Par Abdelhamid GMATI L'économie tunisienne va mal, et c'est un euphémisme. On le savait depuis deux ans, par le biais de l'organisation patronale, d'organisations étrangères, agences de notation et autres experts tunisiens et étrangers. Aux divers avertissements, le pouvoir répondait que tout allait bien à part «quelques difficultés». Les alertes n'ont jamais cessé. L'Utica, par le biais de sa présidente, affirmait, le 1er août dernier, que «la situation économique du pays est catastrophique». Et elle pointait du doigt «l'inaction totale des gouvernants, en l'occurrence les ministres davantage penchés sur le travail politique plutôt que l'économique », déplorant « les modes de fonctionnement de l'administration publique submergée par des nominations de responsables partisans des partis au pouvoir». Mais elle et d'autres, agitant la même sonnette d'alarme, avaient l'air de prêcher dans le désert. Il a fallu que le gouverneur de la Banque centrale mette les pieds dans le plat pour que le gouvernement bouge. Il y a une semaine, Chedly Ayari avertissait sur la situation économique préoccupante du pays «qui n'allait pas résister longtemps à l'absence de visibilité politique» et s'est montré sévère avec la classe politique tunisienne en affirmant qu'elle n'avait pas conscience de la gravité de la situation économique. «Vous dépensez plus que vous ne le pouvez», a-t-il affirmé, préconisant une politique d'austérité de 2 à 3 ans. Et après la visite d'une délégation du FMI qui a exprimé ses « appréhensions quant à la baisse des revenus des entreprises publiques qui constituent les ressources essentielles de financement du budget de l'Etat», le ministre des Finances a annoncé que « le gouvernement a entamé l'application de mesures d'austérité, dont une réduction de 5% des dépenses de l'Etat, après un déficit budgétaire de plus de 7% en 2013» et que «le gouvernement a commencé l'application de mécanismes destinés à mieux orienter les dépenses de subvention... Ces mesures seront consolidées en vue d'un retour aux mêmes moyennes de compensation enregistrées en 2010. La valeur de la subvention a doublé, au cours de l'année 2013, pour atteindre 5.500 millions de dinars (MD), après s'être établie dans la limite de 1.500 MD en 2010 ». Et d'ajouter que «le budget de l'Etat pour l'exercice 2014 vise à réaliser plus de stabilité, précisant que les salaires resteront stables cette année (pas d'augmentations salariales), d'autant que l'année 2013 a été marquée par une hausse de près de 5% du niveau des salaires par rapport à l'année 2010». Cette politique d'austérité commencera au début de 2014. Concrètement, certaines mesures sont annoncées : hausses des prix des transports publics (qui, selon le ministre de tutelle, prendront effet incessamment), de la vignette automobile (25%), nouvelles taxes, majorations de certains impôts directs et indirects et même augmentation des tarifs de l'électricité pour les grands consommateurs, à savoir les entreprises ; encore que là, l'annonce faite par le PDG de la Steg a été démentie, quelques heures après, par le ministère de l'Industrie. On envisage la rétroactivité de 1% sur les salaires, la taxe de 2D, 500 pour les voyageurs, la hausse des tarifs de l'alcool (bière et autres), la taxation de 10% des entreprises offshore jusque-là exemptées. On prépare même le droit de regard du fisc sur les comptes bancaires et postiers des entreprises et des citoyens. Tout est fait comme si le gouvernement voulait racler les fonds de tiroir et ramasser le plus de liquidités possibles pour sauver l'économie de la banqueroute. Comment en est-on arrivé là ? Au lieu d'investir pour la création d'entreprises et d'emplois, les gouvernants se sont lancés dans une œuvre de compensation effrénée. Sous prétexte de venir en aide aux victimes de la répression, on s'est lancé dans le dédommagement de partisans du mouvement islamiste, emprisonnés pour la plupart pour des actes répréhensibles et illégaux. On estime à près de 70.000 les recrutements, à caractère partisan pour la plupart, dans les administrations publiques et affiliées. Et on a recours aux prêts. A l'annonce d'un possible retard dans le versement de la 2e tranche du prêt accordé par le FMI, à cause de la situation actuelle, une délégation va se rendre en Europe, pour demander un prêt à la Commission européenne. Cette politique de l'austérité n'est pas partagée par tout le monde et est même dénoncée, ne serait-ce parce qu'elle se fait au détriment du citoyen et des entreprises et causera des troubles sociaux. Le député à l'ANC Moncef Cheikhrouhou estime que cette stratégie aura pour conséquence «une mort en bonne santé» et il préconise «la création de grands projets dans les régions intérieures de la Tunisie, ce qui est à même d'absorber le taux de chômage et contribuer considérablement à la création de richesses qui boostera l'économie nationale». Et puisqu'on parle d'austérité, le gouvernement est donc appelé à réduire ses dépenses et ses extravagances. Que M. le ministre des Finances et ses innombrables collègues donnent l'exemple : réduire leurs salaires et leurs primes, payer eux-mêmes la vignette et l'entretien de leurs luxueuses voitures de fonction, arrêter de multiplier leurs voyages inutiles à l'étranger ; idem pour le président provisoire de la République. Qu'est-il allé faire à New York, à part satisfaire son ego ? Et combien cela coûte-t-il, d'autant qu'il est accompagné par une délégation nombreuse. Rappelons que son dernier voyage aux USA, en avril, avait coûté la bagatelle de 200.000 dinars. Son déplacement en Allemagne s'est soldé avec une facture de 9.000 dinars rien qu'en catering (nourriture et boissons). Sans parler de son séjour au Qatar, au mois de mars, accompagné d'une délégation dont faisait partie Sihem Badi. Idem pour les élus de l'ANC qui ne trouvent rien de mieux que de discuter du montant de leurs retraites et de leurs indemnités. Que tout ce beau monde donne l'exemple en parlant d'austérité. «Charité bien ordonnée commence par soi-même».