Cela s'est passé aux urgences de l'hôpital régional de Djerba il y a un peu plus d'une semaine. Une femme d'âge mûr s'est présentée en milieu d'après-midi avec une entorse sévère qu'elle s'est faite en chutant du train de grande ligne desservant Tunis-Gabès. Mal éveillée, elle avait raté la dernière marche et s'est retrouvée étendue de tout son long sur les rails. Alors qu'elle est prise de douleurs, boitant et marchant difficilement, aucun infirmier ne se présente à l'entrée des urgences pour l'aider. Seul un visiteur, de passage, lui trouve une chaise roulante. A l'intérieur, le grand charivari règne. La salle d'attente grouille de monde: des visiteurs venus pour divers bobos: fracture, intoxication alimentaire, crise d'asthme, accident de la route, fièvre... La gestion quotidienne de près d'une centaine de consultations par jour est loin d'être une sinécure pour une équipe urgentiste réduite à un seul médecin urgentiste, quatre infirmiers et un radiologue. Les journées, longues et difficiles, se déroulent tant bien que mal aux urgences, en l'absence d'une organisation efficace et d'un nombre suffisant de personnel. Le manque de spécialistes n'arrange en rien les choses. Le médecin urgentiste, chargé d'apporter les premiers soins d'urgence, se trouve par la force des choses contraint de jouer le rôle de pédiatre, d'ophtalmologue, d'orthopédiste... Ce jour-là, arrivée tôt, comme à son habitude, la jeune praticienne a soigné plusieurs malades nécessitant des soins urgents. Malgré la douleur, chacun a dû attendre son tour devant la porte donnant accès à la salle de soins, après s'être présenté au guichet d'enregistrement. A l'intérieur, le médecin ausculte un patient pris de fortes douleurs au ventre et inscrit vite des antalgiques ; elle n'a pas le temps de s'attarder sur l'état du malade. C'est au tour d'une autre patiente souffrant de douleurs au pied de se présenter. Afin de vérifier s'il s'agit d'une entorse ou d'une fracture, le médecin demande à ce qu'un examen radiographique soit effectué afin de pouvoir établir un diagnostic précis. Mais la consultation est interrompue. Le médecin n'a pas le temps d'attendre les résultats de l'examen radiographique et quitte précipitamment la salle pour apporter des soins à un jeune blessé admis dans un état comateux après avoir été percuté par un jet-ski. Un scanner est effectué pour juger de la gravité du traumatisme crânien de la victime. L'équipe s'enferme avec le patient dans la salle des soins. Les minutes s'écoulent longuement. Dans la salle d'attente, les autres cas admis d'urgence sont obligés, malgré leur souffrance, de patienter, attendant qu'un autre médecin les ausculte. Niet. Aucun autre médecin n'est là pour leur apporter les soins et leur prescrire les médicaments qu'il faut. Pourtant, il y a des enfants brûlant de fièvre, une femme prise de violentes coliques, une patiente attendant qu'on lui pose un plâtre américain, un enfant éprouvant des difficultés pour respirer...Ce jour-là, des accidentés de la route sont également admis aux urgences et ont dû patienter pour qu'on les prenne en charge. Si on fait le compte de cette après-midi, près d'une cinquantaine de cas plus ou moins graves ont été admis aux urgences de cet hôpital. Admis en début d'après-midi, certains n'ont reçu les soins nécessaires qu'en début de soirée, après avoir patienté pendant de longues heures. Face à des infirmiers ne sachant plus où donner de la tête, c'est l'agent chargé de la sécurité qui délaissera son poste pour orienter les malades, les installer, leur apporter conseils et trouver les mots pour calmer les accompagnateurs. A la fin de la journée, le médecin urgentiste, pâle, les traits tirés et lessivée, quitte les lieux. Elle aura, comme à chaque fois, exercé sans répit et cumulé le rôle de pédiatre, orthopédiste, neurologue, gastroentérologue...durant toute la journée, trouvant, à peine le temps, de se restaurer entre deux consultations urgentes. Et, le soir, ce sera un autre médecin qui prendra la relève. Du côté du ministère de la Santé publique, on parle d'engager une réforme profonde du système sanitaire afin d'améliorer la gestion et la qualité des soins dans le secteur public. Il faudrait commencer par le plus urgent : renforcer le personnel des hôpitaux régionaux qui manquent cruellement de spécialistes. `