L'agence de notation Moody's vient de dégrader la note de la Tunisie, et de la BCT, de Ba1 à Ba2 avec perspective négative. Lors de leur visite en Tunisie au début de ce mois de mai 2013, des experts de l'agence américaine de notation avaient déjà émis un avertissement en ce sens. L'agence avance trois raisons pour motiver sa décision: l'incertitude politique persistante et le risque d'instabilité ; la fragilité des banques publiques sous-capitalisées et les pressions externes importantes sur la balance des paiements et sur les finances publiques de la Tunisie. L'agence annonce d'ailleurs qu'une nouvelle dégradation de la note de la Tunisie n'est pas exclue. Décryptages de Moez Laâbidi, professeur de finance internationale. «Moody's n'a pas senti que le Dialogue national dans le cadre de l'Ugtt a été porteur d'un choc politique générateur d'un assainissement du climat des affaires», dit-il d'emblée. Il faudrait, avertit Moez Laâbidi, «déplomber le climat des affaires par des décisions courageuses et éviter à ce propos de tomber et de verser dans le discours de la théorie du complot et voir dans la décision de Moody's une pression exercée sur la Tunisie pour ‘‘accepter'' le prêt du FMI». Depuis le 14 janvier 2011, la Tunisie, rappelle le Pr Moez Laâbidi, a connu deux vagues de dégradation de sa note souveraine. Une première vague suscitée par «le choc de la révolution» et qui a, en trois jours, vu successivement l'agence Fitch (le 14 janvier), l'agence S&P et l'agence Moody's monter au créneau. A cette vague, a succédé une deuxième, qui en regard du flou institutionnel persistant, a vu l'agence Fisch (2 mars 2011) rejoindre sa consœur S&P qui, à deux reprises le 16 mars 20011 et le 28 juillet 2011, a dégradé la note de la Tunisie, ouvrant, le 23 mai 2012, la porte au speculative grade de la Tunisie. Suivi par l'agence S&P, Fitch a, le 11 décembre 2112, entériné l'enfoncement de la Tunisie dans le speculative grade. Le 28 fevrier dernier, Moody's rejoint ses consœurs, signant ainsi l'amorce d'une troisième vague de dégradation de la note de la Tunisie. Une vague placée sous le signe de «la montée des tensions politiques» et de l'impasse politique dans lequelles se trouve la Tunisie. Ce petit détour n'est guère fortuit. Ce petit rappel a une double vertu pédagogique: celle d'abord de souligner la succession des alertes émises par les agences internationales de rating en direction de la Tunisie et des autorités tunisiennes ; celle, ensuite, de pointer d'une certaine manière du doigt le peu de cas fait en Tunisie à cette série d'alertes. Moez Laâbidi prend à ce titre bien soin de renvoyer chacun à ses responsabilités : le gouvernement, l'Assemblée nationale constituante, les partis politiques, les organisations nationales et la société civile. Il ne s'agit pas là de dresser un simple listing des responsabilités. Pour notre interlocuteur, les divergences d'appréciation et le degré d'assimilation à l'échelle nationale de la pertinence du prêt contracté par la Tunisie auprès du FMI, les palabres qui alimentent à ce propos les tensions au sein de l'ANC, ne sont pas étrangers à la nouvelle dégradation par Moody's de la note de la Tunisie. L'agence y a vu et senti l'expression d'une certaine hésitation dans le cycle des réformes, notamment la réforme du secteur bancaire et la réforme des finances publiques. Une hésitation et une tergiversation qui, au-delà des considérations purement économiques, font qu'avec sa nouvelle note, l'agence Moody's semble «émettre sérieusement un doute sur la capacité des autorités tunisiennes à sortir de l'impasse politique». Dans l'attente d'un choc politique... Tout, en l'occurrence, se passe comme si «Moody's n'a pas senti que le Dialogue national dans le cadre de l'Ugtt a été porteur d'un choc politique générateur d'un assainissement du climat des affaires», décrypte Moez Labidi. «Il faut donner et émettre un signal politique fort. C'est la responsabilité de tous. C'est inconcevable de faire des réformes quand il y a une machine de revendications sociales excessives. Dans le même temps, si le gouvernement réussit à maîtriser l'inflation, il pourra réduire la pression des revendications sociales et avoir une plus grande marge de manœuvre pour engager le cycle de réformes», appuie-t-il. Quant à l'impact de la nouvelle dégradation par Moody's de la note de la Tunisie, il est évident, soutient le Pr Laâbidi, que le pouvoir de négociation de la Tunisie pour des crédits bilatéraux et multilatéraux sera plus faible de même que pour l'émission d'un emprunt obligataire. Cela tombe fort mal à propos dans la mesure où la Tunisie prévoit de procéder à d'impératives nouvelles sorties sur le marché obligataire. Le gouverneur de la BCT a tout récemment indiqué que la Tunisie ne saura pas le faire seule, en raison de la notation souveraine décidée par certaines agences. Elle devra le faire en sollicitant la garantie de pays amis, les Etats-Unis en tête. Cette réserve avait été formulée par le gouverneur alors même qu'il s'attendait, le même jour, à un petit geste de... l'agence américaine Moody's. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, «la récente dégradation pourrait être pénalisante pour le dinar, et ceci en renforçant les pressions baissières sur la monnaie tunisienne. Ce qui complique davantage le rôle de la BCT dans la sauvegarde de notre monnaie à travers ses interventions». Tout cela laisse, bien évidemment, ouverte la voie à diverses supputations et conjectures. Il faudrait, avertit Moez Laâbidi, déplomber le climat des affaires par des décisions courageuses et éviter à ce propos de tomber et de verser dans le discours de la théorie du complot et voir dans la décision de Moody's une pression exercée sur la Tunisie pour «accepter» le prêt du FMI.