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«Tant que les sociétés musulmanes ne se sont pas converties à la démocratie...»
Entretien avec Mohamed Chérif Ferjani, Historien spécialiste de l'islam
Publié dans La Presse de Tunisie le 15 - 07 - 2013

Ce que le monde arabe traverse aujourd'hui rappelle la fin du christianisme dans l'Occident du 19e siècle...soutient Mohamed Chérif Ferjani, professeur chercheur à l'Université Lumière de Lyon, auteur de l'ouvrage «Islamisme, laïcité et droits de l'Homme»
Pour vous, la destitution des Frères musulmans en Egypte est-elle «révolution acte II» ou «retour à la dictature militaire» ? Fallait-il créer l'antécédent d'en finir ainsi avec la légitimité des élus ou attendre le retour aux urnes, s'il en est, pour les écarter démocratiquement ?
Ce qui s'est passé en Egypte est un échec prévisible dont la responsabilité revient aux Frères musulmans qui ont confondu légitimité des urnes et abus de pouvoir. Ils n'ont laissé au peuple, dont ils tirent la légitimité de leur pouvoir, que la possibilité de se soumettre à leur dictature ou de se révolter. Le peuple qui venait de se débarrasser de la dictature de Moubarak et de conquérir sa liberté, a refusé la soumission et s'est rebellé pour remettre sa révolution sur la voie qui était la sienne avant que les Frères musulmans, qui n'y avaient pas participé, ne la détournent de ses objectifs. Or, au lieu d'entendre l'appel de millions de manifestants et de proposer des solutions pour sortir le pays de la crise où il l'avait conduit, le pouvoir islamiste a fait appel à ses partisans pour qu'ils organisent des contre manifestations opposant à la légitimité populaire la légitimité des urnes qu'il avait trahies. C'est pour éviter la guerre civile provoquée par l'aveuglement des islamistes que la police et l'armée sont intervenues. L'intervention était prévisible avant de devenir malheureusement inévitable. L'attitude des Frères musulmans aggrave les risques d'une guerre civile dont les prémices ont déjà fait plusieurs dizaines de victimes. Rien ne dit qu'ils vont s'arrêter là malgré le nombre élevé de morts et de blessés, y compris dans leurs rangs, notamment après les tirs de l'armée contre les manifestants islamistes le 8 juillet 2013 et les énormes dégâts déjà causés par leur politique et auxquels leur fuite en avant donne une tournure dramatique. L'intervention de l'armée va-t-elle s'arrêter aux limites annoncées, ou va-t-elle profiter des risques de guerre civile et du chaos dans lequel le pouvoir islamiste a précipité le pays pour reprendre entièrement le pays en main ? Rien ne semble, pour le moment, fermer la porte à une telle évolution qui serait fatale pour le devenir de la démocratie en Egypte et dans la région.
Entre la démarche «Tamarrod» et la voie du consensus jusqu'aux prochaines élections, quel est selon vous le scénario de fin de transition le plus vraisemblable en Tunisie ?
Je pense qu'il est mieux d'éviter l'affrontement et d'arriver à un consensus sur la base des accords obtenus au congrès national de dialogue organisé sous l'égide de l'Ugtt et des autres expressions de la société civile. Pour cela, le parti Ennahdha doit respecter ses engagements antérieurs aux élections et ceux pris lors de ce congrès. Cela passe par le retrait du projet de loi d'exclusion, la dissolution des ligues dites de protection de la révolution, l'adoption d'une Constitution démocratique et l'organisation dans les meilleurs délais, d'élections démocratiques transparentes et régulières. Malheureusement, nous n'y sommes pas encore, et rien ne montre qu'Ennahdha s'est engagée dans cette voie. Dans ces conditions, l'autre voie n'est pas à exclure et elle risque de conduire à des affrontements comparables à ceux que vit l'Egypte.
Tout cela confirme à nouveau l'idée que l'Islam politique est l'impasse de la démocratie ; il utilise les urnes pour asseoir à terme l'Etat théocratique. Est-il envisageable pour le monde arabe et musulman de s'en sortir un jour ?
Cela montre en tout cas que l'Islam politique n'est pas encore converti à la démocratie. Tout montre qu'il n'y voit qu'un moyen parmi d'autres pour accéder au pouvoir, et non un système politique fondé sur la souveraineté d'un peuple formé de citoyens libres, égaux et jouissant de droits inaliénables et opposables à ses représentants qui ne sont là que pour le servir. Tant que la démocratie ne s'est pas imposée, il est difficile de voir la majorité des partisans de l'Islam politique renoncer à leur projet théocratique. Mais, malgré les échecs et les reculs inévitables dans le parcours de toute révolution, l'aspiration à la démocratie est là ; c'est elle qui a porté les soulèvements contre les dictatures déchues de Ben Ali et de Moubarak, et c'est aussi elle qui inspire la résistance au pouvoir des islamistes partout où ceux-ci ont accédé au pouvoir, que ce soit en Turquie, en Egypte, en Tunisie, au Maroc ou en Iran. Le chemin est peut être long et difficile, mais l'avenir est à la démocratie.
