Le festival n'est pas isolé du contexte de contestations qui fusent dans les rues Le coup d'envoi de la 28ème édition du Festival international du film amateur de Kélibia (Fifak) a été donné dimanche soir, au théâtre de plein air de la ville. Cette édition, qui se poursuit jusqu'au 31 du mois, est celle qui précède les cinquante ans du festival, puisque pendant ses 21 premières années, il était national. Elle a été de ce fait placée sous ce signe, celui de la réaffirmation de la position de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (Ftca) en faveur d'une culture alternative. La Ftca, cinquantenaire depuis un an, a toujours fait partie de la mouvance sociopolitique du pays en tant que scène d'engagement et de résistance. Elle continue à l'être en ces circonstances par lesquelles passent la Tunisie et le processus révolutionnaire. L'assistance en fureur La cérémonie d'ouverture, par son programme et ses imprévus, a prouvé que le festival n'est pas isolé du contexte de contestations qui fusent dans les rues. Les chansons de Cheikh Imam ont laissé place à l'allocution du directeur du Fifak et président de la Ftca, Ghassen Jemaia, qui a souhaité au public et aux invités un bon festival et rappelé les valeurs de base de l'action de la fédération. En écho à ses paroles, des jeunes parmi le public se sont levés pour exprimer leur soutien à Nasreddine Shili et à Mourad Maherzi, tous deux arrêtés dans l'affaire de l'œuf jeté sur le ministre de la Culture. Il s'agissait de membres du groupe de tagueurs Zwewla qui avaient préparé des cartons sur lesquels il était écrit « Free Shili », « Free Mourad », « Filmer n'est pas un crime ». Le public a adhéré en soutenant par des slogans et des applaudissements leur petite manifestation. La fureur de la foule qui a pris d'assaut les chaises du théâtre de plein air est allée crescendo quand l'allocution du chef de la délégation spéciale de Kélibia a été annoncée. Le responsable n'a pu dire un mot, hué et accusé d'être un pro-nahdha par divers slogans. Il a fini par se retirer devant l'insistance de l'audience. Suite à quoi le film de l'ouverture a été projeté. L'islamisme et le cinéma Le choix a été cette année porté sur le documentaire Gaza 36 mm de Khalil Al Mozayen. Ce dernier est un technicien et réalisateur de cinéma qui a été à la tête de l'agence de presse palestinienne Ramattan et de la chaîne satellitaire palestinienne. Son film traite de la disparition des salles de cinéma de la bande de Gaza. Elles étaient au nombre de dix, très fréquentées par les Gazaouis, hommes, femmes et enfants, qui y trouvaient une échappatoire de leur quotidien difficile et un lieu pour les rêves. En l'absence de télévision et de radio, l'écran de cinéma était une véritable fête. Les générations plus jeunes n'ont pas pu connaître cette « belle époque ». Tout a, en effet, changé depuis la montée du courant islamiste à Gaza, qui a œuvré pour faire disparaître le cinéma du paysage et des habitudes de la vie quotidienne. Derrière, c'est tout un projet de société conservatrice qu'ils ont installé par des prêches dans les mosquées, en incendiant les salles, en détournant, par la même occasion, l'attention des Palestiniens de la résistance contre l'occupation, qui battait son plein avant leur arrivée, avec les leaders de gauche. Les cinémas sont pour le réalisateur le symbole d'une mémoire perdue, puisque des tonnes de pellicule du patrimoine filmique mondial ont été abandonnées ou détruites dans ces salles aux murs désormais délabrés, à l'image du vécu et de la mémoire palestinienne. A mi-chemin entre sonnette d'alarme et hommage à la belle époque, ce film, où le réalisateur se met devant la caméra pour raconter ses souvenirs, est construit sur divers témoignages mais aussi sur des mises en scène et des images reconstituées par Khalil Al Mozayen, comme des bouts de rêves qui rencontrent des bouts de souvenirs lointains, dans une seule pellicule. Décadence Gaza 36 mm est porteur d'une réflexion de fond sur le lien entre le règne de l'obscurantisme et la décadence de la vie culturelle et leur incidence sur la condition de vie de la population. Une réflexion et un constat amer qui, bien qu'ils s'intéressent au cas de la bande de Gaza, peuvent être étendus à tout le monde arabe, dont on dit désormais, pour l'anecdote, que les territoires palestiniens sont devenus les plus sécurisés des pays de la région. Gaza 36 mm est de ce fait un excellent choix pour l'ouverture de cette 28ème édition du Fifak qui démarre en force. Et dire que les organisateurs ont choisi cette année de ne pas programmer un spectacle d'ouverture, afin d'opter pour la sobriété. La cérémonie aura été sobre dans la forme, mais pas dans le fond. Les prochains jours du festival comportent une soirée dédiée à la Palestine, une autre au cinéma de la résistance, des masters class et des rencontres, mais surtout les projections des films de la compétition nationale et internationale. Attendons voir.