis, c'est vrai, il n'y a que l'amour qui compte. Quand je traite de la terre, d'une cause patriotique, humaine ou autre, c'est d'amour qu'il s'agit. Si ce n'est pas indiscret, à combien sont proposées les paroles d'une chanson? A mes débuts, je me contentais de 200 dinars la chanson, c'était en 1985-86. Depuis, j'ai tout fait pour l'élever à 2.000 dinars, alors que le parolier égyptien exige entre 7 et 10 mille dollars. Pouvons-nous parler d'un véritable marché de la chanson? Au meilleur des cas, c'est un marché occasionnel, improvisé, qui répond à une demande, quand demande il y a. En vérité, non : il n'y a pas de marché de la chanson. Comment existerait-il, quand les droits d'auteur ne sont pas garantis? Toutes les maisons de production d'albums ont fermé, à l'exception d'une. Cela veut dire que tous ces CD qui circulent sont piratés et à l'abri de tout contrôle. Or, le chanteur tunisien finance lui-même sa chanson qui lui revient à au moins 6 mille dinars, et doit ensuite supplier la maison de production pour la réalisation du CD, sans pour autant être certain d'échapper au piratage. Travailler et financer pour ne rien récolter? De quel marché peut-on parler? Comment travaillez-vous : à la commande ou quand vous êtes inspiré? Je réponds parfois à des commandes. Par exemple, j'ai écrit pour des génériques d'émissions, de feuilletons, de films. Mais en répondant à la demande, j'y mets ma sensibilité propre, mon professionnalisme, je n'ai pas à me conformer à des recommandations quelconques, je reste entièrement libre dans mes contributions. Disons que je suis un artisan. Mais un artisan qui ne se laisse pas cloîtrer dans un genre particulier, je ne suis pas spécialiste en ceci ou en cela : de l'amour d'une femme à l'amour de la patrie, j'écris sur tous les sujets imaginables, mais dans les règles de la décence, évidemment. Où vous classez-vous parmi les paroliers tunisiens? C'est une question-piège. Epargnez-moi ça. Etre parolier, cela fait vivre son homme? Non, pas du tout... Et alors? Et alors, quoi? J'assume et je paye constamment le tribut de mon choix. Un projet en cours? Oui, je suis sur Sarkha 2 avec Saber Rebaï.