Il a été écroué en portant son dossard de journaliste. Sa libération est prévue lundi prochain sous caution La salle des pas perdus du Palais de Justice était d'ailleurs en effervescence, hier. Et pour cause, le vendredi 13 septembre, trois journalistes étaient convoqués pour être auditionnés. Il s'agit de Tahar Ben Hassine (El Hiwar Ettounisi), de Zouheir El Jiss (Express FM) et de Zied El Héni (Essahafa-La Presse). Ce « vendredi noir », comme se sont amusés à le décrire les professionnels du secteur, devait quand même se passer sans grandes surprises, puisque tous les indicateurs allaient dans le sens du report des auditions. Ce fut effectivement le cas pour Tahar Ben Hassine et pour Zouheir El Jiss. Pas pour Zied El Héni, pourtant convoqué pour des chefs d'accusation moins lourds, le juge d'instruction du Xe bureau ayant émis un mandat de dépôt contre lui. Une décision inattendue et qui a provoqué un tollé général auprès des journalistes. Rapidement, le corridor où se trouve le bureau du juge d'instruction est envahi par des dizaines de journalistes. Le mot d'ordre de mobilisation est déjà sur la Toile. Les journalistes affluent par dizaines. Des avocats rejoignent les rangs des journalistes, des syndicalistes arrivent à la rescousse. Devant le Palais de Justice, une manifestation s'organise. Des discours sont prononcés, des slogans sont scandés. « Mascarade » au bureau du juge « Nous allons porter plainte contre le juge d'instruction pour séquestration illégale d'un citoyen », assène l'avocat Mohamed Hédi Abidi, membre du comité de la défense de Zied El Héni. Il donne à l'assistance le récit d'une « mascarade judiciaire » à laquelle il a assisté : « La séance d'audience a débuté normalement en présence de la défense. Zied El Héni n'a pas été auditionné. Le juge d'instruction avait procédé à l'établissement de son identité. Et la défense lui avait clairement transmis ses griefs procéduraux. A cette étape, on était dans l'accomplissement des procédures. Il est à noter que dans le cadre de cette affaire nous avons déposé une plainte auprès du procureur général auprès de la cour de cassation pour demander le transfert du dossier de cette affaire à un autre tribunal, et ce, en vue de garantir un minimum d'indépendance et d'objectivité au traitement de cette affaire, car au tribunal de première instance, l'argument du "doute permis" est établi par la défense. En effet, le juge d'instruction qui doit traiter cette affaire était un adjoint du procureur qui a déposé plainte contre Zied. L'instruction publique fait elle aussi partie de ce tribunal », avance Me Mohamed Hédi Abidi. « Le juge d'instruction qui a été saisi de ces informations a consigné ces griefs et a fixé la date du 24 septembre pour l'interrogatoire. A ce moment-là, un agent entre au bureau du juge d'instruction et remet à ce dernier un document. Le juge le lit attentivement, pose son regard sur Zied et lui annonce qu'il est en état d'arrestation, en attendant que la défense obtienne une suite favorable à la demande de transfert du dossier, tel que revendiqué auprès du tribunal de cassation. C'est à ce moment-là qu'on s'est rendu compte que le document qu'on lui avait remis était bel et bien un mandat de dépôt ». Un mandat « douteux » La réaction de la défense est immédiate et virulente. « La procédure stipule que le mandat de dépôt soit énoncé par le juge d'instruction, en présence de l'accusé et rédigé par le secrétaire, en présence des avocats. Nous n'avons pas été témoins de cette procédure. Le juge a signé ce mandat de dépôt et du coup, il aura commis le crime de « falsification morale ». C'est pourquoi nous allons déposer plainte », souligne Me Mohamed Hédi Abidi. « Dans ce cas, le juge d'instruction aurait enfreint la loi comme le stipule l'article 173 du Code pénal qui évoque la falsification morale », tonne un autre avocat. « Ce juge agit selon des instructions politiques qui n'ont aucun rapport avec la loi et les procédures pénales. Il a, de ce fait, perpétré un crime de détention illégale d'un citoyen », ajoute-t-il. « Des juges ont même intervenu pour demander au juge d'instruction de réparer ce préjudice. Après concertation, il a été convenu de déposer, auprès de la chambre d'accusation de la Cour d'appel, une demande d'appel pour annuler ce mandat », explique-t-il. Mais c'est en pleine tractations, vers 15h00, que le juge d'instruction demande des renforts pour exécuter ce mandat. C'est d'ailleurs ce que vient étayer l'Association des juges tunisiens, dans un communiqué rendu public hier. En effet, le bureau exécutif de l'ASJT souligne que l'ouverture d'une instruction dans le cadre de cette affaire dans le même tribunal que supervise le plaignant, étant donné sa qualité de procureur (c'est lui qui ordonne l'instruction publique, affecte les affaires aux juges d'instruction, supervise l'enquête, émet son avis, demande l'émission de mandats de dépôt et ordonne leurs exécutions), représente une atteinte aux garanties d'un procès équitable, du fait de l'accumulation de deux qualités incompatibles : être juge et partie. Un journaliste qui dérange Lors d'une conférence de presse tenue au Palais de justice, Mongi El Khadhraoui, membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens, a mis en exergue les fautes procédurales et a affirmé que les chefs d'inculpations contre Zied comportent beaucoup de tares. Il a révélé à l'assistance que l'article 128, selon lequel il comparaissait, a été annulé depuis 1975 suite à l'institution du Code de la presse. En effet, le bureau exécutif du Snjt, réuni d'urgence hier soir, a appelé dans un communiqué les journalistes à boycotter les activités des trois présidences et à appeler à la démission du gouvernement auquel il impute la responsabilité de ce qui se passe dans le secteur. Il a également décidé une grève générale, le mardi 17 septembre 2013, dans l'ensemble des établissements médiatiques publics et privés en signe de protestation contre l'arrestation du journaliste Zied El Héni. Un sit-in ouvert au siège du syndicat est d'ores et déjà engagé et une marche de protestation sera organisée en coordination avec les avocats, le lundi prochain. Elle démarrera à partir du Tribunal de première instance de Tunis en direction de la place du gouvernement. La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a, pour sa part, demandé la libération immédiate du journaliste et déploré la précipitation de l'action judiciaire dans une affaire de liberté d'expression. Zied El Héni n'a fait que défendre un autre journaliste, souligne le communiqué de la FIJ. Dans le même sillage, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme a considéré que ce qui s'est passé au bureau du juge d'instruction est un tournant dangereux dans le traitement des affaires et une violation flagrante du principe de la liberté de presse selon les termes du décret 115. L'Ordre national des avocats de Tunisie a, pour sa part, dénoncé les atteintes aux avocats et a appelé au respect du principe de la suprématie des lois.