En l'espace d'un mois, deux renvois qu'aucune raison valable ne semble justifier. Pourquoi, précisément, en cette période délicate et cruciale ? A-t-on perdu la tête ? «Nous ne mettrons pas fin à notre sit-in sans le départ de Mounir Hintikka et Mahmoud Rezgui». Le personnel du Centre Ennejma Ezzahra qui brandit depuis déjà quelques jours cet écriteau sur le buste, ne décolère pas contre ces deux personnes, accusées de porter préjudice à l'établissement et à ceux qui y travaillent. A l'entrée du Centre, une banderole en dit un peu plus : «Nous, agents du Centre de musique arabe et méditerranéenne, condamnons la tentative de limogeage de Mohamed Lassaâd Qriâ de son poste de direction...». Pour emprunter l'injonction tunisienne devenue célèbre, le personnel dudit Centre demande donc aux deux fonctionnaires cités plus haut de dégager, et au ministère de tutelle de revenir sur sa décision jugée irraisonnée et échappant à tout entendement. L'affaire Lassaâd Qriâ Sans une position contraire amenant à une rétraction pure et simple, et pouvant donc remédier au dégât moral subi par le directeur d'Ennejma Ezzahra, cette histoire a de fortes chances de revêtir le caractère d'une vraie affaire à soumettre à la Justice, tant elle repose sur l'arbitraire et même, quelque part, sur une concussion assez mystérieuse. Professeur adjoint à l'Institut supérieur de musique (Tunis), M. Mohamed Lassaâd Qriâ a été détaché pour cinq années en qualité de directeur général du Centre de musique arabe et méditerranéenne en vertu d'une décision du ministère de l'Enseignement supérieur datée du 7 janvier 2013, en écho au décret-loi 2908/2012 en date du 27 novembre 2012 portant sur le même objet. Le 7 août 2013, M. Qriâ reçoit, de main en main et par porteur interposé, une enveloppe fermée où le pli l'informe de la décision de mettre fin à son détachement auprès du Centre en question, et ce, à compter du 1er août 2013. Ce n'est pas un pli ordinaire, mais une décision de fin de détachement signée conjointement par le chef de Cabinet du ministère de l'Enseignement supérieur, et par le directeur du Centre qui — surprise ! — s'avère être... M. Mehdi Mabrouk (puisqu'il a signé sous le libellé : directeur du Centre de musique arabe et méditerranéenne, et même s'il a apposé en-dessous son cachet de ministre). Il faudrait peut-être expliquer ici une nuance administrative. Tout comme on parle de personne physique et de personne morale, dans les affaires administratives il y a lieu de dissocier l'homme de sa fonction. En l'occurrence, toute décision concernant le Centre Ennejma Ezzahra relève obligatoirement du ressort de son directeur. En tout cas, il en est une partie incontournable. D'ailleurs, la décision de mise en détachement de M. Qriâ à la tête du Centre est conjointement signée par un haut responsable du ministère de l'Enseignement supérieur et par...le directeur du Centre en question. C'est comme qui dirait : le directeur du Centre (M. Qriâ) a décidé la mise en détachement de M. Qriâ à la direction dudit Centre. Cela peut paraître absurde, mais c'est comme ça. C'est pour dire, de toute façon, que la décision de mettre fin au détachement de M. Qriâ ne peut être signée, conjointement, que par M. Qriâ en sa qualité de directeur du Centre. Et de toutes les façons, on attire notre attention sur le fait que la désignation d'un directeur général à la tête d'un organisme d'Etat, tout comme son limogeage, font nécessairement l'objet d'un conseil ministériel qui, seul, en décide. En somme, il paraît que la nomination ou le limogeage ne peut être prononcé d'une manière unilatérale. Ne manquait plus qu'on signât à sa place. La totale, quoi! L'étonnant M. Rezgui ! Si surprenante qu'ait pu lui paraître, cette décision de mettre fin à son détachement, M. Qriâ s'y attendait un peu en quelque sorte. Un différend de taille l'a opposé dernièrement au ministre de la Culture, à propos d'un certain Mahmoud Rezgui, ingénieur de son de son état et exerçant au Centre Ennejma Ezzahra. Ingénieur aux compétences reconnues, semble-t-il, M. Rezgui a été sollicité en vue de prêter ses services au festival de Carthage, et ce, du 2 mai au 31 août. Aux yeux de L. Qriâ, l'intéressé devait d'abord demander un congé sans solde pour pouvoir exercer ailleurs. La chose n'a pas été faite. Qriâ, par courrier, rappelle au ministre de la Culture les termes d'une loi de 1983 exigeant cette mesure pour éviter le cumul de salaires. Etonnamment, le ministre aurait répondu, mais verbalement, en précisant que « ce texte de loi ne concerne pas M. Mahmoud Rezgui ». Le directeur du Centre appelle l'intéressé à régulariser sa situation. Rien n'est fait. Alors et pour se protéger du point de vue administratif, il demande au ministre de s'expliquer et de justifier ce passe-droit dont jouit M. Rezgui. En guise de réponse, il reçoit une décision de mettre fin à son détachement... Une décision qui lui est tombée d'en haut, sans crier gare. A qui le tour ? M. Lassaâd Qriâ, qui a tenu une conférence de presse vendredi dernier, semble être la deuxième victime. Avant lui, il y a eu Mme Sana Tamzini, également universitaire et détachée en tant que directrice du Centre national des arts vivants du Belvédère, à qui on a soudain suspendu le salaire du mois de juillet avant même de lui signifier la fin de son détachement, sans explication aucune (lire La Presse d'hier). Si le dicton ne se dément pas, il n'y a jamais deux sans trois. Alors, à qui le tour maintenant ?