Rached Ghannouchi révèle que son parti est ouvert à toutes les propositions s'inscrivant «dans la poursuite du processus transitoire, loin des aventuriers et de leurs plans hasardeux» La conférence de presse donnée hier par Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, a permis de réaffirmer les positions du mouvement quant à une possible sortie de la crise dans laquelle se débat le pays depuis plus de trois semaines. «D'abord, oui pour un gouvernement d'union nationale auquel participeront les forces convaincues de la nécessité de poursuivre le processus transitoire dans le cadre de la légitimité née des élections du 23 octobre 2011. Ensuite, la préservation de l'Assemblée nationale constituante appelée à s'occuper presque exclusivement de l'adoption de la Constitution, de l'élaboration du futur code électoral et du parachèvement de la formation de l'Instance des élections. Quant aux autres projets de loi à l'instar de celui de l'immunisation de la révolution, ils peuvent attendre. Ils seront peut-être légués à la future Chambre des députés qui émanera des élections générales qui se tiendront comme promis avant fin 2013. Enfin, la création d'une instance politique qui accompagnera et supervisera l'action du gouvernement découlant du dialogue national. Cette instance aura des compétences précises et sera composée de représentants des partis politiques et des organisations nationales ainsi que de personnalités nationales. Une quatrième proposition : la conclusion d'un pacte d'honneur entre les partis politiques en vue d'assurer une compétition saine et loyale et une coexistence pacifique entre ces mêmes partis», souligne le président d'Ennahdha. Seulement cette feuille de route doit être entérinée par le Conseil de la choura d'Ennahdha qui doit tenir une session exceptionnelle ce week-end «pour examiner la situation générale dans le pays et prendre les décisions appropriées», précise Rached Ghannouchi. Non aux conditions préalables «Oui, martèle le président d'Ennahdha, le gouvernement a commis des erreurs. Nous les reconnaissons. Mais, elles ne peuvent en aucune manière justifier les dérives, les appels à la rupture et le rejet du dialogue. Nous sommes convaincus que la Tunisie ne peut être gouvernée que par le consensus. Les appels aventuriers à la destitution du gouvernement et au remplacement des institutions étatiques aux plans régional et local par de prétendus comités de gestion populaires relèvent de l'anarchie et du déni caractérisé de la volonté du peuple qui a clairement fait entendre sa voix et ses choix lors des élections du 23 octobre 2011. Nous sommes pour le dialogue, mais nous rejetons les conditions préalables de quiconque. Et c'est bien à partir de ce dialogue qu'émergera le prochain gouvernement. Nous avons déjà rencontré le secrétaire général de l'Ugtt et nous avons un nouveau rendez-vous lundi prochain pour poursuivre nos concertations et nous demeurons ouverts à toutes les propositions à condition qu'elles s'inscrivent dans la voie de la poursuite du processus démocratique». Quelle appréciation fait Ennahdha de la décision du Dr Mustapha Ben Jaâfar de suspendre les travaux de l'ANC ? Rached Ghannouchi précise : «Nous sommes convaincus que la suspension des travaux de l'ANC est temporaire. Elle a été prise dans le but d'inciter les constituants sit-inneurs à revoir leurs positions et à retourner à l'hémicyle. Malheureusement, certaines parties irresponsables instrumentalisent les malheurs des Tunisiens en vue de chasser Ennahdha du pouvoir. Elles oublient que les gouvernements élus démocratiquement ne tombent pas à la suite des sit-in ou des manifestations dans la rue. Notre attachement à la légalité ne participe point de notre volonté de demeurer au pouvoir mais bien de notre respect des règles de la démocratie». Le modèle égyptien n'est pas à importer S'adressant à ceux qui cherchent à importer le scénario égyptien, Rached Ghannouchi est tranchant : «Non à l'émergence d'un Sissi tunisien. La leçon égyptienne doit renforcer notre attachement au consensus. Nous devons privilégier ce qui nous rassemble au détriment de ce qui nous divise et je suis convaincu que nous avons beaucoup de dénominateurs communs dont en premier lieu la volonté inébranlable de notre peuple de s'opposer fermement à ceux qui veulent le diviser ou semer la discorde parmi ses différentes composantes. Il est devenu clair aujourd'hui que les révolutions du Printemps arabe sont la cible d'un complot dont les visées n'échappent plus à personne. A nos frères Egyptiens, je dis que la liberté fleurira grâce au sang versé par nos martyrs et j'appelle les hommes libres dans le monde à soutenir le peuple égyptien face à la terreur et aux boucheries sauvages dont il est victime. Toutefois, il est affligeant et dur de voir certains libéraux et soi-disant démocrates arabes se réjouir de la répression aveugle commise par Al Sissi et ses acolytes». «La Tunisie, ajoute-t-il, poursuivra ses initiatives pour soutenir la démocratie en Egypte et nous sommes persuadés que l'armée égyptienne n'imposera pas la loi de la jungle et que les Egyptiens finiront par recouvrer leur liberté». Toujours dans le même contexte, Ghannouchi a tenu à répondre à ceux qui pensent que les révolutions du Printemps arabe ont été déclenchées par l'Occident. «Non, s'emporte-t-il, ces révolutions sont bel et bien le produit d'initiatives de la jeunesse arabe et elles n'ont aucun lien avec les forces étrangères. L'Occident s'est trouvé obligé de traiter avec les nouvelles réalités en vue de préserver ses intérêts. Et ce sont seulement ses intérêts qui dictent ses positions. Pour le moment, l'expérience tunisienne suscite toujours le soutien des pays occidentaux qui sont convaincus que l'échec de notre révolution fera tomber notre région dans le terrorisme et le crime organisé. D'ailleurs, les ambassadeurs des pays européens que nous rencontrons régulièrement ne cessent de le répéter. Quant aux Américains, ils appuient toujours le processus démocratique. Seulement, ils sont toujours mécontents de l'attaque contre l'ambassade en septembre dernier et considèrent que les sanctions infligées aux auteurs de cette attaque sont clémentes et ne répondent pas à la gravité des actes commis. Il est à préciser que les assaillants qui ont été arrêtés à l'intérieur de l'ambassade américaine n'ont pas été jugés jusqu'ici et que le ministère public a fait appel contre ceux qui ont écopé de peines jugées très légères». Pour conclure, Ghannouchi exprime sa conviction que «seul le dialogue rationnel, constructif et équilibré, y compris avec Nida Tounès qui a déjà participé à plusieurs rencontres de concertation, est à même d'accélérer le parachèvement de la période transitoire». En parallèle, il n'exclut pas l'éventualité de recourir au peuple en organisant un référendum sur «l'achèvement de cette période au cas où la rupture et l'incompréhension se poursuivraient». Une approche, des priorités Le président d'Ennahdha a fixé les priorités suivantes sur lesquelles se fonde la feuille de route nahdhaouie : – Attachement à la petite Constitution – Préservation de l'ANC qui doit reprendre ses travaux le plus tôt possible – Adoption de la Constitution et du code électoral avant fin septembre 2013 – Formation d'un gouvernement d'union nationale – Prise de toutes les mesures propres à assurer la neutralité de l'administration à l'échelle locale, régionale et centrale – Création d'une instance politique de suivi de l'action gouvernementale bénéficiant de compétences fixées à l'avance et composée des partis politiques, des organisations de la société civile et de personnalités nationales – Conclusion d'un pacte d'honneur entre les différents partis politiques fixant les règles d'une compétition saine et loyale.