Alors que le sit-in de la légitimité reprend, neuf membres des mouvements «Tamarrod» et «Haqqi» entament une grève de la faim La société tunisienne est aujourd'hui partagée. Si on ignore encore les proportions chiffrées de l'une et l'autre des deux catégories, on sait que la détermination des uns et des autres à aller jusqu'au bout va au-delà de toute rationalité. On est si partagés que le simple fait de prendre un taxi pour aller à la place du Bardo vous fait subir un interrogatoire qui est, parfois, secret mais la plupart du temps franc. On essaye, inévitablement, de deviner si vous faites partie de ceux qui soutiennent le départ du gouvernement ou de ceux qui soutiennent sa légitimité. «La politique a pris, aujourd'hui, la place du football et tout le monde s'y met», me dira mon taxiste qui ne lésine pas sur les paroles pour dénoncer les dépassements dont il accuse les gens qui nous gouvernent. Hier, dimanche 11 août, «le sit-in du départ» continue avec autant de détermination sauf qu'à 13h00, il y avait très peu de monde. Les membres du mouvement «Tamarrod» et «Haqqi organisaient une conférence de presse pour annoncer l'entrée en grève de la faim de neuf des leurs. Une décision qui marque le passage à une nouvelle phase et qui démontre la détermination des sit-inneurs. Souhail Bayoudh du mouvement «Tamarrod» insiste sur le fait que le mouvement en question tient à rester populaire, spontané, apolitique et indépendant donc «qui représente tous les citoyens qui ont signé notre pétition». A ce propos, le mouvement a choisi de travailler en concertation avec tous les membres et de prendre des décisions qui émanent de la réflexion collective. Selima Ferchichi, membre du mouvement qui est entrée en grève de la faim depuis samedi, nous raconte le calvaire qu'elle subit ainsi que les autres membres, quotidiennement, de la part des passants, sans parler de l'agression dont elle fut victime la veille de l'Aïd. L'agresseur étant un chauffeur qui s'oppose à son mouvement. Un autre sit-inneur nous confie qu'il est propriétaire d'un commerce de friperie et qu'il a choisi de rejoindre le mouvement depuis qu'il en a entendu parler, un choix dicté par la déception qu'il vit face à «un gouvernement qui tourne le dos au peuple et à ses préoccupations quotidiennes». A 15 h, le premier vendeur de sandwiches s'est installé pas loin des tentes des sit-inneurs. Ça c'est l'autre facette du sit-in, relève Samir. «Il y a des gens qui y voient, simplement, une occasion pour gagner de l'argent», ajoute-t-il. Lotfi, un citoyen qui dit participer au sit-in depuis le début, le 25 juillet dernier, précise que les participants sont déterminés à aller jusqu'au bout et souligne que des moments forts tels que la grande mobilisation du 6 août ont permis de sonder le degré de solidarité des Tunisiens. Nadia Chaâbane a, pour sa part, passé la nuit sur place et n'est partie que vers 7h30 du matin. Elle nous brosse une autre facette du sit-in. Au-delà des intérêts politiques et des idéologies, elle y voit une occasion pour se découvrir, se rapprocher et revivre le rêve du 14 janvier. Elle parle d'un village qui s'installe où il y a beaucoup d'échanges, où on se salue et on se parle sans se connaître. «Au-delà des appartenances politiques et des différences qui nous séparent, une grande solidarité nous unit et nous permet d'aller outre les difficultés et la gestion des problèmes quotidiens», ajoute-t-elle. N.Chaâbane relève, enfin, que les sit-inneurs qui revendiquent le départ du gouvernement partagent un sentiment de trahison et de déception. De l'autre côté de la place, ceux qui soutiennent la légitimité du gouvernement ont décidé de reprendre le sit-in. Pour y passer, il faudra contourner la place en traversant le passage souterrain, un symbole qui nous rappelle la faille qui s'est creusée entre les deux catégories de Tunisiens. Sur place, l'Alliance nationale pour la réalisation des objectifs de la révolution et l'appui à la légitimité organise une conférence de presse pour annoncer la reprise du sit-in de la légitimité. Adel Guelmami, membre de l'alliance, note que si le sit-in a été levé avant la fête de l'Aïd, c'était pour libérer les gens et offrir aux décideurs politiques l'occasion d'engager le dialogue dans un cadre propice. «On s'attendait que réciproquement, le sit-in du départ soit levé, ce qui n'a point été fait», ajoute-t-il. Ainsi l'alliance représentant de nombreuses associations a-t-elle décidé de reprendre le sit-in avec trois revendications principales, à savoir la clarification de la part du gouvernement de la vérité sur les attentats et les vrais commenditaires, une invitation à l'ANC et au gouvernement de continuer leur travail afin de pouvoir passer rapidement à de nouvelles élections.