Par Hamma HANACHI On le considère comme le temple de la céramique : Sidi Kacem Jelizi, situé à la place du leader, au sud de Tunis. La zaouia, malheureusement peu connue, mérite description et visite. Le mausolée qui a servi d'espace d'accueil pour les Morisques chassés d'Espagne est construit selon la tradition andalouse, il surplombe les maisons voisines, toit en forme pyramidale, couvert de tuiles vertes, de riches panneaux de carreaux décoratifs. C'est une atmosphère. Petites portes qui mènent à un vaste patio, chambres spacieuses transformées en ateliers, l'une d'elles abrite le tombeau de Sidi Kacem, un mystique d'origine andalouse, réfugié à Tunis après la chute de Grenade. Il doit son surnom de Jelizi à son talent de céramiste. Le lieu converti en Centre national de la Céramique (1992) abrite une belle collection d'objets en zelije, modelés à partir de la terre argileuse de Qallaline et de Nabeul. Chaque année, le monument, devenu Centre national de la céramique, fête l'art du feu. Des invités, des colloques, des échanges et des productions à base de terre. Céramiste d'art apprécié, très attaché aux lieux, Mohamed Hachicha, responsable du centre, souhaite ouvrir de plus en plus l'espace au public, pour des expositions, des conférences ou des rencontres autour d'événements culturels. Du 3 au 9 de ce mois, Sidi Kacem a accueilli la 3e rencontre internationale de la céramique d'art, une brochette de céramistes de haut rang y ont pris part. Ils viennent de Turquie, d'Espagne, de Slovénie, du Portugal, du Maroc, d'Egypte, du Canada, de Suisse, d'Algérie, de Tunisie, etc., se prénomment Vidri, Beca, Kocak, Sellami, Triki, etc. 28 participants, 20 pays, qui ont en commun la pratique de la terre, sa transformation en objet utile, esthétique ou les deux à la fois. Akawaza, céramiste japonais. Objets usuels en couleurs, une bonbonnière, ici, un sucrier en jaune serti de minuscules rectangles bleus, rouges et verts, là, des ustensiles raffinés, traités avec respect qui évoquent l'histoire du Japon où la céramique est considérée comme un art majeur, un soin extrême est apporté aux détails, des œuvres qui nous renvoient à la cérémonie du thé et à la doctrine Zen. A la lumière d'une discussion, on apprend que l'artiste, serein dans ses gestes, s'est détaché de la tradition; aussi on a observé des objets sans utilité, juste des œuvres, sans but avéré, tel ce plat en couleurs bleues phosphorescentes. Sirin Kocak, turque, lauréate de plusieurs prix internationaux, beaucoup d'œuvres acquises par les musées. A Sidi Kacem, elle a créé des bols striés, des objets sans fonction, en forme de tortues ou d'escargots. Un style reconnaissable même si les travaux sont diversifiés. Rafa Perez, espagnol. Longue expérience et travail original. Couches de porcelaine et de faïence blanche et noire, cuisson à haute température non maîtrisée qui engendre des formes imprévisibles, semblables à des paysages en lave, volcaniques, effet surprenant, «Je suis surpris moi-même», indique Perez. Notons que les œuvres exécutées sur place ont été cédées et sont exposées au musée de Sidi Kacem. Pour rappel : au cours des dernières décennies, la céramique a subi des transformations radicales. Les savoir-faire traditionnels sont bousculés. Des matières commodes plus faciles à manipuler sont introduites et dominent le marché. Influencée par l'histoire de l'art, la céramique revêt des formes inédites, elle s'éloigne de l'utilitaire, s'approche par moments de la sculpture, se frotte à l'abstraction et finit par s'imposer dans les galeries et les musées. Bref, l'argile simple, améliorée, émaillée, mate ou transparente, unie ou colorée, mise entre les mains d'humains pensants, d'intellectuels modernes, se hisse au rang d'art. Ou de concept. Tous les jours, les artistes devant leur matériau sont en démonstration devant le public intéressé, venu découvrir les curiosités et le chemin de la création. Ymen Chetouane, tunisienne. Sa récente participation à l'exposition « Politiques » aux côtés d'artistes visuels et conceptuels au Centre national d'art vivant a fait sensation. Corps de bébés humains, tels des personnages de cire, en porcelaine blanche, nus, ventrus, ils ont des têtes d'animaux, hideuses de chien ou de cochon, Chetouane joue du contraste entre l'innocence du corps et l'horreur du visage, un bébé dort sur un oreiller, sa tête disproportionnée porte une couronne. Bébés génétiquement manipulés ? Humains après les monstruosités de la guerre ? Cela en a tout l'air et ça fait peur. Son travail avance comme une critique de la destinée de l'humain. Céramique ? Plutôt sculpture qui concrétise un concept. Il va de soi que nous ne pouvons détailler la production de tous les artistes : sans a priori, au hasard des rencontres nous avons retenu quelques créations de cette exposition qui a drainé des professionnels et un public curieux. Sidi Kacem, lieu inspirant par son histoire, sa vocation et son dynamisme.