L'on ne sait guère si les deux leaders de Nida Tounès et d'Ennahdha sont revenus d'Alger confiants et sereins ou la cale pleine de regrets Quelques heures durant, l'épicentre de la politique tunisienne s'est déplacé à Alger. Les deux principaux leaders des deux principaux partis politiques de la place (Nida Tounès et Ennahdha) avaient esquissé la médiation d'Alger. Laquelle a tenu à faire savoir haut et fort qu'il n'est guère dans son dessein de s'immiscer de quelque manière que ce soit dans les affaires intérieures tunisiennes. Soit. Toujours est-il que les interrogations fusent. Pourquoi Alger précisément après Paris ? Et pourquoi pas Rabat ou Tripoli ? Disons-le d'emblée : l'Algérie n'est guère indifférente aux tournures des affaires intérieures tunisiennes. Surtout depuis que la nébuleuse terroriste s'est avisée d'établir un émirat islamiste en Tunisie, en commençant par jebel Chaâmbi, jouxtant l'Algérie. Avec les mouvances terroristes au Mali, l'Algérie semble bien dans la ligne de mire des islamistes jihadistes, soucieux de la prendre en tenaille sur au moins deux flancs stratégiques. Sans parler du péril en la demeure en provenance de la Libye. C'est dire que les tournures de la politique tunisienne pèsent profondément, d'une manière ou d'une autre, sur la sécurité algérienne. En outre, Alger voit d'un mauvais œil la perspective de quelque intervention occidentale en Tunisie. Depuis des décennies, les immenses gisements pétroliers et gaziers algériens attirent toutes les convoitises. Et nourrissent tous les desseins militaristes ou interventionnistes. Une base américaine ? Et ces dernières semaines précisément, des rumeurs persistantes ont circulé sur quelque base américaine dans le sud tunisien. Le gouvernement a, certes, démenti ces informations réfutant toute intention de créer une base militaire étrangère sur notre sol. Toujours est-il que ce même gouvernement avait décrété, il y a peu, la région du sud «zone tampon». Une décision destinée, nous dit-on, à faire face à la montée des groupes terroristes, du crime organisé et des réseaux de trafic d'armes et de contrebande. Et cela n'en finit pas de nourrir les soupçons, notamment d'une zone d'intervention exclusive des forces étrangères. En fait, les protagonistes de la place politique tunisienne semblent soucieux de rassurer Alger. La crise politique persistante met notre pays au bord de la banqueroute. Les plus hautes autorités financières disent craindre la cessation, sous peu, du paiement des salaires. Les perspectives demeurent brumeuses, à défaut de scénario plausible de sortie de crise. Et les mois à venir s'annoncent particulièrement difficiles. L'Algérie, elle, se porte bien, financièrement parlant. Même si elle semble en passe de ressentir les contrecoups de la succession à répétition, tant dans le staff civil que dans le staff militaire. Ici et là, on est à la croisée des chemins. Et le danger commun —le terrorisme— unifie les perspectives, du moins sécuritaires et à brève échéance. Qu'Ennahdha et Nida Tounès fassent le voyage d'Alger pour se concerter, à défaut de s'y atteler laborieusement en Tunisie, peut surprendre. Mais toute la région semble être entrée de plain-pied dans ce que Mao Dze Dong qualifiait autrefois de «zone des tempêtes». Et les tempêtes sont réputées précisément faire peu de cas des frontières. Fait révélateur, quelques semaines avant le voyage de Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, deux éminents responsables politiques tunisiens, respectivement de l'opposition et de l'establishment, s'étaient rendus à Alger. Et y avaient fait le pied de grue. En vain. Et l'on ne sait guère si les deux leaders de Nida Tounès et d'Ennahdha sont revenus d'Alger confiants et sereins ou la cale pleine de regrets.