Par Abdelhamid GMATI L'Assemblée nationale constituante a enfin achevé la rédaction de son projet de Constitution, après seize mois de «laborieux efforts». C'est, du moins, ce qu'a affirmé son président, M. Mustapha Ben Jaâfar, lors d'une conférence de presse, tenue mardi vers minuit : «La commission mixte de coordination et d'élaboration de la Constitution a travaillé sans relâche et a terminé l'avant-dernière version de la Constitution qui devrait être revue par des experts. La Tunisie disposera d'une des meilleures Constitutions au niveau mondial, clairement meilleure que l'ancienne, selon tous les observateurs et analystes...Elle sera celle de tous les Tunisiens et Tunisiennes, et non pas celle d'un parti politique ou d'autres parties. Elle inclut tous les volets dont notamment la majorité des libertés, l'égalité entre hommes et femmes et l'énonciation d'un Etat civil». Les Tunisiens ont donc de quoi être fiers. Après «le meilleur gouvernement que la Tunisie ait eu dans son histoire» (dixit l'ex-ministre nahdhaoui des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem), les voici dotés «d'une des meilleures Constitutions au niveau mondial». Ce n'est visiblement pas l'avis de tout le monde. D'abord une question : quand «tous les observateurs et analystes» qui ont donné cet avis d'excellence ont-ils pu étudier le texte qui n'a été achevé que mardi vers minuit, peu avant la conférence de presse de M. Ben Jaâfar ? Et ce projet a donné lieu à une grande controverse au sein même des députés. D'abord, M. Omar Chetoui (CPR), président de la commission des pouvoirs législatif et exécutif, et M. Iyed Dahmani (Groupe démocratique), rapporteur de la commission des droits et libertés, se sont retirés de la commission mixte. Ensuite, de nombreux élus de l'opposition pensent que le projet n'est pas consensuel, ignore les droits de l'opposition et accorde de larges prérogatives au chef du gouvernement aux dépens du président de la République. Ils estiment que le régime politique proposé est un régime parlementaire et non pas mixte. Certains affirment que la commission mixte n'a pas respecté les textes soumis par les différentes commissions, limitant, entre autres, les libertés, les droits sociaux et n'a pas supprimé l'article qui remet en cause le caractère civil de l'Etat. D'autres polémiques agitent l'ANC. Selon la députée Nadia Chaâbane, lors du vote du projet de loi relatif à la création de l'Instance provisoire de la magistrature, un consensus s'était fait pour soutenir l'indépendance de l'Instance, mais le groupe Ennahdha a changé d'avis et a voté contre l'indépendance de l'Instance. Et il y a eu surtout la fameuse affaire concernant les indemnités des députés, révélée par M. Mongi Rahoui. Pour M. Ben Jaâfar, il s'agit là d'une manœuvre de diversion de la part du député. Alors que plusieurs élus ont reproché à leur collègue ses révélations, comme Mme Karima Souid (ex-Ettakatol et actuelle Al Massar), qui a précisé être «rentrée au pays qui n'a rien fait pour elle», d'autres l'ont soutenue. Ainsi en est-il de Mme Selma Mabrouk qui a souligné que «notre salaire, depuis notre investiture le 15 novembre 2011 et qui s'élève à 2.360 dinars, a augmenté, suite à un arrêté du président de l'Assemblée en juillet 2012, à 3.500 dinars». Cette «prime de logement et de déplacements» de 1.200 dinars a été justifiée par les économies réalisées sur le budget de l'Assemblée par rapport aux frais d'hôtellerie des 106 députés des régions qui en bénéficiaient (et qui s'élevaient à 3.000 dinars par mois pour chaque député).... Ou M. Mahmoud Baroudi (Alliance démocratique) qui a décidé de renoncer définitivement à tout salaire, prime, indemnité ou rémunération de la Constituante et qui, si cela lui était refusé, ouvrirait un compte bancaire et mettrait ce qui lui serait versé à la disposition des plus démunis. Autre révélation : celle de M. Mohamed Abbou qui avait dénoncé, du temps où il était encore ministre, les 67 députés (dont 4 ministres) qui continueraient à cumuler des salaires alors que cela est interdit par la loi et expose les auteurs à des poursuites judiciaires. Entre-temps, l'Observatoire Ilaf pour la protection du consommateur se propose de porter plainte contre M. Ben Jaâfar pour «dilapidation de l'argent public», en référence au cumul des salaires et des augmentations de primes. Tout cela et le comportement des élus ont fortement terni l'image de l'ANC. Des manifestations ont eu lieu pour dénoncer ces agissements. La dernière en date a réuni plusieurs citoyens au Bardo qui ont lancé des pièces de monnaie et de faux billets de 20 dinars à l'intention des députés. Des appels se font de plus en plus nombreux pour une manifestation le 1er mai, au Bardo, pour demander la dissolution de l'ANC. La célèbre opposante à Ben Ali, Om Zied, n'hésite pas à écrire sur sa page personnelle «ANC, dégage». Visiblement, l'ANC se trouve en ballottage et les députés, élus en octobre 2011, ont perdu leur majorité relative, après avoir perdu leur légitimité le 23 octobre 2012. Certains réclament même des pénalités pour non-respect des délais de livraison, les députés n'ayant pas encore achevé la Constitution pour laquelle ils ont été élus et qu'ils devaient présenter le 23 octobre dernier.