Des journalistes agressés, emprisonnés au terme d'un acharnement procédurier, des alliances politico-financières qui mettent la main sur des médias en mettant au pas leur ligne éditoriale, ou encore des nominations et des parachutages de responsables à la tête des médias publics, voilà le constat amer que fait le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) au bout de deux années de «liberté d'expression» gagnées par la lutte et par les protestations populaires. C'est donc sans aucun regret, sinon celui d'être obligé d'y venir, que la présidente du Snjt a confirmé hier, lors d'une conférence de presse, la grève des neuf radios publiques qui doit avoir lieu aujourd'hui (Radio nationale, Radio jeunes, Radio Tataouine, Radio Sfax, Radio Monastir, Radio Gafsa, Radio Kef, Radio culturelle et Rtci). «Une grève qui sera la première d'une série d'autres actions si les choses ne bougent pas», prévient Néjiba Hamrouni, qui s'en prend violemment à Mohamed Meddeb, directeur général de la Radio nationale, dont le nom a été cité plus d'une dizaine de fois pendant la conférence de presse. «Mohamed Meddeb a fait ce qu'on ne faisait même pas du temps de l'ancien régime... Il a viré plusieurs journalistes de façon abusive... Il a battu le record en matière de nombre de conseils de discipline harcelant les journalistes et, enfin, Mohamed Meddeb ne s'est pas gêné pour arrêter une émission radiophonique en plein direct», martèle la présidente du syndicat. Elle ajoute que « contrairement à ce que déclare le DG de la Radio nationale dans son communiqué, le Snjt comprend très bien le contenu du décret 115, pour avoir contribué à son élaboration» et, de fait, pour Néjiba Hamrouni et le syndicat, « la nomination de Mohamed Meddeb est illégale et entraîne de facto l'illégalité de la nomination des directeurs qui sont venus suite à sa décision». D'un autre côté, Néjiba Hamrouni s'est indignée des nouvelles alliances politico-financières qui maculent le paysage médiatique d'«argent sale». «Tous les jours, on entend parler d'hommes d'affaires et de politiques qui mettent la main sur des médias, à l'image de Slim Riahi, qui a cassé Tounissia TV avant de racheter des parts de Nessma TV, ou encore le patron de Hannibal qui se transforme en patron de parti, sans parler des menaces de vente qui pèsent sur un certain nombre de médias, à l'instar de Radio Kalima, qu'on tente de racheter de façon douteuse», explique Néjiba Hamrouni, tout en veillant à ne pas charger trop fort Tahar Ben Hassine, homme d'affaires, homme politique et homme de médias. Le syndicat évoque également des problèmes plus profonds qui menacent la liberté d'expression, comme l'application très molle du décret 115, et le non-octroi jusqu'à présent des cartes professionnelles des journalistes pour l'année 2013. «Le gouvernement voulait mettre dos à dos les deux syndicats de journalistes, pour justifier le retard dans la constitution d'un comité d'octroi des cartes professionnelles, et lorsque nous avons réglé nos différences de points de vue, le gouvernement est arrivé avec une nouvelle trouvaille dangereuse : imposer, à l'intérieur de ce comité, la présence d'un membre du gouvernement», s'insurge Néjiba Hamrouni. Autant de dérèglements qui maintiennent un flou profitable pour ceux qui souhaitent assujettir les médias. Selon Aymen Rezgui, membre du bureau exécutif du Snjt, «les journalistes se dressent contre ces tentatives de mainmise»... En attendant, «Mourad Mehrzi, caméraman d'Astrolabe TV, continue à croupir en prison pour avoir filmé l'œuf du ministre de la Culture».