Réalité cruelle et crue sous nos cieux depuis quelque temps. Une épidémie est en train de se répandre sur nous avec le tragique d'un fléau naturel : la prolifération du phénomène suicide chez nos jeunes. On en parle maintenant avec des frissons dans la voix. Qu'on est triste entre vingt et trente ans! Et il y a des gens pour prétendre que c'est la plus belle période de la vie! Par les temps qui courent, c'est ce que vous disent, ou ont envie de le faire, beaucoup de jeunes chez nous. Tous ces jeunes gens à qui l'existence se découvre dans sa laide médiocrité, l'avenir dans son incertitude, le présent dans son refus d'accueil. De jeunes gens qui se sentent inutiles maintenant, surtout à eux-mêmes, après avoir épuisé tant d'années d'études et qui ne nourrissent d'autre ambition que d'être comme les autres, tous ces autres pour qui le milieu social et ou professionnel a été accueillant ou ces autres encore qui n'ont pas eu tout bonnement à souffrir leur jeunesse... Il y a eu au départ une grande part de désenchantement et de grincements de dents, de colère contenue et comprimée, l'absence du sentiment d'appartenance surtout des jeunes périphériques... devant le silence gêné ou coupable de leurs nouveaux tuteurs patentés dans les têtes desquels fonctionne un nouveau comité central et qui font naufrager la jeunesse, avec des discours fallacieux, avec une nouvelle distribution de «prêts à penser»... Ils se sont alors vus consommer leur mal-être en vivant au jour le jour, en se laissant aller aux innombrables aventures du monde immédiat, en nomades farouches, à la recherche d'une occasion de valorisation et d'affirmation de soi... avec des ambitions naïves, mais des ambitions tout de même. Devant l'inconnu, ce grand vide qu'il urge de meubler... avec méfiance de l'avant-garde d'aujourd'hui qui commence à devenir l'arrière-garde de demain... ne prenant rien au sérieux, sauf l'absence de sérieux elle-même... face à l'histoire de leur pays qui commence à bégayer depuis quelque temps. Puis, il y a eu la réplique suicidaire. Une fin et une mise en scène tragique du dernier acte d'une pièce qui se veut inachevée. Et maintenant, cela commence à s'écrire au pluriel... à se compter par centaines chez nous. C'est un peu l'inquiétude que partagent beaucoup de Tunisiens de nos jours. D'autant plus qu'entre l'individuel et le collectif, il n'y a qu'un pas qu'il est désormais aisé au suicide de franchir. Avec tous ces jeunes qui partagent les mêmes défis, les mêmes risques et les mêmes difficultés, à des moments de leurs vies, les plus délicats... et qui sont du domaine public. Il ne faut donc pas se contenter de parler si l'on veut se faire valoir aux yeux de la jeunesse... et lui donner des raisons d'espérer. Surtout pas avec un emploi abusif de la première personne... du singulier ou du pluriel. Parce que parler aux jeunes de leur histoire économique et sociale n'est pas une mince affaire.