Depuis que la délégation tunisienne a été reçue jeudi dernier par le président syrien Bachar Al Assad, la polémique bat son plein ici en Tunisie. Le pouvoir officiel a qualifié la démarche de déplacée et contreproductive en «cette phase délicate». Même son de cloche chez certains dirigeants des partis politiques, qui se sont carrément désolidarisés d'une initiative considérée comme personnelle, nullement représentative de la position officielle de leurs partis. D'autres ont pu y voir, au contraire, des prémices d'une reprise graduelle des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie. La décision de fermeture de l'ambassade syrienne étant jugée par beaucoup hâtive et intempestive. La communauté tunisienne installée en Syrie en a été l'un des boucs émissaires. L'incapacité patente de maîtriser les circuits de transfert des jihadistes tunisiens en est le deuxième dommage collatéral. Quant à l'historique notoriété de la politique étrangère tunisienne, elle a été durement écornée. Une délégation politico-associative s'est déplacée à Damas ces derniers jours. Celle-ci ne représentait pas qu'une seule famille politique. Quoique le courant panarabiste y soit dominant. Le secrétaire général du parti Thawabet, Chokri Hermassi, est le président du groupe, composé de représentants du même parti, de deux membres du parti Al Jomhouri, un de Nida Tounès, du Front des jeunes arabes pour la défense de la Syrie, du Mouvement des unionistes libres, du Mouvement du peuple. Des militants associatifs, comme les représentants de la Fidélité à la résistance, du comité exécutif de la Coordination populaire pour le soutien à la Syrie et de la Ligue de défense de la nation arabe étaient également de la partie. Dix-huit membres au total ont été longuement reçus par un Bachar serein et ouvert, répondant à toutes les questions. L'entretien affranchi des pesanteurs protocolaires a duré deux heures dix minutes ! Ce qui a pu en ressortir : le président syrien est très favorable à l'ouverture d'un dialogue national élargi, impliquant toutes les composantes de la société syrienne, l'opposition locale et celle de l'extérieur. La délégation a abordé longuement le dossier de la communauté tunisienne de Syrie, mais également la question des prisonniers tunisiens. Le président syrien leur a montré des documents et des vidéos attestant le mépris total vis-à-vis des jeunes enrôlés tunisiens «jetés dans les premières positions, comme chair à canon, sans entraînement ni préparation». La désinformation méthodique des chaînes Al Jazira et Al Arabia Thabet Al Abed, membre de la délégation, ancien Ettakatol nouvellement converti à Nida Tounès, dont il est membre du bureau exécutif, était dans la délégation, à titre personnel, mais également en tant que représentant de Nida Tounès: «Je suis discipliné, avant de partir, j'ai eu un entretien avec Béji Caïd Essebsi», a-t-il pris soin de préciser à La Presse. Nous apprenons à travers ce témoin oculaire que la situation dans les villes syriennes et dans la capitale Damas est en train de revenir à la normale, mise à part la région de Qosseir. «Nous avons circulé seuls et avons pu constater de visu que les gens sortent le soir, à trois heures du matin, ils sont encore dans la rue, contrairement à la désinformation méthodiquement entretenue par les chaînes de télé comme ‘‘Al Arabia'' et ‘‘Al Jazira''», a-t-il fait valoir. Les membres de la délégation tunisienne ont visité certains quartiers populaires et quelques régions, nous dit-on. Ils ont eu des contacts également avec l'opposition syrienne. «Une grande partie de la population est soudée autour de son président. Oui, il y a aussi des régions qui ne l'aiment pas», affirme M. Al Abed. Partant de sa récente expérience, le membre du bureau exécutif de Nida Tounès incite les autorités tunisiennes à s'opposer le plus fermement possible au terrorisme, au crime organisé et aux courants takfiristes (excommunicateurs) et à impulser le dialogue pour trouver une issue civile au conflit syrien. Il y a deux choix possibles, résume M. Al Abed : ou on est dans le camp du terrorisme ou bien à l'opposé, il n'y a pas de position médiane. Les jihadistes qui sont venus de nulle part pour «combattre» en Syrie peuvent se déplacer demain vers la Tunisie. Les filières qui ont facilité leur départ peuvent les sommer de venir pour lutter contre le peuple tunisien. Il faut savoir que nous qui cherchons en Tunisie à instaurer une démocratie et ramener la stabilité dans le pays, nous devons nous prémunir de ces gens manipulés par les Chouyoukh tarkfiristes, a-t-il encore prévenu. M. Al Abed a émis un souhait vers la fin, espérant que les Tunisiens feront appel à la raison et surtout à la sagesse, qualité qui a de tout temps caractérisé la politique étrangère tunisienne.