Dans ce sens, vous comparez l'étape actuelle dans le monde arabe au 19e siècle en Europe et vous soutenez que l'islamisme, comme le christianisme et le judaïsme, finira lui aussi par laisser place à la sécularisation. N'est-il pas trop tôt de se réjouir de la fin de l'Islam politique ?
L'islam politique ne connaîtra une telle évolution que lorsque les sociétés musulmanes se démocratiseront. C'est le triomphe de la démocratie qui a obligé le christianisme politique à accepter la sécularisation et à évoluer dans le sens qui a permis l'avènement de courants chrétiens démocrates. L'Islam politique, comme toutes les formes modernes d'idéologisation de la religion — toute religion — ne renoncera à ses conceptions antidémocratiques et à sa nature doctrinaire que s'il est contraint par l'évolution de la société dans un sens favorable aux idées qu'il considère comme contraires à la religion. C'était déjà le cas au XIXe siècle par rapport à l'abolition de l'esclavage et au sujet de nombreuses nouveautés qui furent combattues comme des «innovations hérétiques» selon l'adage : «Kullu jadîdin bid‘a, wa kullu bid‘atin dhalâla wa kullu dhâlatin fî al-nâr» (toute nouveauté est une innovation hérétique, toute innovation hérétique est un égarement et tout égarement conduit à l'enfer). Lorsque les innovations deviennent des évidences admises par la communauté, on se met à les défendre comme des vérités religieuses qui n'avaient été rejetées que par une mauvaise interprétation de la religion. Il en va ainsi de la démocratie, de la liberté de conscience, de l'égalité des sexes, de la laïcité comme de l'évolution des mœurs et des inventions scientifiques et techniques. Tant que les sociétés arabes ne se sont pas fondamentalement converties aux vertus de la démocratie, l'Islam politique résistera et aura des chances de remporter des victoires électorales.
Quand les universitaires et les chercheurs appréhendent l'Islam politique, ils font généralement le silence sur l'actuel paroxysme du sentiment religieux chez les masses, et particulièrement les jeunes, un mélange de soif de religiosité et de crainte de déperdition qui constitue pourtant la seule légitimation de l'Islam politique... Pourquoi ?
Je pense qu'il ne faut pas confondre l'Islam politique, comme projet et modèle de société fondé sur le rejet des valeurs démocratiques, avec le besoin de sens qui amène des jeunes et des franges de la population qui souffrent de différentes formes d'exclusion à chercher dans la religion des formes de solidarité et des valeurs qui leur permettent de donner un sens à leur vie. L'Islam politique joue sur cette quête de sens, qui est légitime, pour la détourner à son profit notamment parce que ses adversaires politiques ne l'appréhendent pas comme il se doit et ne la prennent pas suffisamment en compte dans leurs programmes. Autant il est légitime de combattre le projet totalitaire de l'Islam politique, autant il faut comprendre, respecter et prendre en compte le besoin de sens et toutes les formes de le satisfaire, y compris les formes de religiosité les plus ferventes. C'est peut-être le détournement de ces formes de quête de sens par l'Islam politique qui explique le silence dont vous parlez.
Vous liez la fin de l'Islam politique à la démocratisation des sociétés arabes. En attendant, les sociétés arabes connaissent une montée du sentiment religieux et d'un conservatisme qui servent de moteur à l'Islam politique et qui sont tout aussi nourris par lui. N'y a-t-il pas là un cercle vicieux ? A qui appartient-il de briser le cercle et de lever l'amalgame entre la religion et l'idéologie ?
Les sociétés arabes sont en train de naître à la démocratie à travers des processus complexes, avec des avancées, des régressions et des redémarrages... comme ce fut le cas pour les sociétés européennes aux XIXe siècle. Le besoin de sens et le recours au religieux pour le combler a toujours et partout profité, dans un premier temps, au idéologies religieuses qui jouent sur les sentiments religieux pour berner les crédules qui pensent que ceux qui se réclament de la religion ne peuvent ni mentir, ni voler ni succomber aux tentations de l'abus de pouvoir et de la corruption. L'épreuve du pouvoir a toujours été le meilleur moyen pour montrer aux populations ainsi bernées que l'idéologisation et l'instrumentalisation politique de la religion font partie des pires formes de domination politique. C'est loin d'être un cercle vicieux. Certaines régressions sont parfois plus instructives et plus fécondes que de fausses avancées imposées à la société. Ce sont l'expérience, le débat démocratique et la libre confrontation des idées, étouffées par les dictatures et les projets théocratiques et totalitaires, qui sont à même d'aider à la sortie de la confusion entre spiritualité et idéologie, religion et instrumentalisation politique du religieux.


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