Le blanchiment d'argent a des conséquences néfastes sur les économies hôtes. D'où la nécessité de déclarer tout soupçon qui s'installe. Mais, «trop de soupçons tuent l'investissement». Comment régler l'équation entre les besoins en argent propre et le rejet de l'argent sale ? Telle est la problématique sur laquelle a porté le colloque tenu hier, à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, sur le thème de «L'entreprise et le blanchiment d'argent», à l'initiative du laboratoire «Droit des entreprises en difficultés économiques». Comme le définit d'une manière schématique le doyen des juges d'instruction Brahim Oueslati, le blanchiment d'argent consiste à donner une apparence légale à un argent sale. Lequel argent sale est le fruit d'actes illégitimes et d'infractions au droit. Le fléau s'est remarquablement propagé à l'ère du régime déchu et n'a eu de cesse d'augmenter depuis la révolution du 14 janvier, ont convenu d'admettre les participants à ce colloque. Sinon, le même interlocuteur classe les méthodes de blanchiment dans deux grandes catégories, à savoir un blanchiment retraçable à travers le système bancaire et un blanchiment non retraçable qui passe à travers les frontières en argent cash. Dans son intervention, le procureur général et conseiller auprès du ministre de la Justice, Mohamed Askri, a indiqué que les déclarations de soupçon de blanchiment d'argent sans investigation préalable ou rationalisation de l'usage de ce mécanisme ont des conséquences néfastes sur l'investissement, le processus de développement et l'économie nationale. De ce fait, il a appelé les banques, les personnes et les entreprises soumises à l'obligation de la déclaration de soupçon à vérifier la nature et l'origine des fonds avant de rédiger leurs déclarations. Le juge et membre du Pôle judiciaire, Radhouane Frouja, s'est attardé sur les difficultés que rencontrent les magistrats tunisiens à identifier et à justifier les opérations financières frauduleuses. Les difficultés dont il s'agit concernent pour une grande partie les opérations provenant de l'extérieur du pays. «Face à une multitude d'opérations de transit par plusieurs banques relevant de divers pays et face à la multiplication des personnes physiques et morales qui effectuent ces opérations, l'on peine à identifier les vrais coupables. D'autant plus que la coopération des parties étrangères est très modeste». Taoufik Ben Nasr, président du laboratoire «Droit des entreprises en difficultés économiques», a fait observer qu'il y a en Tunisie plusieurs législations qui permettent d'identifier et de tracer les différentes transactions financières à l'intérieur du pays. Parmi ces législations, la loi n°2003-75 relative au soutien des efforts internationaux pour lutter contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. «La déclaration de soupçon est un moyen servant à vérifier l'origine de l'argent destiné à l'investissement. En vertu de la loi 2003-75, a été créée la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf). Cette commission est chargée de la réception, de l'analyse des déclarations de soupçon et de la transmission au procureur de la République des déclarations dont l'analyse a confirmé le soupçon». Abordant les moyens de lutte contre le blanchiment d'argent, le doyen des juges, Brahim Oueslati, a recommandé l'instauration de toutes les normes de l'Etat de droit. «Du moment que toutes les institutions fonctionnent de manière à ce qu'il n'y ait aucune concession, aucune complaisance, aucun passe-droit, il y aura beaucoup moins de blanchiment d'argent».