Par Hmida Ben Romdhane Moins d'un mois après les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, le président américain d'alors, George W. Bush, décida d'envoyer ses troupes guerroyer contre le régime des talibans en Afghanistan pour punir le Mollah Omar et ses hommes d'avoir refusé de livrer le terroriste en chef, Oussama Ben Laden, qui avait revendiqué les actes terroristes les plus terrifiants de l'histoire, les qualifiant de « conquêtes de New York et Washington ». En quelques jours, les talibans étaient en fuite dans les montagnes et leurs chefs avaient franchi la frontière et s'étaient réfugiés chez leurs protecteurs pakistanais. Très probablement, les talibans seraient devenus une tragique parenthèse dan l'histoire de l'Afghanistan et on n'en aurait jamais entendu parler depuis, si Bush n'avait pas décidé de tourner le dos à l'Afghanistan et d'aller régler ses comptes et ceux de son père avec Saddam Husseïn en Irak. Guerroyant sur deux fronts, Bush, bombant le torse, croyait pouvoir remporter deux victoires rapides à 10.000 kilomètres de chez lui. Il en était si convaincu qu'il n'avait pas hésité à se soumettre à une piteuse mise en scène le 1er mai 2003, moins de trois semaines après la chute de Bagdad le 9 avril. En combinaison d'aviateur, Bush fils atterrit sur un porte-avions, arborant une immense banderole portant l'inscription trop prématurément triomphaliste : « Mission accomplished » (Mission accomplie). La mission n'était pas accomplie, et il a fallu une décennie d'une guerre atroce et coûteuse pour que l'armée américaine se retire, sur la pointe des pieds, laissant derrière elle un pays dévasté en proie, jusqu'à ce jour et quotidiennement, à des attentats terroristes meurtriers. Etant parti « combattre le terrorisme », Bush avait transformé l'Irak en une pépinière de terrorisme dont les ravages sont loin d'être circonscrits à l'intérieur des frontières irakiennes. Une décennie après, les démons de la guerre lâchés par Bush en Irak sont donc loin d'être apaisés, et le pays se trouve dans une situation plus dangereuse encore qu'il y a dix ans. Les quatre derniers mois sont parmi les plus sanglants que l'Irak ait connus depuis le 20 mars 2003, date de l'invasion américaine. Plus de 3000 morts et 7000 blessés ont été recensés. Il est vrai qu'en 2006, quand la guerre était à son apogée, on dénombrait une moyenne de 3000 morts par mois. Mais c'était une guerre à outrance menée contre les 170.000 soldats américains déployés dans 505 bases et, accessoirement, entre Irakiens de confessions différentes. Un an et demi après le départ des Américains, la situation en Irak est plus dangereuse encore, car ce qui se passe aujourd'hui, personne ne l'a prévu ni imaginé : la fusion de deux guerres civiles qui font rage en Irak et en Syrie en une seule. Il ne s'agit pas là d'un reportage d'origine douteuse ni de rumeurs relayées par les réseaux sociaux, mais d'une information de première main après une enquête menée par l'ONU sur le terrain. S'adressant au Conseil de sécurité, l'envoyé spécial de l'ONU en Irak et en Syrie, Martin Kobler, était clair : « les champs de bataille sont en train de fusionner ». En d'autres termes, la guerre confessionnelle qui se déroule en Irak est en train de s'étendre en Syrie, mettant à profit la guerre civile qui déchire ce pays et l'anarchie qui prévaut le long de la frontière syro-irakienne. Selon Martin Kobler, des groupes confessionnels irakiens en guerre « sont en train de régler leur compte sur le sol syrien ». La « fusion des champs de bataille » en Syrie et en Irak est-elle la première manifestation concrète de la régionalisation de la guerre dans cette partie du monde ? Il y a tout lieu de le craindre, d'autant que des champs de bataille potentiels à l'est et à l'ouest (Iran et Liban) risquent de se joindre à cette « fusion » à n'importe quel moment et de manière soudaine. Aux deux bouts de cette dangereuse évolution se trouvent les Etats-Unis. Cette puissance impériale a déclenché la mécanique infernale en mars 2003 en décidant, sans rime ni raison, de détruire le régime irakien et de plonger le pays dans le chaos. Elle continue aujourd'hui d'alimenter cette mécanique infernale par sa politique ambiguë vis-à-vis de la Syrie, par ses menaces incessantes contre l'Iran, par sa valse-hésitation en Egypte et, bien sûr, par sa passivité légendaire à l'égard d'Israël qui continue d'occuper, de tuer et de déclencher des guerres où et quand bon lui semble, le tout dans le cadre d'une impunité absolue. Décidément, avec du recul, on se rend bien compte aujourd'hui que quand Mme Condoleezza Rice, la principale collaboratrice de George W. Bush, exprimait en 2006 le désir des Etats-Unis de voir se généraliser « l'anarchie créatrice » dans le « Grand Moyen-Orient », elle n'était pas en train d'émettre un vœu pieux. Reste à comprendre où se trouve l'intérêt des Américains quand des centaines de millions d'êtres humains souffrent le martyre dans cette région du fait de l'anarchie qui s'amplifie de jour en jour.