«Le peuple réclame du travail», un slogan tant déclamé lors des différentes manifestations depuis la révolution du 14 janvier. La dégradation du marché de l'emploi est une véritable saignée. 100 mille emplois au programme de 2012 dont 61 mille ont été créés au cours du premier semestre dans des secteurs de bâtiment, travaux publics, menuiserie, mécanique, soudure, équipement sanitaire et agriculture, selon le ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle. Ces chiffres, c'est un peu comme dans les manifestations, il y a les chiffres de la police et ceux des organisateurs qui sont contestés par les chômeurs. Ces créations d'emplois ne concernent pas les diplômés du supérieur à qui le gouvernement de Jebali avait proposé de travailler à la «récolte des olives». Avec une activité économique en berne, les entreprises sont contraintes de réduire leurs effectifs. Malgré la dégradation massive du taux d'emploi, le nombre de chômeurs devrait être réduit en 2013 compte tenu des recommandations de la commission multipartite pour l'élaboration d'une stratégie nationale de l'emploi créée à l'issue de la conférence nationale sur l'emploi tenue en juin 2012. Pour ce faire, il a été recommandé notamment la levée des restrictions empêchant la réalisation de nombreux projets et l'encouragement à l'investissement. Des difficultés à surmonter Parmi les mécanismes de création d'emploi, la Banque tunisienne de solidarité (BTS), souvent assimilée à tort au Fonds 26/26, et qui se fait assez discrète depuis la révolution à tel point que certains ont cru à sa disparition, est un levier important de micro-financement de projets. Elle a contribué à la création de 11 mille postes d'emploi. En 2011, les crédits accordés au profit des jeunes promoteurs sont passés de 12.760 à 6.016 en 2012. Le montant des crédits a lui aussi chuté, passant de 106,5 millions de dinars en 2011 à 61,3 millions de dinars en 2012. Le secteur des services a bénéficié de 50,2% de la totalité des crédits alloués, les petits métiers de 23,8% et le secteur de l'artisanat de 22,2%. 37,5% des crédits sont allés aux régions de l'ouest du pays. Les taux consacrés au financement de projets au profit des diplômés du supérieur sont de 39%. Les raisons de la chute de moitié du financement sont dues à des facteurs à la fois endogènes et exogènes. Après la révolution, la banque a vécu une période d'instabilité à l'instar du pays. D'une banque de Ben Ali qui recevait ses instructions d'en haut, la BTS a connu une métamorphose institutionnelle, ceci concernant l'aspect endogène. Pour ce qui est de celui exogène, les agences ont pris du recul et puis il y a eu un tassement de la demande. En effet, les jeunes diplômés du supérieur ne voulaient pas prendre le risque de monter un projet mais ont préféré participer à des concours dans des établissements publics ou privés pour devenir salariés. Mais, très vite, les jeunes diplômés ont compris les limites des secteurs public et privé et il y a aujourd'hui un phénomène de retour sur l'auto-emploi. Mohamed Kaâniche, désigné p.-d.g. de la BTS au mois de septembre 2012, ne cache pas les difficultés que rencontre la banque : «Le bilan de 2011 a enregistré 3, 5 millions de déficit dû au niveau de risque, à l'augmentation des impayés, aux difficultés de recouvrement, etc.». Autrefois, sous le régime du président déchu, ce déficit était comblé par l'Etat, alors que de nos jours ce n'est plus le cas et la banque doit relancer son activité limitée à l'octroi des crédits. L'objectif de 2013 est d'atteindre le niveau de 15 mille crédits pour la création de 22 mille postes d'emploi, dont 4.500 au profit des diplômés du supérieur, à travers toutes les régions du pays. A cet effet, chaque agence dispose de son programme. Mise en place de programmes spécifiques Un autre objectif d'ordre sectoriel concerne le secteur agricole dont l'augmentation des crédits tournera autour de 15% contre 4% en 2012 et 8% comme moyenne annuelle. 