Jamais Klem Ellil n'a été un jour un déversoir de médiocrité politique (avant, pendant et après); malgré les suspicions qui l'ont entourée, seule la sensibilité de ce citoyen «mauvais voteur» à perception anecdotique et ponctuelle a habillé Klem Ellil de ses fantasmes politicards, sautant par-dessus ses non-dits! Pour toutes ces raisons, Klem ellil zéro virgule ne sera pas le spectacle qu'il faut dans la situation qu'il faut. Car rien ne peut prendre la place de cette période étrange et mystérieuse. Le «ici» et «maintenant» chers à nos citoyens n'a pas plus de valeur que celle d'une pâte étrange que nous mixerons avec indécence et insolence! Et surtout concernant celle que les services secrets «amis» ont nommée : «La Révolution du Jasmin». C'est ainsi que Taoufik Jebali présente son nouveau Klem Ellil, un autre qui vient s'ajouter à une longue liste d'objets théâtraux, un Klem Ellil zéro virgule qui partagerait avec les autres de la série, certes, un certain humour, une dérision, des calembours, mais il reste, à notre avis, une des pièces des plus dures et des plus bouleversantes. Comme le dit Jebali dans sa présentation, Klem Ellil n'est pas une pièce qui met en avant des idées politiques, encore moins, elle raconte des personnages de la révolution, ou des illusions, des rêves et des déceptions. Jebali se place toujours dans la même démarche intellectuelle, celle d'un observateur, d'un artiste-philosophe qui prend de la distance de tout ce qui l'entoure pour pouvoir poser un regard et partager une vision. D'ailleurs, Klem Ellil, depuis sa première édition, a souvent accompagné des évènements tragiques de l'Histoire : la guerre du Golfe, le 11 septembre et aujourd'hui la désillusion du rêve tunisien. Et Zéro virgule emprunte les mêmes chemins de traverse avec un malicieux dosage entre un contexte historique, des envolées vers un futur proche et une émotion et une sensibilité individuelles. Trois personnages masqués : Taoufik Jebali, Raouf Ben Amor et Naoufel Azara, auxquels vient s'ajouter l'ami absent Mahmoud Larnaout (à travers son masque), s'adonnent à une escapade linguistique où les jeux de mots et l'imbrication des expressions sont de rigueur : dérision et humour noir tellement noir qu'on se sent coupable d'en rire... Et sous leurs masques, ces personnages nous dépeignent un des tableaux des plus obscurs et des plus sordides qu'il nous a été donné de voir de la nature humaine. «La mort», ce thème obsessionnel, est, en fait, l'idée génitrice de ce spectacle, celle d'une révolution bâtie sur les morts «les Martyrs» et c'est sans doute pour cela que Klem Ellil zéro virgule se passe dans une morgue et avec les cadavres inertes et froids. Le texte de Taoufik Jebali, qui nous arrache des rires francs, ne recule devant aucune «indécence» et, sans aucune «moralité» ou fausse pudeur, s'adonne à des expressions des plus bouleversantes, montrant peu de respect pour «les morts»... La violence de ses propos qui «pourraient heurter les âmes sensibles» est, sans doute, à l'image de tout l'égard que notre société et nos politicards accordent aux morts de notre révolution. Jebali va jusqu'au bout pour finir avec une danse macabre de corps disloqués, compressés comme sortis d'une fosse commune ou d'un des fours crématoires d'Auschwitz. Dans Klem Ellil zéro virgule, Shakespeare trouve bien sa place, les apparitions de Raouf Ben Amor dans des monologues d'Hamlet ou de Macbeth viennent souligner cette obsession de la mort. Des têtes, des membres, des corps avec des excroissances totalement difformes, des monstres, en somme... il semblerait que Jebali veuille nous dire que nous avons accouché d'un monstre!? Vers la fin de la pièce et avec la scène du festin sur cadavres, Taoufik Jebali nous livre le pire de nos cauchemars, une scène de nécrophagie à nous donner froid dans le dos. Et pour nous achever définitivement, Klem Ellil zéro virgule se ferme sur la scène de l'exécution de l'artiste, du gauchiste, du croyant, de l'athée, du partisan, de l'opposant, du poète, du sportif... Entre rires et émotions qui nous prennent à la gorge, Klem Ellil zéro virgule nous livre tout, sans discours directs et enflammés... lire entre les lignes et s'adonner à un exercice intellectuel pour décrypter les non-dits; c'est à cela que nous invite Jebali, mais on peut aussi se suffire au simple rire libérateur que nous offre cette pièce, le théâtre de Jebali a toujours fonctionné ainsi... A vous de choisir votre propre lecture des choses.