Pendant les neuvièmes rencontres cinématographiques de Hergla, deux cinéastes africains, William Mbaye et Laurence Attali, ont partagé leur expérience du documentaire avec les participants. Les rencontres cinématographiques de Hergla, qui se sont déroulées du 6 au 11 septembre, ont eu comme invités les deux cinéastes complices William Mbaye et Laurence Attali. Le premier est sénégalais, la seconde est franco-sénégalaise et leur présence aux rencontres a été une aubaine, pour les organisateurs, les festivaliers et les cinéastes en herbe. C'est que le duo est venu montrer ses films et animer un atelier de documentaire autour du thème de cette neuvième édition, la sauvegarde de la mémoire. Les univers Mbaye et Attali De par leurs expériences filmiques, William Mbaye et Laurence Attali sont très bien placés pour parler de ce thème. La sauvegarde de la mémoire constitue un enjeu pour un pays comme la Tunisie, vivant avec cette période transitoire un moment crucial de son histoire, où le fait de connaître la vérité devrait être un passage obligé. Il en est de même pour de nombreux autres pays, surtout en Afrique. L'exemple a été donné avec le documentaire Président Dia de William Mbaye, Tanit d'Or aux JCC 2012 et troisième prix au Fespaco, projeté pendant la deuxième soirée des rencontres cinématographiques de Hergla. Ce film se classe rapidement comme un document important pour l'Histoire du Sénégal. Un travail de recherche colossal a précédé le montage réalisé par Laurence Attali. Il a impliqué de nombreuses archives, notamment celles de l'INA qui a rejoint l'aventure Président Dia. William Mbaye a eu la chance de filmer Mamadou Dia (1910- 2009) peu avant sa mort. Son témoignage est poignant. Une leçon d'humanité, de sagesse et d'amabilité de la part de cet homme qui a dirigé le Sénégal en tant que président du conseil du gouvernement (1957- 1960) et premier ministre (1960-1962). Pendant cette période, son ami et compagnon Léopold Senghor était président. Ce dernier finira par chasser Dia du pouvoir, l'accusant d'une tentative de coup d'Etat qu'il n'avais jamais l'intention de faire, lui qui était son fervent défenseur. Le documentaire de William Mbaye place les événements dans leur cadre, avance dans l'histoire en se basant sur les faits et les témoignages, actuels ou d'époque. Sa démarche filmique n'est pas loin d'une recherche scientifique où il passe au peigne fin une réalité jusque-là occultée, puisque Senghor a réussi à véhiculer à la jeune génération et au monde l'image d'un réformateur qui a agi pour le bien du pays. De quoi expliquer l'étonnement et les vives réactions pendant le débat organisé le lendemain matin de la projection. Le documentaire, une découverte Ce débat a été l'occasion pour les curieux d'en savoir plus sur cette histoire, comme pour les cinéastes et cinéphiles de mieux comprendre la démarche de William Mbaye et Laurence Attali dans l'écriture du film et dans le montage des images d'archives. Comme conseils, ils ont avancé qu'il ne faut pas avoir peur de changer de point de vue et qu'il faut tout connaître sur le sujet de son documentaire, même si on ne va pas tout mettre dedans. A un intervenant qui lui a dit qu'il n'a pas assez creusé du côté de Senghor, William Mbaye a répondu que c'était un choix, parce qu'il ne voulait pas l'accabler davantage, alors qu'il en avait les moyens. Un équilibre est à trouver donc pour réussir le contenu, le rythme et la forme du film. Laurence Attali a dans ce sens parlé de son expérience à travers La trilogie des amours, trois courts-métrages qu'elle a réalisés entre 1999 et 2003, relatant son regard sur le Sénégal. Même le vent..., Baobab et Le déchaussé sont des films aux univers très riches en références aux symboles du Sénégal et au cinéma qu'elle aime, Fellini en l'occurrence. Le rythme et le montage confèrent à ce qui peut sembler extravagance et surcharge à l'image une étonnante cohérence où le sens naît du chaos, où l'on admire le génie de la créatrice. Elle réussit à faire de ses films un pays, à l'image de celui qu'elle filme. Laurence Attali a le don pour la rencontre du simple et du complexe. Elle en a surtout les moyens avec sa maîtrise du montage et son écriture particulière de l'évolution du soi. La transmission aux jeunes Son savoir et sa sensibilité, à elle comme à William Mbaye, ont servi de support pour l'atelier documentaire qu'ils ont animé pendant les rencontres cinématographiques de Hergla où les participants venaient de différents pays africains. Le duo passait des films, les leurs ou ceux d'autres réalisateurs, qu'ils analysaient avec le groupe sous l'angle de la sauvegarde de la mémoire. Leur but étant de voir comment ces films sont fabriqués, de transmettre l'éthique du documentaire et ses spécificités par rapport au reportage télé ou comment naissent le regard et le point de vue du cinéaste. Les participants ont également eu l'occasion de montrer leurs travaux pour en discuter avec leurs collègues et les deux cinéastes. Le fait qu'ils viennent de différentes cultures est selon Laurence Attali un atout. Elle espère qu'au bout de cet « éveil » ils auront l'occasion de collaborer ensemble. En attendant, chacun cherche déjà à former et à nourrir sa propre expérience. C'est le cas de Pascale Serra, une Franco-Centrafricaine qui a jusque-là réalisé des reportages à vocation sociale pour des ONG et qui désire se lancer dans le documentaire de création. C'est dans ce genre de petits festivals qu'elle pense trouver des fils conducteurs et des idées pour son travail, en rencontrant des cinéastes comme Mbaye et Attali, et en découvrant le pays et la population locale. Quant au Tunisien Saber Zammouri, qui a un film en montage et prépare un deuxième sur la mémoire des Fellagas, il a été dans son élément pendant cet atelier où il s'est intéressé à l'expérience en montage d'archives de Laurence Attali. Il incarne une jeune génération de cinéastes en Tunisie et en Afrique pour qui le documentaire et les outils légers ont ouvert une fenêtre sur le cinéma et sur le monde. Une nouvelle ère est en train de se mettre en place pour le cinéma en Afrique, « et c'est très bien », comme l'affirme Laurence Attali, puisque, dit-elle, le documentaire est un laboratoire expérimental qui suscite de plus en plus l'intérêt du public.