La photographie est devenue, comme l'a dit Henri Van Lier, «l'objet métaphysique par excellence : cet être qui est là, sans être là, etc.» Tout le monde a en tête les photographies emblématiques de la révolution tunisienne. Les images abordent toutes les nouvelles de la politique, de la guerre, de l'industrie, des beaux-arts, etc. Ces photographies sont le résultat d'un long travail sur l'image et le fruit du désir intense des photographes à témoigner et à rapporter ce qu'ils ont vu. Aujourd'hui, de nombreux photographes adoptent une démarche originale permettant de considérer la photographie comme un signe qui révèle, au-delà de sa fonction documentaire, une transparence opaque, notion cruciale qui trouve sa légitimité dans le champ artistique. «Quoi qu'elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n'est pas elle qu'on voit», écrit Roland Barthes dans La chambre claire. La photographie est une image référentielle qui résulte d'un enregistrement direct de la réalité en reproduisant tous les détails existants avec exactitude. Pour ce sémiologue, l'intérêt d'une image photographique réside dans le primat accordé au référent. Elle est donc, dans un premier temps, dans sa relation à ce qui est photographié et au-delà du processus technique et optique de sa captation, où sa coupure spatiale et temporelle est mise en évidence. Ce rapport étroit au référent offre au spectateur/lecteur une conception transparente de la photographie car il ne voit pas la technologie qui a produit l'image mais seulement ce qui est représenté. L'idée de l'œuvre contemporaine qui est soumise à la destruction est liée à la photographie qui a été introduite dans les années 1960-1970 pour documenter chaque travail artistique. Cette période correspond de même à l'entrée de la photographie dans l'art contemporain avec divers courants comme le Land art, les performances et les actionnistes. Ce recours à la photographie permet d'attester l'existence des différentes œuvres. Transparence et opacité La photographie est, donc, une image absolument transparente qui montre des objets, des paysages, des gens, des couleurs et des constructions sans changement, ni déformation. C'est un véritable témoignage qui peut maintenir dans son temps, le passé de ce qui a été réalisé. La photographie, selon cette optique, se définit comme un pouvoir de «vérité» qui substitue l'œuvre en tenant lieu de son absence. C'est un signe qui présente certaines relations de similarité avec les objets du monde réel. Martine Joly, dans son étude sémiologique sur l'image visuelle fixe, a défini le signe comme «quelque chose est là, que je perçois (un geste, une couleur, un objet), qui me renseigne sur quelque chose d'absent ou d'imperceptible. Cette caractéristique élémentaire du signe d'être à la place de quelque chose d'autre, d'être un tenant lieu de, on la retrouve dans toutes sortes de signes (...)». La transparence du signe photographique par rapport au réel permet au récepteur de reconnaître assez aisément certaines informations et connaissances sur le contexte de la réalisation de chaque œuvre élaborée. C'est la raison pour laquelle le signe a besoin d'un récepteur qu'il interprète pour être communiqué. Selon Charles Peirce, «un signe, quand il s'actualise comme signe, est associé à un objet et à un interprétant». Il y a dans chaque image photographique un message sous-jacent qui peut être perçu selon des points de vue différents et parfois contradictoires. Toute image est à la fois travail photographique ou photographie de quelque chose. Des tensions existent entre le matériau photographique et l'objet à photographier, entre le présent et le passé, entre l'imaginaire et le réel, entre la présence et l'absence, bref entre la transparence et l'opacité. Les artistes contemporains se distinguent et se démarquent par la personnalité de leur travail et par la manière dont ils utilisent l'appareil photographique. C'est ici que se présente la question de la photographie elle-même qui doit manifester sa différence et son éloignement par rapport à la photo qui n'est qu'un signe portant un message transparent. Cette photo comme prise de conscience d'elle-même doit se distinguer de tout aspect documentaire pour acquérir un aspect artistique qui révèle au spectateur la distance par rapport au réel et l'opacité du signe. Cette tension entre ces deux aspects permet d'éclairer la notion du signe photographique qui peut être considéré comme un nœud de paradoxes. Plus le signe est opaque, plus il invite à l'absence du réel dans l'image et son indépendance d'être l'aboutissement d'une expérience subjective, d'un espace, du temps et du dialogue entre l'artiste et son œuvre. Précisons que la photographie qui nous intéresse principalement, mais non exclusivement est celle qui s'affirme comme la représentation du passé dans le présent. La transparence et l'opacité font de la photographie un signe équivoque : ce qui renvoie à la transparence, soit ce qui est représenté et ce qui renvoie à l'opacité, à savoir ce qui représente. La photographie est devenue, comme l'a dit Henri Van Lier, «l'objet métaphysique par excellence : cet être qui est là, sans être là, etc.». Il s'agit d'une nouvelle articulation du signe photographique qui nous permet de déterminer notre position à ce sujet : transparence ou opacité? Ou bien : transparence et opacité?