«Cet abaissement traduit l'augmentation des incertitudes politiques, la légitimité des institutions de transition étant de plus en plus contestée dans le sillage de nouvelles violences politiques», souligne l'agence Standard & Poor's «Il fallait s'y attendre. Ce n'est une surprise pour personne sauf pour les autorités qui dirigent aujourd'hui le pays», assène Mansour Moalla, en réaction à la décision prise hier par l'agence américaine Standard & Poor's de dégrader de deux crans la note de la Tunisie. La note accordée à la dette long terme passe ainsi de «BB-» à «B» assortie d'une perspective négative. «Cela fait désormais partie du paysage», ironise-t-il non sans dépit. «Les autorités sont en train de s'isoler alors même que la nouvelle sentence de S&P est potentiellement porteuse, à moyen-long terme, du risque d'une nouvelle dégradation qui ferait cette fois-ci tomber à «C» la note de la Tunisie». La note «C» est, rappelons-le, synonyme de faillite. Tout y est dit. D'ailleurs on avait bien senti que Mansour Moalla n'entendait pas s'attarder outre mesure sur la question. La réaction fut brève autant que courtoise, réaction en somme de quelqu'un qui, depuis longtemps déjà, n'a jamais cessé de tirer la sonnette d'alarme sur le danger qui guette l'économie tunisienne en l'absence d'une grande visibilité et d'une réelle stabilité politiques. L'économiste Radhi Meddeb n'entendait pas non plus trop épiloguer tant le constat est clair : «Nous sommes passés du spéculative grade au stade d'environnement non fréquentable». Deuxième constat : la nouvelle note de S&P est assortie de la motion «avec perspectives négatives». Ce qui veut dire qu'il faut s'attendre à un nouvel abaissement de la note. Troisième constat : «Le pays n'est pas géré. Le gouvernement fait semblant d'être là. Rien n'a été fait au sujet de la matrice de conditionnalité qui a été négociée avec la Banque mondiale, le FMI et la BAD. Les 500 millions de dollars de la BM ne sont toujours pas engagés dans leur totalité, idem pour le prêt du FMI à la Tunisie. Le pays aura beaucoup de mal à lever des fonds sur le marché international et l'Etat ne pourra pas boucler son budget en termes de ressources». Radhi Meddeb considère à cet égard qu'il faut «arrêter les dérives politiques, que plus que jamais, le compromis est nécessaire. Seu le parti Ennahdha en détient les clés. Sa position de premier parti de la coalition au pouvoir lui confère une responsabilité de tout premier ordre, celle de constater l'échec du gouvernement actuel, d'accepter sa démission et son remplacement par un gouvernement non partisan». Difficile d'être plus clair ! Renouer avec la culture du compromis Non moins incisif, cependant un peu plus subtil, Moez Laâbidi, professeur de Finances internationales considère que , étant plus réactive que les autres agences de notation, S&P va ainsi ouvrir le bal à d'autres dégradations de la note de la Tunisie. Il estime que «S&P vient de sanctionner la dégradation du climat politique, du climat sécuritaire et du climat social en Tunisie... avec une industrie du crime politique qui se développe et une banalisation de la grève générale...Ce contexte ligote tout naturellement l'investisseur national et décourage l'investisseur étranger». Pour M.Laâbidi, la sentence de S&P traduit également un doute sur la capacité des autorités à stopper, à court terme, la détérioration des fondamentaux et, à moyen terme, à engager les grandes réformes (secteur bancaire, code d'investissement, fiscalité...). «Le problème est politique, il faut donc une réponse politique : renouer avec la culture du compromis, reconnaître l'échec du gouvernement dans le traitement des grands dossiers de la transition démocratique. Il faudrait que l'opposition évite aussi les discours populistes (appelant à la désobéissance civile) et que les forces syndicales aient plus de retenue dans le recours à l'arme de la grève», insiste-t-il. Quant aux incidences de la nouvelle dégradation de la note de la Tunisie, le professeur Moez Labidi, précise qu'«elle pourrait durcir davantage les conditions de refinancement. D'une part, l'accès de la Tunisie aux marchés financiers internationaux exige une majoration du coût de l'emprunt (hausse du taux d'intérêt sur les obligations émises). Et d'autre part, plus la Tunisie s'enfonce dans le speculative grade, plus son pouvoir de négociation, avec les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux, s'affaiblit». Pour Zouhair El Kadhi, économiste en chef à l'Institut tunisien de la compétitivité et des étude quantitatives, «la dégradation de la note de la Tunisie par l'agence S&P est relativement attendue et ne choque pas eu égard à la situation du pays. Nul doute aujourd'hui que l'économie tunisienne passe par une période difficile et complexe et risque même une situation de cessation de paiement». Cette dégradation aura comme conséquence une amplification des difficultés d'accès à un financement extérieur. En effet, les besoins de financement de l'économie sont de plus en plus importants d'où la question : comment peut-on trouver un financement adéquat tout en tenant compte des dégradations successives de la note du pays ?! «Mission difficile voire impossible. La Tunisie à court de financement, flirte avec la faillite», soutient M.El Kadhi.