Bien que les réserves longtemps émises sur la convention portant élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedaw) aient été levées depuis 2011, la ratification par la Tunisie de cette convention continue de raviver les polémiques et faire couler beaucoup d'encre, jugeant paradoxal et incompatible son contenu avec nos spécificités culturelles. Ses articles 15 et 16 ont été pointés du doigt comme étant un crime contre les références de l'identité arabo-musulmane. Et pas plus tard que vendredi dernier, l'hebdomadaire d'Ennahdha Al Fejr avait consacré sur ses colonnes un article dénonçant la levée des réserves sur la convention Cedaw, arguant que cette dernière est venue porter atteinte aux principes de la charia et ses répercussions sur les acquis du Code du statut personnel (CSP). L'auteur de l'article est allé jusqu'à la condamner en partie, estimant qu'elle menace les fondements de la cellule familiale, précisant que les articles 9, 15 et 16 risquent d'apporter des changements radicaux sur l'essence de la famille en tant qu'entité sociale bien soudée. Voilà ce qui a suscité chez certaines organisations féminines à tendance démocratique un sentiment de vive préoccupation quant aux droits civiques et culturels dont jouit la femme tunisienne depuis bien des décennies. Ces craintes de voir ces acquis reconnus et défendus dans les textes du CSP sujets à polémique n'ont pas manqué, en fait, d'alerter la citoyenneté au féminin. Cela s'est vu lors d'une conférence de presse, tenue hier matin, au siège de la fédération féminine « Ilhem Marzouki », au Belvédère, à Tunis. Là où la coalition associative nationale pour la levée des réserves sur Cedaw, formée particulièrement des femmes démocrates (Atfd), femmes tunisiennes de l'Association de recherche pour le développement (Afturd), la Ltdh, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (Fidh) et Amnesty International-section de Tunis, s'est insurgée contre la campagne de dénigrement orchestrée contre ladite convention, supposée être la seule, parmi toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'homme, qui fait l'objet d'une telle campagne parce qu'elle interdit toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et qu'elle contient l'engagement des Etats signataires à inscrire l'égalité dans le texte de la Constitution. S'étant déclarée de plus en plus embarrassée, Mme Ahlem Belhaj, présidente de l'Atfd, nous a révélé qu'il y a aujourd'hui une vaste campagne ciblant la convention. «Convention pour laquelle nous avons beaucoup milité pendant une vingtaine d'années, en la considérant comme le seul garant des libertés, de l'égalité et de la non-discrimination. Des droits auxquels tout le monde croit», précise-t-elle, rappelant que bien qu'elles aient été levées, ces réserves sont encore maintenues, sans pour autant communiquer à l'ONU leur retrait. Pis encore, a-t-elle ajouté, une campagne hostile a été déclenchée pour déformer le contenu de la Cedaw, la « présentant comme une voie pour la reconnaissance du «libre choix de l'orientation sexuelle ». C'est-à-dire, aussi, l'homosexualité et «la liberté et l'initiation des adolescentes à l'utilisation des moyens de contraception». «Par ignorance ou mauvaise foi, cette campagne vise à frapper de plein fouet toute initiative de défense des droits de la femme tunisienne», a-t-elle encore indiqué, soulignant que cette reprise de campagne coïncide, aujourd'hui, avec la finalisation du troisième brouillon de la Constitution. Cet avant-projet de la Constitution ouvre la porte, notamment à travers son article 76, à une éventuelle régression dans ce sens. La Constitution, dans son actuelle version, ne reconnaît, en effet, les valeurs universelles des droits de l'Homme que dans la mesure où ils sont compatibles avec notre spécificité culturelle et les conventions internationales. Et malgré les dispositions du préambule et des principes généraux de la Constitution garantissant l'égalité entre les citoyens et les citoyennes, la femme est considérée comme associée à l'homme et non pas son égale dans la construction de la société et de l'Etat (article 11). Et partant, «il y aurait un dangereux dessein sociétal en cours de préparation contre les droits des femmes auquel nous devons faire face publiquement», lance Mme Belhaj sur un ton ferme. Mme Sondes Garbouj, du bureau d' Amnesty International à Tunis, souligne que la convention en question couvre la totalité des droits de la femme dans leur universalité. Elle l'emporte même sur le CSP et le complète. Et de préciser que certaines parties d'obédience islamique veulent déprécier l'essence de la convention et défigurer son propre contenu. Ces parties reprochent également à la convention «le retrait du droit du mari de répudier sa femme et d'être obligé de passer par les tribunaux». De même pour ses prérogatives de chef de famille, celle-ci ne pouvant, à leur avis, être que placée sous son autorité patriarcale. En réponse à cette campagne, cette coalition associative a décidé de réagir par une anti-campagne parallèle placée sous le signe « Ensemble, levons-nous pour nos droits ». Elle appelle, entre autres, au respect de la loi et à la communication de la levée des réserves à l'ONU, le retrait de ces réserves ayant été publié au Jort, à la mobilisation des femmes pour la reconnaissance de toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'Homme ratifiées par la Tunisie, à l'inscription claire du principe de non-discrimination en raison du sexe dans la Constitution et à l'abolition de l'article 8 faisant de la femme l'associée et non l'égale de l'homme.