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Raconter en deux temps l'histoire
Nouvelle parution - Bordj Louzir, de Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 06 - 2010

Bordj Louzir nous retrace, à travers le récit de deux sœurs et de leurs souvenirs respectifs, l'épopée familiale quasi légendaire des Ben Achour, illustres théologiens et magistrats dont l'Islam jurait avec le rigorisme pur et dur de l'époque. Un Islam où liberté, modernité et respect des conventions faisaient bon ménage, où la réflexion et l'effort (Ijtihad) étaient loin d'être perçus sous un angle antinomique, ce qui a permis à toute cette lignée d'évoluer dans une indépendance intellectuelle et un état d'esprit favorisant l'épanouissement de la personnalité…
Dans cette passionnante saga cohabitent le Cheikh El Islam, le magistrat, le nationaliste modéré, le destourien actif, le communiste et la femme émancipée, affranchie et libérée du carcan des traditions archaïques et sur-années du passé, l'auteure a ciselé délicatement et avec art l'histoire d'une microsociété hiérarchisée dont les contradictions, créées à bien des égards par le contexte colonial, ont engendré un esprit de liberté, un certain sens de l'humour et un véritable amour de la vie.
Les rebonds de la mémoire
Bordj Louzir est un phénomène essentiellement à deux composantes, deux voix distinctes, écrites par un même auteur, Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi. Les deux narratrices, deux sœurs, que sépare moins d'une décennie, apportent certes un témoignage sur le bouleversement des mœurs que provoquent le colonialisme et la lutte nationale, mais révèlent aussi des sensibilités différentes et des visions parfois opposées d'une société qui ignorait l'univocité et où elles ont grandi côte à côte.
Dans cet ouvrage essentiellement à deux composantes, il y a donc, d'une part, un débat littéraire (il s'agit d'un roman). Et d'autre part, un débat historique. Sur ce point, Bordj Louzir représente au mieux un intéressant exemple des rebonds de mémoire pour des générations de Tunisiens qui n'ont pas vécu les faits. Sa documentation abondante relaye ce qui a été écrit sur ces années 1940-1950. L'auteure nous révèle l'ampleur matérielle et humaine d'une époque marquée par les vicissitudes et les aléas des conflits de tout ordre.
La lutte pour l'Indépendance rythme le quotidien d'une population résolue à se débarrasser de la tutelle étrangère. Ainsi et de fil en aiguille, le lecteur tombe dans l'escarcelle d'une certaine fascination. Observatrice, chroniqueuse et conteuse des choses familiales et familières, Rabaâ Ben Achour médite de manière simple et volontiers malicieux sur le vécu au jour le jour d'un milieu social aisé et bourgeois autant que sur les questions graves. C'est un peu comme si elle a tenu à insérer le fil d'or de l'éternité dans le tricot du temps.
A la manière d'un miniaturiste, à petites touches légères et précises, elle a dépeint ses personnages (parents, oncles, tantes, cousins, cousines, frère et sœurs et familier) dans leurs tâches quotidiennes, leurs propos les plus banals, leurs jeux les plus innocents, mais qui en disent long sur leur personnalité, leurs pensées, leurs émotions.
Un pavé dans la mare
Bordj Louzir est aussi un plaidoyer éloquent et émouvant pour une approche rationnelle du religieux. La pratique spirituelle est ici omniprésente. L'auteure musulmane pratiquante, ne résiste pas à la tentation de dénoncer les graves et insupportables dérives observées au niveau de la pratique, ces dernières années. Elle n'hésite pas à jeter un pavé dans la mare. A ce propos, elle écrit : «La foi religieuse apparaît souvent comme dénuée de spiritualité. Etre musulman, c'est énoncer un discours et afficher un comportement qui, sans conteste, vous range dans le groupe des croyants. On porte foulards, tenues afghanes, barbes et bonnets de coton, on édicte des règles de bonne conduite et des interdits, on se pique de répandre la parole de Dieu dans les lieux les plus profanes. Dans les cafés et dans la rue, se mêlent dans une étrange cacophonie, sans que personne ne s'en offusque les blasphèmes et les obscénités à la voix du récitant». Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi dénonce un phénomène qui défie le bon sens, la raison, l'entendement et même ce qu'on désigne par science et connaissance.
Libérer la parole
Dans ce récit d'initiation à double voix, les miroitements kaléidoscopiques ont pris diverses variations: couplets d'une comptine enfantine cocasse, espiègle et coquine, nuances multiples de l'histoire culturelle, religieuse et sociale de la Tunisie s'exprimant à travers entre autres la «Wajaha», cette manifestation de l'excellence personnelle qui n'était soumise ni à l'appartenance sociale ni à la fortune, les problèmes de la réforme de l'enseignement à la Grande mosquée, de l'agitation des Zeïtouniens de la charge de Cheikh El Islam qui était d'origine turque, créée initialement en Tunisie pour consacrer la prééminence du rite hanéfite, dont se réclamaient les beys et qui fut l'objet d'une sourde contestation des malekites, majoritaires dans la Régence. Ce ne fut qu'en 1932 que le bey établit un véritable équilibre au sein du Conseil charaïque en nommant un Cheïkh El Islam malékite en la personne du théologien, Mohamed Tahar Ben Achour. Ces mêmes nuances se sont également exprimées avec la création de la Khaldounia, la naissance du mouvement Jeunes tunisiens et de l'Association des sadikiens, des revendications légitimes du Néo-Destour, de la classe ouvrière au sein de l'Ugtt, de la déposition de Moncef Pacha Bey, de l'atmosphère insurrectionnelle qui agitait le pays et des implacables représailles de l'organisation colonialiste et terroriste, la Main rouge dont l'existence demeurera obscure aussi longtemps que ne sera pas autorisée l'ouverture des archives secrètes. La Main rouge ne serait en fait qu'une organisation fictive créée par les services secrets français pour camoufler les activités de sabotages et d'assassinats qu'ils auraient effectuées eux-mêmes.
Avec l'Indépendance chèrement acquise et, dans la foulée, la proclamation de la République, érigée sur les décombres d'une monarchie en déconfiture et en totale rupture avec les aspirations de la population, Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi arrive au terme de son récit.
«L'indépendance de la Tunisie, dont je ne pris véritablement conscience qu'avec la proclamation des fêtes de la République, revêt encore aujourd'hui pour moi cet air de fête. Mon pays libéré me libéra de mes complexes de Tunisienne en mal de francité. Je n'avais plus honte d'être qui j'étais. Dans les rues où je courais derrière mes sœurs et mon frère que la curiosité menait de spectacle en spectacle, j'entrais en symbiose avec ceux à qui je refusais inconsciemment et obstinément d'appartenir».
Plus qu'une autobiographie proprement dite, Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi, agrégée et docteur en lettres et civilisation françaises, diplômée en archivistique et documentation, a fait preuve d'un grand talent dans l'art du journal.
Bordj Louzir, de Rabaâ Ben Achour-Abdelkéfi SudEditions, Tunis-mai 2010


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