Oui, qu'est-ce qu'un roman aujourd'hui, surtout qu'il ne naît plus, forcément, du crépitement de la plume encrée, sur le papier blanc, mais du clavier de l'ordinateur neurophyle qui nous sert de cerveau? Le roman, à l'heure des technologies nouvelles qui poussent l'écrivain, le littéraire, à subir de plus en plus la contrainte des inventions et même de l'actualité de ce monde, de plus en plus inquiétante et douloureuse? Sous mes yeux, un vieux dictionnaire Larousse qui me donne sa définition et qui ne semble pas avoir changé de sens malgré de telles évolutions. Je lis donc: «Le roman est une œuvre d'imagination, un récit, en prose d'aventures imaginaires, inventées et combinées pour intéresser le lecteur...». Jusque-là, je comprends que le roman est, non seulement une «invention» (de l'esprit), mais, surtout, une «combine» propre à chaque écrivain—On dira : son «style»— pour arriver à capter et, même, captiver l'attention du lecteur. Mais c'est peut-être plus loin, dans cette définition que les choses ont changé. Ont changé à cause d'une certaine morale religieuse ou laïque qui castrait autant l'auteur d'un roman que ses lecteurs. Pour cela, rappelons-nous des procès publics de Madame Bovary de Flaubert et de grands nombres d'écrivains, prosateurs et poètes qui subirent des jugements d'une excessive rigueur. Plus loin donc, je lis : «Récit dénué de vraisemblance... Chimère, utopie»! Est-ce le cas aujourd'hui, dans nos murs, et à l'heure de la révolution tunisienne, où des écrivaines et écrivains bilingues ont plutôt acéré leurs plumes ou libéré leurs claviers, pour être au plus près de ce réalisme de circonstance? Comme, d'ailleurs, dans les autres genres littéraires ou même artistiques, quand le peintre n'est plus obligé de peindre à partir d'un chevalet, le thème récurrent de la nature, d'une vache dans un pré? «Chimère», «utopie», des vocables qui nous éloignaient dangereusement de la réalité et de toutes les vraisemblances! Cette approche de la définition de ce «vieux» Larousse, je la mets ainsi en exergue aujourd'hui, à travers cette rubrique pour savoir si, dans la nouvelle cuvée du Comar d'or du roman tunisien, le corollaire est toujours le même —du côté des membres du jury— que celui d'avant la révolution tunisienne. A savoir que «toute rencontre de noms, de circonstances ou de caractères est une pure coïncidence, et qu'on veuille bien l'excuser». Je n'ai pas encore lu les lauréats du Comar d'or, mais je vais tâcher de le faire pour en comprendre les «combines» littéraires de leurs récits. Dans le questionnement aussi «Qu'est-ce qu'un roman (aujourd'hui)?» — je veillerai à décrypter le fond, pour savoir s'il s'agit d'un roman psychologique, ou non. Il se pourrait d'ailleurs qu'il pourrait s'agir d'un corpus né de l'ordinateur lui-même, de textes choisis à l'emporte-pièce —de copiés-collés— que l'on aurait savamment réorganisés en chapitres successifs de bout en bout. Pour en faire un livre du plus pur style Nouveau Roman, sans la narration traditionnelle et psychologique, à la Madame Bovary, justement! D'ailleurs, bien avant l'utilisation de l'ordinateur et des avancées des technologies nouvelles, les romanciers et les poètes avaient déjà fait ce genre d'expérience. C'était à Nice où j'étais étudiant, disciple de Michel Butor qui enseignait le Nouveau Roman mais qui s'en était progressivement détaché, du point de vue de l'écriture, s'acoquinant avec les artistes plasticiens de l'Ecole de Nice pour qui il écrivait de beaux textes. Apparut alors Pierre della Nogare (*) (1933-1984), poète-romancier qui avait obtenu en 1970, le Prix Guillaume Appolinaire. A Nice, durant cette année-là, justement, il était en résidence avec d'autres écrivains et poètes dont Louis Aragon. Il avait conçu un atelier qui renfermait de vieux livres, des journaux, des revues et autres magazines, par milliers. C'est dans cette antre qu'il avait conçu Corps imaginaire. Un roman qu'il n'avait pas écrit mais plutôt conçu en découpant de véritables passages de textes, de-ci, de-là, les organisant en chapitres, lisibles d'un bout à l'autre du livre, conçu aussi comme «livre-objet d'art». Du «copié-collé» avant la lettre, si je puis dire. Corps imaginaire dit bien son nom d'ailleurs! Alors, qu'est-ce qu'un roman aujourd'hui? ————— (*) On peut retrouver la biographie de ce poète-romancier original sur le site internet