52% des crédits sont réservés aux régions de l'intérieur du pays. «La BTS n'est pas un mécanisme d'octroi de crédit seulement, désormais, elle est appelée à faire le suivi», explique Khélifa Sboui, directeur des microcrédits. Réexaminer des projets à faible rentabilité pour un soutien et un refinancement de la clientèle, trouver un mécanisme pour que le projet soit rentable et non répétitif. A ce titre, 3.000 dossiers devraient être financés avec un budget de 9 millions de dinars, programme d'appui à l'autofinancement et un fonds d'amorçage avec le ministère du Développement et de la Coopération internationale de 5 millions de dinars. 14 gouvernorats sont concernés par ce programme (Béja, Jendouba, Le Kef, Siliana, Kasserine, Sidi Bouzid, Kairouan, Gafsa, Kébili, Tozeur, Tataouine, Médenine, Gabès et Zaghouan). Des programmes spécifiques sont également prévus pour les projets en difficulté. Ils toucheront 4.000 bénéficiaires. Cette opération de sauvetage permettra de donner une bouffée d'oxygène pour la création de postes d'emploi. Un autre partenariat avec l'Agence nationale de l'emploi et du travail indépendant d'un montant global de 5 millions de dinars et une dotation remboursable à 0% après un certain nombre d'années. Ces programmes spécifiques répondent à un besoin d'une population sans autofinancement et dont on pourrait lui alléger le remboursement. Ce programme de soutien vise la reprise de l'initiative privée. «Nous avons ouvert des chantiers en parallèle au niveau régional représenté par des cellules de crédits au nombre de 24 qui ont financé 120 mille projets de puis la création de la BTS en 1998. Nous allons procéder à la transformation de ces cellules en agences bancaires», affirme le p.-d.g. de la BTS. 7 agences de services basiques seront mises en place car «le crédit est le premier critère de fidélisation de la clientèle», assure Mohamed Kaâniche. Cinq groupes de travail du personnel de la banque se penchent sur l'avenir de leur établissement. Une nouvelle stratégie à mener Un groupe réfléchit sur la charte et la dénomination commerciale de la banque pour en changer l'image, un deuxième groupe sur les transformations des cellules en agences bancaires, un troisième sur les produits bancaires, un quatrième sur le micro-financement islamique — YES – destiné à l'emploi islamique de la Banque Islamique de Développement d'un montant de 50 millions de dollars (l'atelier de démarrage aura lieu les 7 et 8 mai sous le patronage du ministre des Finances) et un cinquième groupe sur la micro-finance concernant une nouvelle loi qui permet aux entreprises l'octroi de crédits de 0 à 20 mille dinars en pratiquant la réglementation bancaire de 6%. Une nouvelle stratégie est donc mise en œuvre à partir d'une approche participative impliquant le personnel. La BTS qui était un mécanisme d'exécution passe à la bonne gouvernance. «Nous venons de démarrer un projet d'ISO 26 000 des entreprises socialement responsables», indique Mohamed Kaâniche. Désormais, la BTS est appelée à changer de mode de fonctionnement en réfléchissant sur des projets spécifiques innovants, l'accompagnement et le suivi des promoteurs, l'élargissement de l'offre des produits financiers et la création de circuits d'appui dans chaque gouvernorat. «L'objectif n'est pas la quantité mais la pérennité qui a un impact sur les postes d'emploi. Une prospection en amont est à mener pour l'identification des filières et des marchés», note Khélifa Sboui. La responsabilité incombe à tous les acteurs de la société : bailleurs de fonds, organisations et associations, autrement dit la société civile ainsi que l'espace académique. Une autre approche présentée par le p.-d.g. de la BTS consiste en un programme spécifique en partenariat avec le ministère de l'Emploi sur l'entreprise solidaire. 4 ou 5 diplômés du supérieur se regroupent en tant qu'actionnaires autour d'un projet. D'une manière plus générale, pour résorber le chômage, une autre batterie de mesures doit être appliquée au profit de l'allègement des charges sociales, la révision du modèle de développement en vigueur, la création de conseils régionaux de l'emploi et la restructuration du fonds national de l'emploi. Encore faut-il que le climat des affaires soit amélioré pour mettre en place des emplois durables. Mais ce genre de politique, s'il atténue partiellement le chômage, coûte cher à l'Etat et ne sécurise pas tout à fait l'emploi.