Les premiers mois de 2013 ont été marqués par la prolifération des actes de violence de toutes sortes: l'assassinat de Chokri Belaïd, des suicides par immolation en plein public, mais aussi des viols commis sur des femmes et des mineurs véhiculés par les médias sous un air de scoops atroces. Cette vague de violence et d'atteinte à la pudeur est perçue par la société tunisienne, toutes classes et catégories sociales confondues, comme une sérieuse menace à la sécurité des catégories classées comme vulnérables, notamment les femmes et les enfants. La phobie de la violence, d'une manière générale, et du viol en particulier, s'empare des uns et des autres. Cette phobie est-elle pour autant justifiable? Le viol a-t-il réellement pris de l'ampleur dans notre société? Constitue-t-il un phénomène psychosocial au sens propre du terme? La réponse à toutes ces interrogations ne peut être catégorique, surtout en l'absence d'études à même d'établir la comparaison entre les crimes de viol commis avant et après la révolution. Toutefois, les spécialistes en sociologie et en psychologie sont unanimes quant à l'existence de ce phénomène; un phénomène qu'ils qualifient de non émergent. «Le viol n'est pas un phénomène émergent. Il prend probablement plus d'importance que d'habitude en raison de la médiatisation des actes de viol. Avant la révolution, ce phénomène existait ainsi que toutes les autres agressions sexuelles, notamment la pédophilie ou l'inceste. Il était, cependant, considéré comme tabou y compris par les victimes et leurs familles. Aujourd'hui, par contre, l'on en parle beaucoup, ce qui nous donne l'impression que ce comportement violent est tout nouveau», explique le Dr Radhia Halouani, psychologue. Sociologiquement parlant, il est difficile de cerner le phénomène du viol et d'en tirer des conclusions générales. Selon le Dr Fawzi Bouaâziz, sociologue, le viol constitue un phénomène complexe, dont les fils conducteurs varient selon le profil du violeur. «Le viol est une forme de violence qui existe dans toutes les sociétés, aussi bien à l'échelle des institutions qu'au plan individuel. Son aspect sociologique relève, essentiellement, du rapport de socialisation et de la relation inégale entre l'homme et la femme; une relation fondée sur l'autorité, voire la domination. Néanmoins, il existe dans notre société d'autres formes de viol dont on ne parle pas beaucoup, comme le viol homosexuel, le viol conjugal et le viol commis par des femmes sur des hommes», explique le Dr Bouaâziz. La société tunisienne vit, actuellement, au rythme incertain de l'insécurité et du flou socioéconomique et politique. Ce contexte d'instabilité et de tension représente un terrain favorable à la violence sous toutes ses formes. «Nous sommes encore plus exposés aux agressions et à la violence. La passivité des institutions de l'Etat, le vide juridique et la non-sanction des crimes constituent des facteurs favorables à la prolifération de ce fléau», explique la psychologue. Ce contexte d'instabilité, voire de révolte permanente contre les conventions et les valeurs a, par ailleurs, ouvert la voie à des comportements parfois excentriques, visant, selon leurs auteurs, à s'exprimer et à traduire leur propre vision de la sexualité. «Nous vivons dans une société érotisée où l'expression de la sexualité s'avère être possible. D'autant plus que l'accès facile aux sites pornographiques et de pédophilie est susceptible de favoriser les projets de viol», renchérit le Dr Bouaâziz. Affirmation de soi via le crime sexuel Par ailleurs, en décortiquant le problème en tant que phénomène psychologique, plusieurs paradoxes jaillissent à la surface, démontrant encore une fois sa complexité. En effet, on a souvent tendance à coller aux violeurs le profil de malades psychiatriques, tellement leurs actes criminels et obscènes semblent inadmissibles. Or, cette éventualité n'est point évidente. Selon la spécialiste en psychologie, la majorité écrasante des violeurs sont des hommes d'un niveau social et d'instruction honorables au point qu'il semble difficile de douter de leurs comportements. «Les violeurs ne souffrent pas pour la plupart de pathologies psychologiques ou psychiatriques. Toutefois, ils représentent un terrain favorable à l'agression sexuelle, un terrain dû sans doute à la constitution de leurs personnalités. Le violeur cherche toujours à s'affirmer via la violence sexuelle. Le viol constitue ainsi un moyen permettant la domination de la victime. Plus la victime est fragile, plus la satisfaction est grande, d'où les abus sexuels sur les enfants», explique le Dr Halouani. Et d'ajouter que les malades psychiatriques sont moins redoutables que les personnes qui agissent consciemment pour assouvir leurs fantasmes via le crime sexuel. Manifestement, l'acte de viol se nourrit essentiellement de complexes psychologiques, mais aussi, et surtout, de la peur qu'éprouve la victime. Le vide juridique et la souplesse déplacée des institutions de l'Etat face à ce genre de crimes obscènes ouvrent le champ à ce comportement immoral et inhumain. Par ailleurs, la culture du non-dit et l'absence d'une éducation sexuelle censée informer les enfants sur le danger qu'ils peuvent risquer en la présence d'un adulte familier ou inconnu constituent des défaillances auxquelles il faut remédier. La lutte contre la prolifération de ce fléau implique aussi bien les institutions de l'Etat, les parents que la société civile.